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Métamorphose, une traversée de la photographie française (1968-1989) par Michel Poivert, Pavillon Populaire

François Hers, Sans titre, série Intérieurs, 1980 collection du Frac Grand-Large Dunkerque

Dans le prolongement de son livre publié aux éditions Textuel « 50 ans de photographie française, de 1970 à nos jours », Gilles Mora, directeur artistique du Pavillon Populaire a proposé à Michel Poivert une exposition qui couvrirait la période entre 1968-1989, deux dates essentielles au niveau politique et sociologique : Mail 68 et la chute du Mur de Berlin mais aussi au niveau du medium et ses mutations (acteurs, statuts, économie..).

Devenu un fait culturel majeur en moins d’une génération comme le souligne les commissaires, la photographie française résiste au modèle américain devenant plus intellectuelle -on parlera alors de la french théorie- et gagnant sa place au musée d’art contemporain avec la naissance des grandes institutions telles que le Centre national de la photographie sous l’impulsion de Jack Lang ou la création du Département photo du Centre Pompidou.

Volontairement non chronologique, le parcours s’organise autour de 6 thématiques afin de créer des dialogues inattendus entre des générations et les écritures différentes et réparer un manque : celui d’exposer la photographie française dans son ensemble. Une exposition à valeur de manifeste si l’on constate la faible représentativité des photographes français au sein des institutions dédiées comme le Jeu de Paume ou la MEP selon l’étude publiée en 2020 par le Comité de liaison et et d’action pour la photographie, face au défi de l’international. Des données qui rejoignent celles de la présence des artistes français si l’on se réfère à des foires comme la Fiac ou Paris+.

Claude Batho, L’éponge et son image, 1980
Photographie noir et blanc, 30,2 x 21,6 cm / 40,4 x 30,3 cm,
Paris, Centre Pompidou, MNAM-CCI
© John Batho

Mais revenons à ce panorama vibrant et décloisonné. Parmi les chapitres les plus réussis je trouve « Corps en liberté » dessine le fil du désir entre sublimation et transgression avec la Géométrie du flirt de Claude Nouri, les Amants magnifiques d’Yves Trémorin, la sublimation de l’absence chez Alix Cléo Roubaud avant d’arriver au basculement des genres avec Bettina Rheims, Modern Lovers (1989). Travestissement des stéréotypes avec Michel Journiac ou ORLAN, tandis que Guy Bourdin explore la vague du porno chic dans la mode avec une fétichisation assumée du corps. Dérives imaginaires chez Sarah Moon, petit théâtre de Bernard Faucon, roman photo de Pierre & Gilles, tandis que plane l’ombre de la mort chez Hervé Guibert, « A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie », les années 1980 étant celles des ravages du Sida. Eros et Thanatos.

Denis Roche, « 19 juillet 1978, Taxco, Mexique, hôtel Victoria, chambre 80 », 1978, Tirage argentique noir et blanc, 25,8 × 26,3 cm. Paris, collection de la Maison européenne de la photographie, © Denis Roche, courtesy Galerie le Reverbère / photo Guillaume Geneste

C’est avec la section « Présence des choses » que l’on sent le mieux une singularité française à travers ces lieux du quotidien, ces sphères de l’intime, ce rapport aux objets dans ce qu’ils disent de nous. Des intérieurs devenus portraits comme chez François Hers et Sophie Ristelhueber, (exposition au Centre Pompidou en 1981) avec les tapisseries aux couleurs criardes, les bibelots en tous genres, les posters de Claude François, les scénettes familiales de Florence Paradeis…Une réflexion critique sur la société de consommation avec Bernard Descamps ou Bruno Requillart, tandis que Christian Milovanoff s’attaque à l’emblème du travail avec les Bureaux dans le cadre de la commande passée par la Datar. Une vision anthropologique du quotidien qui peut aussi basculer vers l’étrange.

Bernard Faucon, La 13ème chambre d’amour : le vitrail, 1985, Tirage au charbon en quadrichromie (procédé Fresson), 60,2 x 60 cm / 70,2 x 65,2 cm, Paris, Collection Maison Européenne de la Photographie, © Bernard Faucon / Agence Vu’

C’est avec le thème Viv[r]e la crise, suite au choc pétrolier de 1973 que le réveil se fait brutal et les premières radioscopies de la société française s’organisent comme avec l’enquête lancée par l’agence Viva intitulée « Familles en France ». Une dominante réaliste s’impose autour de la désindustrialisation, du phénomène des banlieues (Patrick Zachmann), du multiculturalisme, de la quête identitaire de la jeunesse (Luc Choquer), ou de l’urbanisation galopante (Dominique Auerbacher). Marie Paule Nègre se lance dans une étude au long cours sur la pauvreté, avant de réaliser pour le Secours Populaire un portfolio, « Pauvre France ». L’enjeu est de faire prendre conscience que la société française a changé.

Avec l’arrivée de la Gauche au pouvoir de nouveaux espoirs se font jour et dans le cadre du nouveau Ministère des Droits des femmes une enquête est passée à Janine Niepce sur le travail des femmes, tandis qu’il est demandé à Sabine Weiss de se pencher sur les habitants du Val de Marne. Il est d’autant plus intéressant de relire ces images dans la période de grande instabilité que nous traversons, les photographes ayant pointé des maux qui ne cessent de revenir sur le devant de la scène. Une visite s’impose donc au Pavillon Populaire autour de cette impressionnante sélection (73 photographes et 240 clichés) que l’on peut découvrir au début ou à la fin, chacun selon sa génération y retrouvant réminiscences ou séquences nostalgie.

La France d’avant… un champ du cygne au seuil de la mondialisation ?

Catalogue aux éditions Hazan le complément indispensable

A noter la sortie du dernier ouvrage de Michel Poivert : Contre culture dans la création contemporaine, Ed. Textuel

Michel Poivert est professeur d’histoire de l’art à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne où il a fondé la chaire d’histoire de la photographie. Après avoir présidé pendant quinze ans la Société française de photographie, il a créé le Collège international de photographie, institution dédiée à la transmission des savoir-faire et à l’expérimentation photographiques. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages dont notamment 50 ans de photographie française de 1970 à nos jours (Textuel, 2019).

Infos pratiques :

Métamorphose

La photographie en France 1968-1989

jusqu’au 15 janvier

Entrée libre

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