Sally Mann, la magie du Sud, exposition évènement au Jeu de Paume

Sally Mann (American, born 1951), Jessie #25, 2004, gelatin silver print, Courtesy of Edwynn Houk Gallery, New York

Evènement dans la tournée américaine de Sally Mann, cette unique étape européenne à Paris au Jeu de Paume. Au-delà de la polémique des années 1980-90 autour de la série « Immediate Family » qui la marquera profondément, ce sont plus de 40 ans de création rassemblés et de nombreux inédits.

Sally Mann née à Lexington en Virginie revisite l’influence de ce territoire dans son identité et ses choix d’artiste. Ce que être sudiste veut dire, dans la mouvance des grands écrivains du Sud, Faulkner, Dos Passos, Steinbeck T.S. Eliot ou Tennessee Williams, le chantre des hommes en déroute, face à ce territoire puissant qui annihile toute volonté dans sa moiteur mortifère. Entre splendeur et décadence.

La guerre de Sécession et son carnage, les rivières de sang des Afro-américains en butte à l’esclavage, les marécages synonymes d’évasion, la terre et son vécu, les champs de bataille et leurs blessures silencieuses. Pour témoigner de cela elle choisit de recourir à des procédés photographiques anciens comme le collodion humide dont elle traque les imperfections et défauts dégageant encore plus une sensation de défaite et de ruine latente. « Last Measure » et « Abide with me »pour « Demeure auprès de moi Seigneur » cantique d’imploration face aux épreuves de l’existence, des titres métaphoriques qui décrivent une possible délivrance après des années de lutte raciale. De plus Sally Mann revient sur la présence de Virginia « Gee gee »Carter, fidèle employée noire au service de ses parents qui l’a élevée et aura une grande influence et des photographies d’hommes afro américains qu’elle rapproche de sa série de ferrotypes des grands cours d’eau du sud est de la Virginie. Egalement des petites églises afro américaines dans le style d’un Robert Franck ou Wright Morris (actuellement à la Fondation Cartier Bresson) comme pour nous rappeler que le Sud est également le terreau du jazz et de la possible renaissance.

Avec « What remains » dans la dernière partie l’on retrouve le thème familial dans une ambiance plus crépusculaire comme si la mort rode toujours. N’oublions pas le terrible drame qu’elle a subi au moment du suicide de son fils ainé Emmett, à l’âge de 36 ans. Après plusieurs autoportraits empreints d’altérations, elle se penche sur la lente et inexorable décrépitude de son mari, Larry victime de dystrophie musculaire. « Proud Flesh »(chair exubérante) est également un titre métaphorique qui rejoint le grand lyrisme des auteurs du sud. On le voit seul face à un paysage envahi de fumées mystérieuses. A t-il rendez vous avec la mort ou avec lui-même ? Comme déclare l’artiste : la mort est « l’élément catalyseur d’une appréciation plus intense de ce qui nous est offert ici et maintenant ».

Il en va de la rédemption par delà cette noirceur et fuite du temps implacable.

« Mille et un passages »est une traversée singulière, terrestre et spirituelle, tendre et crue, sans retour, aux confins de l’âme et de l’esprit. Magique. A ne manquer sous aucun prétexte.

Commissaires : Sarah Greenough et Sarah Kennel

Superbe catalogue publié par la National Gallery of Art Washington, Abrams Books. Edition française Xavier Barral/Jeu de Paume, disponibles à la librairie.

Infos pratiques :

Sally Mann

Mille et un passages

jusqu’au 22 septembre

Egalement lors de votre visite : Marc Pataut, de proche en proche

Bern Thorp Brown, Arcadia Center

www.jeudepaume.org