Marine Van Schoonbeek photo Jean Picon
A l’occasion des 10 ans du Fonds de dotation MERCI, l’association Thanks for Nothing organise une vente aux enchères caritative exceptionnelle et une exposition initialement prévue au Palais de Tokyo. Face aux nouvelles mesures gouvernementales, seule la vente aux enchères est maintenue mais de façon innovante, avec des témoignages en ligne autour des 30 artistes internationaux mobilisés. Marine Van Schoonbeek, présidente de Thanks for Nothing (nom emprunté au merveilleux poète et artiste John Giorno) malgré les conséquences préoccupantes sur le monde de l’art de ce re-confinement, nous livre une vision constructive autour de ce qui fait l’ADN de Thanks for Nothing rassemblant 5 femmes de l’art engagées dans le champ artistique et social : aux côtés de Marine Van Schoonbeek : Anne-Sarah Benichou, Blanche de Lestrange, Anaïs de Senneville et Charlotte von Stotzingen. Leur futur défi : La Collective, centre d’art et de solidarité qui verra le jour sur plus de 12 000m² en 2024, suite à l’appel à projet remporté par l’association auprès de la Mairie de Paris pour la Façade Denfert et nouveau quartier Saint-Vincent de Paul dans le XIVème arrondissement (Grands Voisins).
Les origines de Thanks for Nothing
Thanks for Nothing est une association que nous avons créée avec quatre autres femmes en 2017 avec comme objectif de faire le lien entre le monde de l’art contemporain qui est notre métier à toutes depuis plusieurs années et l’engagement social qui était la partie plutôt personnelle de nos vies, étant chacune impliquée au quotidien dans des associations tournées vers l’accueil aux réfugiés, l’accès à l’éducation, la santé ou l’environnement. Ayant eu la chance d’avoir des carrières et postes stimulants alors que nous étions encore jeunes, cela nous a permis de développer un réseau conséquent qui nous aide aujourd’hui à conjuguer ces deux aspects.
Quel est votre rôle au quotidien en tant que présidente de Thanks for Nothing ?
Mon rôle est de porter, concevoir et penser tous les projets de A à Z avec mes partenaires. Je fais à la fois la production d’expositions (quand on peut les ouvrir bien sûr !) de festivals, de rendez-vous comme pour la Nuit Blanche ou de colloques comme chaque année avec le musée du Louvre. J’assure aussi une partie communication définissant quelle stratégie mettre en place, je m’occupe de la levée de fonds et du mécénat, c’est-à -dire trouver des subventions publiques et des partenaires privés pour assurer la viabilité de Thanks for Nothing, sans oublier la partie administrative avec l’aide d’experts aux comptes et d’avocats sur la partie juridique et les relations avec la presse. Au quotidien je suis épaulée de deux personnes et en fonction des besoins et des échelles des projets, nous faisons appel à des personnes extérieures comme l’année dernière à l’occasion de la Nuit Blanche à la Cité des Sciences. Nous sommes très organiques et pouvons nous adapter à chaque projet.
Mes partenaires ont toutes gardé leur activité en parallèle. Blanche de Lestrange est directrice artistique de la Fondation Art Explora et auparavant directrice des projets hors les murs de la Fiac, Anaïs de Senneville est responsable des Amis du musée d’art moderne de la Ville de Paris, Anne-Sarah Benichou dirige une galerie et Charlotte von Stotzingen est directrice du Gallery Week-end de Zurich.
En quoi votre rôle est est-il une synthèse de votre parcours ?
J’ai commencé à travailler aux Etats-Unis au musée d’art contemporain de Chicago puis je suis revenue en France pour finir mes études à Sciences Po et travailler auprès de Laurent Le Bon d’abord au Centre Pompidou Paris puis au Centre Pompidou Metz pour son ouverture en 2010, ce qui a été une très belle expérience. Puis j’ai été directrice des relations avec les collectionneurs et institutions de la FIAC (département VIP) aux côtés de Jennifer Flay puis directrice de la galerie Chantal Crousel. Toute cette carrière me permet de faire une synthèse aujourd’hui avec Thanks for Nothing où j’assure tous ces rôles à la fois.
Quel est l’ADN de Thanks for Nothing ?
Nous créons les passerelles et conditions de rencontre entre les mondes culturels et associatifs de façon équilibrée et vertueuse.
En ce qui concerne le volet culturel nous sommes parties du constat qu’il existe de nombreux projets de grande qualité portés par les institutions, fondations, les galeries, qui n’ont pas forcément le temps ni les moyens de se dédier au monde associatif puisque ce n’est pas forcément leur vocation première.
