Stanislas Colodiet Atelier du Cirva, photo © Cirva
Poursuite de mon parcours des expositions et lieux qui font de Marseille un véritable laboratoire de la création, avec le très emblématique Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques, Cirva, en lien avec la formidable exposition d’Evariste Richer que j’ai pu découvrir à la Vieille Charité, co-produite avec les musées de la ville. Stanislas Colodiet qui a été nommé à la tête du Cirva en 2019 à tout juste 30 ans, entend poursuivre la carte des synergies entre institutions et disciplines ce qui se traduit à l’occasion de la prochaine exposition imaginée pour les 10 ans de la collaboration entre le Cirva et la Villa Noailles. Pour célébrer cette décennie 10 designers ont été sélectionnés autour d’un défi de taille dont il nous dévoile les contours. De plus Stanislas Colodiet revient sur la capacité du Cirva à pouvoir continuer à accueillir des artistes au cours de cette période de confinement, même si un protocole sanitaire très spécifique a dû être mis en place, le métier de souffleur de verre étant directement menacé par ce contexte de crise. Le souffle s’inscrivant plus que jamais au cœur des enjeux du monde d’après comme il le souligne.
Quelle vision aviez-vous du Cirva avant d’en prendre la direction ?
Celle d’un lieu mythique dans lequel sont passés de grands artistes et des verriers exceptionnels. Le Cirva réunit en effet une liste d’artistes majeurs qui y ont travaillé depuis les années 1980 et y ont réalisé des œuvres significatives. Ayant une formation d’historien de l’art, j’ai pu mesurer à quel point le Cirva a joué un rôle décisif dans la carrière de ces artistes, autour des réflexions, problématiques et méthodes de travail abordées lors de cette rencontre avec le verre, matériau qui a pour certains véritablement relancé leur carrière.
Je gardais la vision d’œuvres très étonnantes et inédites, découvertes dans différents lieux puisque au-delà des œuvres qui entrent dans la collection dans la collection du Cirva, la grande majorité des recherches reste la propriété des artistes qui les conservent ou les vendent. C’est pourquoi il est possible de voir les réalisations du Cirva dans des contextes très différents.
Enfin je percevais le Cirva, et je le perçois toujours, ce qui est bon signe, comme un lieu de grande liberté. Cela fait partie de son ADN et il est important de le rappeler. Le Cirva est un lieu de recherche et non de production. Dès lors qu’un artiste entre au Cirva il ne vient pas avec un cahier des charges précis mais plutôt avec des désirs, des intuitions qui se voient réajustées au contact de la matière. Le Cirva offre cette possibilité de revoir en permanence un projet avec le temps, l’espace et les moyens de le faire, ce qui peut parfois faire défaut dans une logique de production, de délais et de budget à tenir.
L’exposition « Evariste Richer, Le Grand Tout », coproduite avec les Musées de Marseille : genèse et enjeux
Cette collaboration entre le Cirva et Evariste Richer qui a démarré en 2015 pour s’achever en 2017, témoigne des projets ambitieux mis en œuvre par notre centre de recherche puisque l’œuvre réalisée est d’une part monumentale et d’autre part très complexe dans sa conception, engageant un certain nombre d’enjeux qui ont été résolus au fur et à mesure par les équipes du Cirva. La conception d’une œuvre de ce genre serait inenvisageable ailleurs, notamment en raison du temps de travail et du défi technique engagés. Le projet qui a évolué, débute par un dialogue entre l’artiste et l’institut de recherche Pythéas (Université Aix-Marseille) autour de la question de la vie dans d’autres planètes et de la molécule originelle. Au fur et à mesure le projet a pris une dimension plus vaste et conceptuelle non pas autour de la réalisation d’une molécule en verre mais d’une boîte d’atomes complète qu’il nomme le Grand tout, outil pédagogique qui permet aux étudiant.e.s en chimie de matérialiser ce qui conceptuellement représente la totalité des combinaisons possibles entre ces atomes. Ce projet très ambitieux qui a muri au fil des années est présenté pour la première fois dans un lieu exceptionnel, la chapelle Puget au centre de la Vieille Charité suivant la longue histoire d’amitié entre le Cirva et les musées de Marseille, les musées de Marseille ayant régulièrement exposés depuis le début des années 1990, des productions du Cirva. C’est toujours un défi pour les artistes invités de répondre à cette architecture magistrale et de s’inscrire dans cette histoire d’expositions majeures qui ont eu lieu. L’œuvre d’Evariste n’y déroge pas et pour les connaisseurs elle fait écho à l’œuvre de James Lee Byars, dans une certaine mesure aussi à l’œuvre de Gabriel Orozco et plus récemment aussi à l’œuvre de Robert Filliou et ces centaines de dés colorés jetés au sol.
Programmation autour des dix ans du partenariat qui unit le Cirva et la villa Noailles : l’exposition Souffles – 10 designers. 10 ans. 10 vases au château Borély
Ce projet d’exposition est très stimulant et je suis ravi d’y travailler au côté de mes collègues et co-commissaires : Marie Josée Linou, directrice du Château Borély-musée des arts décoratifs et Anna Millers conservatrice du patrimoine. Le point de départ est l’anniversaire des 10 ans de collaboration entre le Cirva et la Villa Noailles.
Cet anniversaire vient ainsi clore une décennie, avec comme idée première de réunir 10 designers qui ponctuent cette période et donner à voir une photographie très contemporaine de la création et du design en France et en Europe, chaque designer ayant des parcours internationaux. Par exemple, Laura Couto Rosado vit actuellement en Suisse, Carolien Niebling est néerlandaise, Brynjar Sigurðarson est islandais vivant en Allemagne, Sara de Campos vit au Portugal, Gregory Granados (en résidence actuellement au Cirva) est basé à Saint-Etienne et Pernelle Poyet est basée à Paris. Un panorama géographique très large avec une vision prospective en matière de design. Nous souhaitions en plus de cette photographie de cette génération, réunir leurs 10 réalisations sur un grand plateau à la manière d’un podium dans l’atmosphère de la Design Parade, selon les préconisations données au bureau du scénographe. Comme un feu d’artifice.
