🎧Pascal Neveux : « Ce constat clair et immĂ©diat incarne la prĂ©caritĂ© absolue d’une Ă©conomie qui n’est pas Ă  la hauteur des enjeux de ce secteur »

© Le Frac Provence-Alpes-CĂŽte d’Azur / Laurent Lecat

Nous poursuivons notre tour des acteurs de l’art brusquement impactĂ©s par la crise Ă  Marseille, une ville laboratoire, selon les mots de Pascal Neveux, directeur du Frac Provence Alpes-CĂŽte d’Azur qui ne cesse de se rĂ©inventer et attire de nombreux artistes. PrĂ©sident du CIPAC, la FĂ©dĂ©ration des professionnels de l’art contemporain, Pascal Neveux a lancĂ© dĂšs le 16 mars une enquĂȘte, afin de mesurer les retombĂ©es immĂ©diates de cette crise sur le secteur des arts visuels dont il nous redit les enjeux et avancĂ©es.

1. Comment réagissez-vous face à cette crise sans précédent au niveau du Frac, sa programmation et évÚnements associés ?

Tout est allé trÚs vite. Nous étions en séminaire dans le cadre de notre exposition «Des
marches, DĂ©marches» et avons dĂ©cidĂ© dĂšs le samedi14 mars au soir, avant l’annonce du
confinement, de fermer le Frac dans un climat anxiogĂšne qui commençait Ă  s’installer. Nous avons basculĂ© en 48h en tĂ©lĂ©travail en privilĂ©giant pour l’équipe une organisation confinĂ©e Ă  domicile la plus optimale possible. Nous avons aussi optĂ© pour le maintien des salaires, sans faire appel au chĂŽmage partiel, souhaitant rester dans une dynamique de mobilisation de l’équipe qui a formidablement jouĂ© le jeu. Nous avons dĂšs lors adoptĂ© une mĂ©thode de travail assez nouvelle pour nous tous autour de rendez-vous rĂ©guliers en visio-confĂ©rences, devenus assez addicts et pros des diffĂ©rentes plateformes qui permettent cette forme d’échanges rĂ©currents pour pouvoir engager une continuitĂ© qu’elle soit artistique et culturelle, administrative, financiĂšre
 Nous avons la chance de ne pas ĂȘtre impactĂ© aujourd’hui en termes de subventions sur l’exercice 2020 par des baisses, ce qui nous permet donc d’assurer cette continuitĂ© de fonctionnement en interne. Ce moment de retrait, de distance et de rĂ©flexion imposĂ© par cette crise est l’occasion de revenir sur des travaux en cours non aboutis, toujours reportĂ©s face Ă  cette dimension de frĂ©nĂ©sie permanente dans laquelle nous sommes tous, et d’engager avec des postes et missions complexes Ă  mettre en tĂ©lĂ©travail (rĂ©gisseurs, mĂ©diateurs, personnel d’accueil
) un travail de fond sur des outils, des collectes d’information que nous n’avions pas le temps de produire au quotidien.

Pol Bury (1922-2005). « Images pour la ThĂ©orie de la DĂ©marche », ensemble d’essais d’HonorĂ© de Balzac (1799-1850). « La chĂšvre » (2Ăšme Ă©tat) . Estampe. Paris, Maison de Balzac.

2. Les solutions virtuelles ou digitales vous semblent-elles un relai intéressant et pertinent pour assurer continuité et visibilité à vos actions pendant cette période de confinement ?
C’est une rĂ©flexion que nous devions engager de toute façon Ă©tant dans une phase de refonte de notre site internet et face Ă  un constat flagrant de dĂ©ficit de mise en ligne de contenus pĂ©dagogiques, artistiques, d’entretiens, de capsules vidĂ©os etc
La crise sanitaire ne fait qu’accĂ©lĂ©rer cette nĂ©cessitĂ© de pouvoir partager et mettre en ligne une offre la plus large et pertinente possible. Que ce soit #leFracsurvotreweb avec les capsules vidĂ©o de Guillaume Monsaingeon sur « Des marches, DĂ©marches » ou les relectures d’oeuvres de la collection, nous nous devions d’assurer une forme de continuitĂ©, de prĂ©sence virtuelle en inventant des formats et contenus originaux, tout en se projetant dĂšs Ă  prĂ©sent dans l’aprĂšs. En effet tout ce qui est produit maintenant va nourrir la documentation et les archives du FRAC et de sa collection de façon pĂ©renne. Cet effet d’accĂ©lĂ©ration de la crise nous permet paradoxalement d’avoir « le temps » nĂ©cessaire pour rĂ©flĂ©chir et s’inscrire dans une logique Ă  long terme et non plus uniquement Ă©vĂšnementielle. L’urgence est aujourd’hui de ralentir et de construire un autre monde dans notre monde.

