Pierre Pauze : « Nous vivons un moment historique inédit avec 3, 5 milliards de personnes qui font la même chose au même moment dans une sorte de sentiment de religiosité global, comme si l’humanité était devenue un organisme vivant, sous l’emprise de forces souterraines agissantes et invisibles ».

Please Love Party (teaser), 2019
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FOMO_Podcast : Pierre Pauze, entre collapsologie et apocalypse libératrice

Résident confiné à la Cité Internationale des Arts Pierre Pauze est à l’affiche de la prochaine Biennale de Taipei en duo avec l’artiste June Balthazard, et il est sélectionné pour la 65ème édition du Salon de Montrouge, (reporté en 2021).  Il participe à l’exposition en ligne Lonely, 4ème édition de SPACED IN LOST qui réunit 17 artistes ultra talentueux sur une proposition de Filip-Andreas Skrapic et un commissariat de Yvannoé Kruger.

Révélation Arts numériques – Art vidéo 2019 ADAGP, nous l’avions rencontré lors de la dernière édition du festival OVNI-Camera Camera, aux Magasins Généraux-Pantin et au Fresnoy. 

Né en 1990 en France, Pierre Pauze est diplômé avec les félicitations du jury des Beaux-Arts de Paris. ll a terminé son cursus au Fresnoy – Studio national des arts contemporains et a été le lauréat du prix Artagon et du Prix Agnes B en 2017. Pierre Pauze a récemment exposé son travail aux Magasins Généraux, au Carreau du Temple, à la Villette et à la Fondation Brownstone à Paris, ainsi qu’au Musée Es Baluard à Majorques ou encore au K Museum of Contemporary Art à Séoul. 

1. Quel impact a cette crise sur les projets que vous menez ?

Les impacts sont les mêmes que pour beaucoup d’autres artistes à savoir le report d’expositions et d’autres échéances avec notamment des questionnements sur la logistique de production. Mais je trouve également que cette parenthèse est intéressante, ayant l’habitude de travailler sur des temporalités assez longues avec des phases de herche et d’écriture importantes, ce que je mets à profit. C’est aussi un moment privilégié pour se recentrer sur l’essentiel et prendre du recul par rapport à sa pratique. Comme un pas de côté, une retraite.

Dans le cadre de la Biennale de Taipei sous le commissariat de Bruno Latour et Martin Guinard-Terrin, à laquelle je participe avec l’artiste June Balthazard, elle n’a pour l’instant été repoussée que d’un mois, ce qui la positionnera selon toute vraisemblance comme la première Biennale d’après crise, même s’il est difficile de faire des pronostics. La pièce sur laquelle nous travaillons depuis 2 ans et que je ne peux dévoiler ici, s’inscrit en droite ligne de la Biennale dont le thème : You and I don’t live on the same planet — New Diplomatic Encounters interagit est fortement en résonance avec la crise que nous traversons.

Lonely, Spaced in Lost capture d’écran avec l’œuvre de Pierre Pauze (à droite)

2. Les projections dystopiques de votre univers semblent se réaliser, cette situation anxiogène sera-t-elle une source d’inspiration ?

Dans mes derniers films je parle en effet d’une théorie assez sulfureuse de la mémoire de l’eau et des médecines vibratoires, dont l’un des tenants de cette théorie le français le Pr Luc Montagnier assez controversé, a resurgit récemment dans les médias avec cette hypothèse d’une séquence du VIH dans le génome du virus suivant une fabrication humaine et ouvrant le champ à toutes sortes de théories complotistes. J’aime partir de ces faits que je détourne.

Dans les récits d’anticipation ce qui m’intéresse et au-delà de l’actualité, est de les mettre en regard avec des éléments mythologiques traditionnels. Si l’on peut parler d’une part des théories de l’effondrement collapsologique, d’autre part en poussant le raisonnement jusqu’à son terme à un niveau symbolique, on peut parler de libération, l’étymologie de l’apocalypse d’un point de vue mystique étant le dévoilement. Donc si en effet ce climat peut être anxiogène, en même temps il est assez libérateur, ce qui rejoint ma démarche quand j’essaie de négocier avec différents paramètres de la réalité pour qu’elle devienne autre et supportable. Je peux ainsi à l’échelle de ma pratique prendre une posture pour pouvoir me libérer de certains carcans imposés par une condition qu’elle soit factuelle comme ici ou plus existentielle et vivre des expériences libératrices que j’essaie de partager. Il est évident que je pourrai puiser dans cette expérience.

3. De nombreuses initiatives de soutien surgissent face à l’urgence et grande précarité de beaucoup d’artistes, est-ce un signal fort de besoin de changement ? et lesquelles vous semblent pertinentes ?

