Jeanne Susplugas vue de l’exposition Mrac Occitanie Sérignan photo ©Aurélien Mole
De générations différentes mais portées par des enjeux proches : Anne-Marie Schneider, Jeanne Susplugas et Naomi Maury déploient leurs constellations au sein des espaces du Mrac, tandis qu’un nouvel accrochage des collections en dialogue avec les œuvres du CNAP revisite une histoire récente de l’art (1967-2023) autour du statut des images sous le dénominateur « Cosa ». Clément Nouet, directeur du Mrac nous dévoile les prochaines expositions labellisées « Olympiades Culturelles ». Le musée se met au diapason avec d’une part l’exposition « Performance » dans le cadre d’une commande photographique nationale et d’autre part avec une exposition co-curatée par Raphaël Zarka « Fortuna » autour de l’univers des formes du skateboard. Des projets ambitieux, ce dont se félicite Clément Nouet qui a répondu à mes questions.
Visitorat : le contexte particulier de Sérignan
Clément Nouet. Nous avons un très grand musée pour une ville de 7000 habitants. Venir à Sérignan reste un défi pour nos visiteurs, il n’y a pas de transport en commun si ce n’est un bus par heure depuis Béziers. Le visiteur qui se déplace fait donc un vrai choix, c’est pourquoi nous souhaitons offrir une programmation exigeante comme aujourd’hui avec 4 expositions. Actuellement, nous présentons une grande exposition consacrée à l’artiste Anne Marie Schneider, une artiste émergente du territoire Naomi Maury, lauréate du prix Occitanie Médicis et une exposition consacrée à Jeanne Susplugas dans le Cabinet d’arts graphiques. Jeanne a une longue histoire avec le musée, on y reviendra. Et tout cela est complété par un nouvel accrochage des collections.
Les liens qui se font entre ces différentes artistes femmes sont-ils dû au hasard ?
La programmation du musée est travaillée comme un ensemble. Les expositions se répondent et se complètent. On se rend compte que les artistes de générations différentes ont parfois des préoccupations proches.
Naomi Maury : Exoskelet light
Naomi est une des artistes des plus talentueuse de l’Occitanie ! Lauréate du Prix Occitanie-Medicis 2022, c’est sa première exposition monographique dans un musée. Un de ses axes de recherche à Rome lors de sa résidence a été la femme gladiatrice. Il en existe peu ou pas de reproduction dans la cité éternelle. Elle rapproche aussi la figure du gladiateur antique de la figure du cyborg dans une vision futuriste et transhumaniste.
Dans l’exposition, on retrouve ce qu’elle appelle des « familles de sculptures » en métal et la présence de grands halos lumineux. Sur chaque sculpture, on retrouve, comme des extensions des prothèses ou des orthèses en métal tissé. L’ensemble de ces dispositifs ont été activés au moment du vernissage par des performeurs. Au centre de l’exposition, son nouveau film The meaning of light retrace l’odyssée d’une communauté dans un temps indéfini, le jour du solstice d’été. Les personnages du film partent à la recherche de plastique dans la nature afin de nourrir un champignon. L’artiste explore la théorie du vivre ensemble et du soin et de l’interdépendance de l’ensemble des êtres vivants.
Dans le cadre de cette exposition, le Mrac a édité l’ouvrage The meaning of light avec un superbe poème de Laura Vazquez lauréate du prix Goncourt de la poésie que Naomi a rencontré lors de sa résidence à la Villa Médicis. La première édition consacrée à Naomi !
Jeanne Susplugas au Cabinet d’arts graphiques : « Occasions perdues »
Jeanne, comme je le disais plus haut, a une longue histoire avec le musée. C’est une artiste du territoire. Elle a déjà exposé au musée en 2009 lors d’une exposition autour du dessin et nous avons aussi deux très belles photographies dans nos collections. Un des enjeux de cette exposition est de montrer la pluralité de son travail, la richesse et la diversité d’une pratique. L’artiste explore une large palette de médiums : le dessin, la vidéo, sculptures, l’installations pour pointer nos maux contemporains. Au-delà des belles couleurs, de formes rondes et douces, des éclats lumineux que se cache-t-il derrière ces boules à facettes en forme de molécule ? Une seconde lecture sous-jacente plus inquiétante s’en dégage. Dans le grand wall painting, on déchiffre un certain nombre de phobies. La solitude, l’addiction, le malaise, la dépendance, le repli sur soi sont autant d’explorations et de pistes suggérées. Chaque visiteur va finalement créer son histoire à travers tous ses scénarios. Le titre renvoie à une phrase de Romain Gary dans la Promesse de l’aube « La vie est pavée d’occasions perdues ».