Du côté associatif, les associations souvent prises par le terrain et les réalités sociales auxquelles elles sont confrontées, n’ont pas forcément le temps d’aller chercher des partenaires culturels pour penser des projets en collaboration. Nous avons réalisé que ce pont n’existait pas alors que tout le monde y gagnerait. Notre ADN est donc de créer cette passerelle pour que les associations puissent être mises en lumière et soutenues concrètement par le biais de projets culturels qui sont de toute façon connectés au champ social et au réel, les artistes étant par essence le reflet de l’état du monde. La meilleure illustration de cet ADN est notre premier projet intitulé « We Dream Under The Same Sky » conçu en 2017 en collaboration avec la galerie Chantal Crousel chez qui je travaillais, et la commissaire d’exposition Julie Boukobza autour d’une vente aux enchères qui réunissait de façon innovante le monde de la culture en soutenant cinq associations impliquées dans l’accueil de réfugiés en Europe. Nous avons mené un travail de fond en allant à la rencontre d’associations de réfugiés, sujet qui m’occupe depuis de nombreuses années, pour les mettre au cœur du dispositif et aller au-delà de la vente aux enchères qui reste une démarche très généreuse de la part des galeries et des artistes et maisons de vente. Pour cela nous avons construit le projet en deux temps, d’une part une exposition au Palais de Tokyo autour des 30 œuvres offertes par les artistes et leurs galeries et une invitation faite aux associations d’être présentes pendant toute la durée de l’exposition. Avec le soutien de Jean de Loisy alors président du Palais de Tokyo nous avons obtenu la gratuité du projet permettant au grand public de venir découvrir les œuvres et aussi rencontrer et échanger avec les associations ou assister aux tables rondes qui leur étaient confiées. Nous avons constaté que ce fonctionnement produisait un cercle vertueux formidable suscitant de nombreux engagements sous forme de bénévolat ou de partenariats de compétences en fonction des métiers (pro bono). A la suite de cela avec le soutien de la fondation Luma, de la maison de vente Christies et de François Pinault nous avons vendu les œuvres pour un total de plus de 2 M€ qui ont été intégralement reversés aux associations sous la forme de conventions sur 3 ans leur offrant en plus de cet apport financier un véritable accompagnement sur un temps long. Cela a permis par exemple à l’école pour jeunes réfugiés THOT de doubler ses effectifs de professeurs, au centre de soins Primo Levi d’embaucher de nouvelles personnes et de réaliser plus de 3000 consultations et à la Cimade d’ouvrir un pôle dédié aux femmes réfugiées victimes de violences. Des sommes qui ont donc été décisives pour ces associations avec une mise en lumière inhabituelle au sein du Palais de Tokyo, générant par la suite d’autres initiatives. Cela résume parfaitement ce qui fait notre ADN, un accompagnement global qui perdure et des projets pensés de façon équilibrée entre la culture et l’associatif. Depuis 3 ans nous avons toujours poursuivi nos actions sous ce format qui favorise un impact concret tout en mobilisant le grand public.
Votre actualité : le projet Heaven, exposition et vente, quelles solutions imaginez-vous face aux nouvelles contraintes imposées ?
Nous avons pensé un projet à l’occasion des 10 ans du Fonds de dotation Merci, initialement prévu aux Beaux-Arts de Paris au printemps dernier puis au Palais de Tokyo suite à l’amélioration de la situation cet été, et qui se voit de nouveau annulé. Notre réponse comme toujours est collective : notre stratégie pour rebondir de façon positive et maintenir la vente en ligne a été de solliciter des personnalités du monde de l’art pour nous soutenir en ligne, en réalisant une courte vidéo présentant une œuvre coup de cœur de la vente. La collectionneuse Sandra Hegedüs va ainsi réaliser une vidéo en faveur de l’artiste Ivan Argote représenté par Emmanuel Perrotin, le commissaire Gaël Charbau va se concentrer sur l’œuvre d’Edgar Sarin offerte par la galerie Michel Rein, l’œuvre de Rita Ackermann va être présentée par Grégoire Schnerb le directeur d’Hauser & Wirth à Londres, Oliver Beer qui a donné l’œuvre Heaven va la présenter et dire pourquoi il s’est beaucoup impliqué dans cette vente, Anne-Hélène Decaux, directrice chez Sotheby’s a choisi l’œuvre de Tadashi Kawamata offerte par kamel mennour, également Annette Messager qui va être présentée par Nicolas Nahab le directeur de la galerie Marian Goodman ou l’artiste Lionel Sabatté qui présentera son œuvre. Une façon innovante de réagir à ce contexte et donner le plus de visibilité possible à cette vente en ligne à partir du 13 novembre.