En effet on voit poindre de très nombreuses initiatives via les réseaux,ce qui renvoie toujours à la question du statut de l’artiste qui reste encore très précaire et compliquée à résoudre. J’observe que le monde de l’art est une version augmentée de ce qui se passe dans le reste du monde avec les mêmes problèmes liés à l’ultra-libéralisme, les flux, les demandes de production et le même lot d’inégalités dans la répartition des richesses avec un manque de justice sociale. Cet écueil de l’art devenu un objet spéculatif autant économique qu’idéologique existe comme dans d’autres secteurs où règnent les mêmes formes de précarité. En ce qui nous concerne plus spécialement l’un des problème qui demeure est le manque de fédération des artistes comme dans d’autres domaines. 

Les propositions les plus pertinentes à mon sens sont donc celles qui mettent en place avant tout des dynamiques de solidarité locales, dans des relations interpersonnelles entre les gens, des réseaux d’amitiés comme je le constate à mon niveau ici à la Cité des arts où les résidents se sont fédérés pour s’entraider. A un niveau plus global et au-delà des institutions et de l’État qui auront un rôle à jouer ce sont des enjeux plus politiques et ce sera l’unité du monde de l’art et des artistes qui permettra une force de frappe. Dans ce sens certaines initiatives fédératrices seront un bon terrain pour la suite.

SONIC FLUID, 2018 Installation multi-média. Courtesy Pierre Pauze, galerie Eva Hauber

4. A partir de quand évaluez-vous la reprise ? et quels seront les défis pour le monde de l’art pour redonner l’envie et l’acte d’achat ?

Nous sommes assez saturés d’informations en ce moment sur le net en termes de scenarii de reprise et je ne suis pas spécialiste mais si l’on se penche sur l’histoire, les avant-gardes artistiques ont souvent été assez déterminantes dans les mutations sociales et politiques. Je suis convaincu que l’esthétique a un vrai impact sur les sociétés et c’est pourquoi les changements ne vont pas venir d’un niveau structurel -galeries ou institutions- mais par la production même des artistes et leur vision. Si l’on peut être inspiré par ce contexte, on peut aussi être inspirant et c’est l’esprit insufflé par les artistes qui pourra altérer la figure du monde de l’art et par effet rebond, celle du reste de la société.

5. Nos comportements vis-à-vis de l’art vont-ils être changés en profondeur ou les bonnes résolutions disparaître rapidement ?

On parle beaucoup de crise et quand on se penche sur l’étymologie de ce mot il renvoie à décider, faire un choix. On peut alors se demander si la crise est assez forte pour que l’on soit obligés de faire un choix. Il y a beaucoup de spécialistes et de scientifiques qui mettent en garde sur l’effet de cette crise comparée à d’autres meta-crise qui nous attendent notamment au niveau écologique. C’est évidemment un moment privilégié pour se poser des questions à l’échelle collective et en tant qu’individu.

Mais il est difficile de résoudre en effet cet écart entre une volonté de bonnes résolutions et des solutions concrètes et factuelles qui face à la complexité de leur mise en œuvre, deviennent alors un frein. J’aime revenir à cet aphorisme de Nietzsche que j’apprécie beaucoup : « La connaissance tue l’action, pour agir il faut que les yeux se voilent d’un bandeau d’illusion ». J’essaie donc de répondre à ces enjeux par une autre grille de lecture que des éléments purement factuels ou immédiats, pour aller sur un terrain plus métaphysique ou symbolique. Nous vivons un moment historique et assez inédit avec 3, 5 milliards de personnes qui font la même chose au même moment dans une sorte de sentiment de religiosité global comme si l’humanité était devenue un même organisme qui réagit par rapport à un autre élément vivant, une sorte de force invisible.

Cette dimension est très forte sur un plan symbolique et puisque je crois aux symboles, j’espère que ce signal va graver les esprits pour que que d’une part, les artistes s’en emparent et que d’autre part, cette empreinte s’inscrive de durablement comme un rappel, notre mémoire étant très imparfaite. 

L’exposition, Lonely, quatrième édition de SPACED IN LOST lancée le 2 avril en ligne, nous entraîne dans un paysage virtuel peuplé d’êtres isolés en quête d’une union qui flirte avec l’utopie. L’exposition réunit 17 artistes sur une proposition de Filip-Andreas Skrapic et un commissariat de Yvannoé Kruger conseiller artistique chez Manifesto en partenariat avec Socle.

Pierre Pauze avec : Please Love Party 

Les artistes :

https://spacedinlost.com/

Taipei Biennial 2020 :

You and I Don’t Live on the Same Planet

www.tfam.museum

Le Fresnoy | Open Canal les coups de coeur de la semaine

Anne-Laure David – Stagiaire communication nous présente son coup de coeur ️ : Mizumoto de Pierre Pauze

opencanal.lefresnoy.net

Site de l’artiste :

http://www.pierrepauze.com/