Au-delà de cette intuition de départ, nous avons décidé avec les deux autres commissaires, de lancer un défi à chaque designer toujours dans la dynamique de recherche portée par le Cirva, autour de la création d’un vase. Il est très difficile de s’attaquer à un objet aussi iconique et aussi présent dans l’histoire du design quand on a seulement 30 ans, surtout au contact d’une matière nouvelle, le verre. Ces designers y arrivent souvent par un pas de côté en faisant appel à d’autres disciplines et il est intéressant de voir comment à partir d’un même objet nous avons 10 réponses très différentes. Cette diversité nous dit quelque chose du design.
En terme de parcours, l’exposition s’organise autour d’une salle réunissant les 10 propositions et d’une partie recherche qui documente chacun des projets autour de ce que j’appelle, la mécanique des idées, à savoir comment chacun a réinventé l’objet vase. On pourra par exemple y voir des essais de matière avec Brynjar Sigurðarson qui a travaillé sur la composition du verre dans une approche très alchimique, la question de la performance avec Laura Couto Rosado qui a imaginé un vase qu’il faudrait décapsuler ce qu’elle a testé en public, ou encore la dimension sonore abordée par Grégory Granados.
L’exposition va donc être très joyeuse, riche et dynamique dans une grande diversité d’approches. Au-delà de notre échange approfondi entre commissaires, l’échange avec les designers a été particulièrement mis en avant et depuis un an, par le biais d’entretiens téléphoniques quand il n’était pas possible de les rencontrer pour comprendre la clé de chacune des réalisations et la transmettre du mieux possible au public.
De plus La Villa Noailles propose chaque année le Grand Prix Design Parade, devenu aujourd’hui une étape incontournable dans le parcours des designers décerné lors du festival. Le lauréat de ce prix est accueilli en résidence de recherche au Cirva, dispositif complété par une résidence à la Manufacture de Sèvres et plus récemment aussi une collaboration avec Sammode. Un véritable tremplin pour les jeunes designers lauréats de ce prix qui à moins de 30 ans, peuvent alors travailler avec 3 marques, privées et publiques, extrêmement prestigieuses. C’est pourquoi Grégory Granados lauréat du grand prix de Design Parade Hyères 2019, est actuellement en résidence au Cirva.
La collection du Cirva
Elle représente 800 œuvres et reste unique au monde avec ce dénominateur commun qu’est le verre même si l’on s’aperçoit en la parcourant que le verre au Cirva est une matière et non une discipline, comme j’ai coutume de le dire. Ce n’est donc pas une collection de type art décoratif ou de design autour d’un matériau mais une collection plurielle avec des pièces qui peuvent faire appel parfois à d’autres matériaux, même si le verre reste au cœur du processus.
Cette collection s’est constituée au fil des années à la faveur des résidences et toujours en dialogue avec les artistes invités qui avaient la possibilité (et non l’obligation) de laisser une ou plusieurs œuvres au Cirva.
Cette collection est régulièrement prêtée suite aux demandes de prêts d’expositions étant nous-mêmes également à l’initiative d’expositions toujours organisées hors les murs, ce qui explique notamment le partenariat avec les musées de la ville de Marseille.
Il est important de signaler que cette collection est consultable en ligne via le nouveau site du Cirva : www.cirva.fr
Comment le Cirva a pu pendant ce contexte de crise sanitaire continuer à accueillir artistes et designers ?
Le Cirva a la chance d’être considéré comme un lieu de travail, ce qui le distingue de la majorité des centres d’art qui sont avant tout des lieux d’exposition. Dans ce cadre, nous avons pu continuer à travailler. C’est la même règle que pour les théâtres par exemple dans lesquels les répétitions sont autorisées. En tant que lieu de recherche nous faisons partie de ces outils de soutien à la création et aux artistes dont l’importance est renforcée dans le contexte actuel, cet outil étant toujours actif contrairement malheureusement à tous les lieux d’exposition qui se trouvent fermés. Cela ne peut se faire que dans certaines conditions et nous avons dû mettre en place un protocole sanitaire renforcé pour protéger les collègues de l’atelier avec une problématique spécifique dans la mesure où les souffleurs de verre travaillent avec leurs poumons et leur souffle. Un métier qui se trouve d’une certaine manière menacé aujourd’hui par le virus qui circule. Il est d’ailleurs assez étonnant de voir le nombre d’expositions qui commencent à apparaitre autour de la question du souffle.
En tant que structure nous vivons une période plus difficile car comme pour toutes les institutions qui ne sont pas des régies municipales, nous fonctionnons principalement grâce à des subventions et au soutien renouvelé de nos partenaires : l’Etat, la région, la ville de Marseille et le département qu’il convient de remercier dans ce contexte. Mais nous avons aussi une part de ressources propres étant une association avec un budget qu’il a été difficile de boucler l’année dernière et qui nous réserve une bonne dose d’inconnu et de pari pour cette année.
Infos pratiques :
Souffles – 10 designers. 10 ans. 10 vases
Exposition coorganisée avec les Musées de Marseille et la villa Noailles
18 mai–24 octobre 2021
Château Borély – musée des Arts décoratifs,
de la Faïence et de la Mode
132, avenue Clot-Bey, 13008 Marseille
Le Grand Tout, Evariste Richer
Jusqu’au 6 juin
Centre de la Vieille Charité