La collective, futur centre d’art et de solidarité
Nous avons choisi ce nom de façon évidente. Cet appel à projet a été ouvert par la Ville de Paris à l’été 2019 avec un cahier des charges très sophistiqué : à la fois rénover l’espace des Grands Voisins, construire un nouveau bâtiment (également sur appel à projet) et créer un nouvel équipement culturel, le tout sans subvention de la Ville de Paris. Il a donc été demandé à un promoteur immobilier de s’associer à un groupe d’architectes et à une équipe culturelle. C’est le promoteur Cogedim qui a souhaité répondre à ce projet conséquent de plus de 12 000 m² et nous a proposé de les accompagner avec leur équipe architecturale constitué des suédois Tham & Videgard à la pointe des enjeux environnementaux et bâtiments green, et des belges 51N4E très compétents dans le réemploi de matériaux et structures existants. Nous qui souhaitions jusque-là rester souples et agiles, nous sommes posé la question d’un vrai changement d’échelle mais avons réalisé que ce lieu nous permettait de structurer quelque chose qui nous ressemble et tenir la colonne vertébrale de départ. Nous avons alors proposé un projet pluriel, collectif puisque sur les 12 000m² de l’appel à projet, 8000m² reviennent au promoteur immobilier et sur les 4000m² qui nous concernent nous avons décidé d’en occuper une partie et d’en confier une autre à des associations de terrain afin que la solidarité soit au cœur de ce projet. Nous avons réparti le lieu en un espace d’exposition qui se trouvera au niveau du rez-de-chaussée du nouveau bâtiment, un espace de résidences d’artistes avec plus d’une dizaine d’ateliers-logements, projet porté avec l’Institut français intitulé la Villa Denfert et qui rentrera dans le circuit de la Villa Medicis et Villa Kujoyama avec comme spécificité d’aborder des enjeux environnementaux, un auditorium sous l’appellation « La pouponnière » pour des conférences, des performances, des ateliers pédagogiques, et un parcours d’œuvres extérieur suite à notre analyse de galeristes d’un manque d’espaces à Paris pour présenter des œuvres monumentales. Ce parcours qui permettra de créer du lien entre tous ces espaces sera mis en place avec le Comité des galeries. En ce qui concerne les espaces restants nous tenions à proposer un centre d’hébergement d’urgence pour les familles réfugiées au sein même de nos espaces et l’avons confié à Emmaüs Solidarité. Situé juste au-dessus de notre espace d’exposition, c’est un postulat très fort pour nous. Nous avons aussi confié un restaurant et une cafétéria du centre d’art au Refugee Food Festival association qui travaille avec les chefs réfugiés en exil et nous avons souhaité soutenir des structures comme les nôtres à travers un incubateur social géré par MakeSense avec des postes de travail pour aider à l’incubation et au développement d’associations et d’entreprises solidaires.
Vos réflexions face à ce re-confinement
Je répondrai en deux temps. D’un point de vue personnel et pour Thanks for Nothing c’est un moment compliqué, l’année 2020 devant marquer un vrai démarrage pour nous et un changement d’échelle structurelle que nous devons mener dans les 4 prochaines années jusqu’à l’ouverture de la Collective en 2024. Dès l’annonce du résultat nous devions actionner des partenariats avec des institutions publiques et privées, des mécènes, or tout a été figé. Le projet Heaven a aussi été annulé à trois semaines de la vente aux enchères qu’il a fallu redéployer. Pour rester positives nous cherchons de nouvelles façons d’aborder nos projets. Nous ne pouvons plus mener des projets comme Nuit Blanche avec 500 000 personnes réunies sur le Pont Alexandre III en 2018, un moment de communion magique qui semble déjà très lointain. Même si nous avons cette perspective de 2024, cela reste encore plus un défi avec un lieu de 4000m², une équipe qui va avoisiner une dizaine de personnes et un budget de fonctionnement estimé à 2M€. Mais nous avons la chance d’être très soutenues depuis le début de notre aventure et je m’en réjouis.
D’un point de vue plus structurel et sociĂ©tal, je suis assez inquiète pour le monde de la culture. On parle depuis quelques jours de la situation des libraires et de l’industrie du livre, de mĂŞme de l’impact sur l’industrie de la musique ou du cinĂ©ma. Or en ce qui concerne le milieu que je connais encore mieux – le monde de l’art – c’est un vĂ©ritable coup d’arrĂŞt, assez peu abordĂ© par les mĂ©dias. Le Louvre connait une baisse de frĂ©quentation de 80 %, les galeries sont face Ă une situation terriblement prĂ©occupante, n’ayant pas le mĂŞme poids que le monde de l’édition par exemple, Ă©tant de petites structures dĂ©jĂ très fragilisĂ©es par le premier confinement. En bout de course je pense toujours Ă ceux qui sont presque invisibles et dont on entend très peu parler : les plasticiens qui dĂ©pendent des galeries, des expositions dans des musĂ©es et centres d’art et se retrouvent sans aucune visibilitĂ© et relais pour parler de leur condition. Les artistes sont un peu les oubliĂ©s de cette pĂ©riode, ce qui m’attriste beaucoup. Nous avons lancĂ© lors du dernier confinement un projet sous la forme de tee-shirts avec des citations d’artistes vendus pour soutenir des associations de femmes. La première citation disait en substance que si vous pensez que les artistes sont inutiles, essayez de passer votre confinement sans livres, sans films… ; c’est ce qui fait le miel de la vie et l’essence de notre humanitĂ©.