Franck Scurti, Street Credibility, 1998. © Adagp, Paris, 2019. Crédit photographique : Klaus Stöber Collection Frac Alsace

3. Quel impact peut avoir selon vous un tel sĂ©isme sur l’Ă©cosystĂšme de l’art Ă  Marseille, les grands rendez-vous annoncĂ©s et les artistes en particulier ?
Nous sommes sur un temps de révélation et de prise de conscience encore plus vif et
impĂ©rieux. Cette crise ne faisant que confirmer les fragilitĂ©s et prĂ©caritĂ©s dĂ©jĂ  existantes de notre Ă©cosystĂšme. Dans une ville comme Marseille qui est devenue, ces derniĂšres annĂ©es, un vĂ©ritable laboratoire artistique avec des dynamiques associatives et institutionnelles trĂšs innovantes et diversifiĂ©es, cette crise est d’une violence rare et vient fragiliser durablement toutes les structures, galeries associatives, lieux de production et de rĂ©sidence, espaces gĂ©rĂ©s par des collectifs d’artistes, etc. Ces lieux mĂȘmes qui faisaient la force et l’originalitĂ© de cette ville. Les premiers touchĂ©s sont malheureusement les artistes et indĂ©pendants, qui se retrouvent aujourd’hui sans revenus, alors mĂȘme que la prĂ©caritĂ© Ă©tait dĂ©jĂ  un Ă©tat de fait avant cette crise sanitaire. Tous nos modĂšles Ă©conomiques sont Ă  revoir aujourd’hui et nous devons tous, chacun Ă  notre Ă©chelle, avec nos moyens faire preuve de solidaritĂ©. L’enquĂȘte lancĂ©e par le CIPAC le 15 mars dernier ne fait que confirmer ce scĂ©nario catastrophique, qui touche tous les acteurs de cet Ă©cosystĂšme. L’enjeu est aujourd’hui de pouvoir nous fĂ©dĂ©rer autour d’un calendrier totalement revisitĂ© et d’envisager que les nouvelles dates d’inauguration de Manifesta 13 soient l’occasion de nous rassembler Ă  nouveau, de nous mobiliser, pour mieux affronter l’avenir.
Nous sommes aujourd’hui plus sur un report de la programmation que sur une perspective d’annulation. Les expositions qui devaient ĂȘtre inaugurĂ©es en juin prĂ©vues dans le cadre de Manifesta seront certainement inaugurĂ©es fin aoĂ»t, si ce scĂ©nario est validĂ© dans les prochains jours. Nous sommes vraiment liĂ©s Ă  une actualitĂ© assez exceptionnelle et atypique qui fait que nous ne sommes pas seuls et repliĂ©s sur nous-mĂȘmes Ă  revisiter notre programmation mais dans un Ă©lan collectif de reprise et de redĂ©marrage.

Dominique Castell, Dessins ricochets (bleu), 2018, stylo bille sur papier, 21 x 30 cm