Même si j’essaie toujours d’être très optimiste je pense malheureusement que beaucoup de gens vont être balayés par cette crise, des galeries vont fermer, des artistes et des commissaires d’exposition ne pourront plus travailler, beaucoup d’acteurs qui font un travail essentiel pour la cohésion sociale vont disparaitre. De temps en temps cela atteint notre moral mais notre rôle est de continuer étant persuadées que c’est dans la réponse collective qu’on peut tenir et autant faire que possible.
En écoute : Podcast 🎧
La vente Heaven avec Sotheby’s : enchĂ©rir en ligne
CATALOGUE accessible en cliquant ici
https://www.sothebys.com/en/buy/auction/2020/heaven
LES ARTISTES ET LES GALERIES La vente réunit les œuvres généreusement offertes par les artistes et leurs galeries : |
Rita Ackermann – Hauser & Wirth Dove Allouche – gb agency Giulia Andreani – Galerie Max Hetzler Jean-Marie Appriou – CLEARING Iván Argote – Perrotin Babi Badalov – Galerie Jérôme Poggi Éric Baudart – Edouard Malingue Gallery Oliver Beer – Galerie Thaddaeus Ropac Hans Bellmer – Galerie 1900-2000 Abdelkader Benchamma – Templon Ali Cherri – Galerie Imane Farès Carlos Cruz-Diez – Atelier Cruz-Diez Marcel Dzama – David Zwirner Rashid Johnson – Hauser & Wirth Tadashi Kawamata – kamel mennour William Klein – Polka Galerie Annette Messager – Marian Goodman Gallery Daniel Otero Torres – mor charpentier Francesca Pasquali – Tornabuoni Art Aurélie Pétrel – Ceysson & Bénétière Laure Prouvost – Galerie Nathalie Obadia Lionel Sabatté – Ceysson & Bénétière Edgar Sarin – Michel Rein Pierre Seinturier – Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois Jérôme Sessini – Magnum Photos Pascale Marthine Tayou – Galleria Continua Barthélémy Toguo – Galerie Lelong & Co. Oscar Tuazon – Galerie Chantal Crousel Thu Van Tran – Almine Rech James Welling – Marian Goodman Gallery |
L’intégralité des bénéfices de la vente financera les projets soutenus et portés par le Fonds de dotation Merci :
Abc Domino pour l’éducation à Madagascar
La Ferme de l’envol pour l’agroĂ©cologie en Essonne
Le projet Horizon pour l’accueil des réfugiés en France
Le Fonds de dotation Merci
Le Fonds de dotation Merci a été créé en 2009 par une famille d’entrepreneurs qui a souhaité mettre ses compétences et l’expérience de ses membres au service d’un projet solidaire. Après la vente de leur entreprise en 2007, la marque pour enfants Bonpoint, Marie-France et Bernard Cohen imaginent une autre façon de faire de la philanthropie et créent en 2009 un magasin totalement inédit en France : le magasin Merci. Il avait pour but de financer et d’accompagner de manière régulière et pérenne des projets solidaires, grâce au fonds de dotation éponyme qui lui était rattaché. En 2013, Marie-France Cohen vend le magasin Merci et poursuit l’aventure solidaire accompagnée de ses trois fils, en donnant l’intégralité du produit de la vente au Fonds de dotation Merci. Depuis sa création, le fonds agit pour que des femmes, des hommes et des enfants puissent se construire un avenir, en œuvrant à l’amélioration de leurs conditions de vie, notamment sur le plan éducatif, social, sanitaire, économique et culturel. Le Fonds de dotation Merci est entièrement familial et philanthropique. 100% des dons reçus sont intégralement utilisés pour les projets, les frais de fonctionnement étant pris en charge par ses administrateurs.
L’association Thanks for Nothing
Thanks for Nothing est une association qui mobilise les artistes et le monde de la culture en organisant des projets artistiques et solidaires ayant un impact concret sur la société. En février 2020, Thanks for Nothing a été désigné lauréat de la consultation de la Ville de Paris pour la Façade Denfert de l’ancien hôpital Saint-Vincent de Paul, 14e arrondissement. Ainsi, Thanks for Nothing inaugurera La Collective, nouveau centre d’art et de solidarité de plus de 4 000 m2 , en 2024.