4. En tant que prĂ©sident du CIPAC, la FĂ©dĂ©ration des professionnels de l’art contemporain, vous avez lancĂ© dĂšs le 16 mars une enquĂȘte, afin de mesurer les retombĂ©es immĂ©diates de cette crise sanitaire sans prĂ©cĂ©dent dans le secteur des arts visuels, quelles en sont les retombĂ©es attendues et dans quel objectif ?
Nos objectifs Ă©taient Ă  plusieurs niveaux. Tout d’abord cela s’inscrivait dans la perspective du 7Ăšme CongrĂšs du CIPAC Ă  Marseille lui aussi reportĂ© de dĂ©but juillet Ă  l’automne trĂšs
certainement. Cette enquĂȘte rĂ©pondait Ă  la nĂ©cessitĂ© Ă©galement de disposer d’une Ă©valuation concrĂšte et chiffrĂ©e Ă  l’instant T. Ne pas s’appuyer sur d’éventuels rapports ou enquĂȘtes menĂ©es il y a plusieurs annĂ©es mais de disposer d’une cartographie immĂ©diate des diffĂ©rents rĂ©seaux et voir quels points d’achoppement et de fragilitĂ© ressortaient. Enfin au-delĂ  du simple constat, de pouvoir porter et dĂ©fendre un certain nombre de mesures d’urgence pour notre secteur auprĂšs du gouvernement et des collectivitĂ©s territoriales. Cette enquĂȘte doit nous permettre Ă©galement Ă  moyen terme d’exploiter ce diagnostic et d’en tirer suffisamment d’analyses pour appuyer les dĂ©marches qui sont les nĂŽtres aujourd’hui de structuration de cet Ă©cosystĂšme des arts plastiques. Nous avons Ă©tĂ© trĂšs surpris car bien que l’enquĂȘte soit Ă  l’origine destinĂ©e aux 28 rĂ©seaux adhĂ©rents du CIPAC, elle a Ă©tĂ© diffusĂ©e bien au-delĂ , beaucoup d’artistes y ayant rĂ©pondu Ă©galement, ce qui donne un retour de plus d’un millier de questionnaires Ă  ce jour. Cela nous permet d’avoir une lecture Ă  la fois rĂ©gionale et nationale avec un premier constat et signal fort : Plus de 80 % des projets prĂ©vus en mars et avril impliquaient des artistes, la question sous-jacente de leur rĂ©munĂ©ration, du maintien des engagements et des revenus prĂ©vus, est une prioritĂ© absolue pour leur garantir tout de suite et maintenant un revenu minimum et pouvoir envisager le report des actions envisagĂ©es avec sĂ©rĂ©nitĂ© lorsque le moment sera venu. Nous observons aussi que l’ensemble de l’écosystĂšme est impactĂ©, que ce soient les critiques d’art, les commissaires, les restaurateurs, toute la chaĂźne de production, les lieux de rĂ©sidence, les galeries. On se rend bien compte du dĂ©calage Ă©norme entre la trĂšs fragile structuration de notre Ă©cosystĂšme et la rĂ©alitĂ© des activitĂ©s qui sont donnĂ©es Ă  voir sur l’ensemble de notre territoire national. L’attractivitĂ© culturelle de nos territoires reposent sur la prĂ©sence d’artistes et la mobilisation militante de nombreux rĂ©seaux, qui aujourd’hui doivent affronter cette crise dans des conditions de trĂšs grande prĂ©caritĂ©. L’enquĂȘte court jusqu’au 15 avril et nous sommes encore en phase de dĂ©pouillement. Ces Ă©lĂ©ments nous permettront de pouvoir communiquer trĂšs rapidement sur ces retours mais le diagnostic est d’ores et dĂ©jĂ  sans appel.

5. Pensez-vous qu’en matiĂšre de conscience Ă©cologique cette crise soit une alerte et entraĂźnera des changements durables dans nos habitudes et comportements pour concevoir et montrer de l’art, le partager et le vivre ?
Il le faudra absolument. On ne peut pas se dire que tout reprendra comme avant Ă  l’issue de cette crise sanitaire. Il y a une vraie prise de conscience ressentie dans les Ă©changes et les rĂ©unions que l’on a entre diffĂ©rents lieux, rĂ©seaux, artistes, d’un nĂ©cessaire changement. Un changement d’attitude, de rythme, dans une dynamique de transition Ă©cologique pour ĂȘtre dans une approche plus respectueuse de nous tous et de notre environnement. Cela implique de revoir nos programmations Ă  l’aune de partenariats plus nombreux et responsables, de se soucier plus et mieux de notre scĂšne artistique, d’aller Ă  la rencontre d’artistes peut-ĂȘtre laissĂ©s trop longtemps sur le bord du chemin, de travailler plus en profondeur, de partager et mieux faire circuler les projets, d’ĂȘtre moins dans des logiques Ă©go-centrĂ©es de programmation, d’envisager d’autres formes de visibilitĂ©, de revoir enfin les coĂ»ts engagĂ©s sur la production des expositions au regard des rĂ©munĂ©rations proposĂ©es aux artistes et des financements directement rĂ©investis dans la production d’oeuvres. Beaucoup de rĂ©flexions qui font aujourd’hui consensus dans une logique nouvelle de dĂ©cĂ©lĂ©ration en ce moment si particulier. Il est temps de penser totalement diffĂ©remment nos fonctionnements, nos usages, nos habitudes. C’est une
rĂ©forme totale de notre Ă©cosystĂšme que nous devons conduire et nous nous devons d’en ĂȘtre les acteurs responsables et engagĂ©s.

En Ă©coute : 🎧

FOMO_Vox Pascal Neveux, directeur Frac Marseille, président du CIPAC

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Marie de la Fresnaye