Anne-Marie Schneider, vue de l’exposition « Le cercle est le monde », Mrac Occitanie, Sérignan, 2023. Photo : Aurélien Mole.
Anne-Marie Schneider « Le cercle est le monde »
Depuis le début des années 1990, Anne-Marie Schneider a su développer une pratique unique, presque à contrecourant des modes. Le dessin occupe chez elle une place essentielle, lui permettant de déployer au jour le jour les aléas de sa vie quotidienne. Mais chez elle, ce processus proche du journal intime est sublimé. Les émotions, les sensations sont assujetties au travail de l’inconscient. Le réel y devient une émanation d’un rapport circonstancié, presque onirique, avec la pesanteur des aléas du monde. Souvent ses dessins prennent également une dimension plus directement politique. Anne-Marie Schneider s’emploie alors à décrypter les errements de notre culture. Le rêve vire au cauchemar et atteste de la difficulté à faire face aux dictats des forces issues du pouvoir politique ou économique. On présente également des œuvres plus récentes, qui sont marquées par le passage à la couleur et aux grands formats. C’est un travail qu’on connait moins de cet artiste.
Pourquoi selon vous Anne Marie Schneider n’a –t-elle pas eu la reconnaissance méritée ?
Cette génération d’artiste ; et surtout d’artiste femme qui ont travaillé le dessin et la peinture n’ont pas eu la reconnaissance sur la scène internationale qu’elles méritent. Je considère Anne-Marie Schneider comme une des très grandes artistes contemporaines. Son travail est fascinant, engagé et percutent. Je suis vraiment heureux de pouvoir montrer ce travail à Sérignan.
La scénographie en collaboration avec le Pavillon Bosio (Monaco)
C’est une collaboration qui se poursuit avec le Pavillon Bosio ! pour la seconde fois, des étudiants de l’école ont travaillés la scénographie de l’exposition. Une expérience professionnalisante qui s’inscrit dans le cadre du diplôme de master. Ils ont proposé cette scénographie avec des panneaux suspendus en bois qui fonctionne très bien pour le travail d’Anne-Marie Schneider. D’autres étudiants travaillent à nos futures expositions. C’est important pour le Mrac de travailler avec des écoles d’art et des futurs professionnels.
Accrochage de la collection « Cosa » : les enjeux
Chaque année le Mrac renouveler entièrement son accrochage pour proposer une nouvelle variation à partir de son fonds aujourd’hui constitué de plus de 560 œuvres. Le parcours qui s’éloigne des rapprochements traditionnels offre un dialogue entre des œuvres d’artistes de générations différentes pour permettre un nouveau regard sur les collections du musée. L’accrochage ne répond pas à des données chronologiques mais propose des rapprochements formels, stylistiques ou esthétiques avec une diversité d’œuvres (peintures, dessins, photographies, sculptures, installations…), permettant de découvrir des artistes phares de la scène contemporaine : Daniel Buren, Vera Molnar, Nathalie Du Pasquier, Jacques Monory, Raymond Petitbon… mais aussi des artistes du territoires de l’Occitanie de différentes générations : Audrey Martin, Claude Viallat, Vincent Bioulès, François Daireaux, Valérie Du Chéné… Le titre de cette nouvelle exposition de collection intitulée « Cosa » est emprunté au titre d’une des œuvres de l’exposition du peintre new-yorkais Steven Parrino. L’exposition engage un dialogue sur le statut des images, leur migration d’un champ à un autre et les rapports féconds que la peinture entretient avec d’autres médiums. Le titre de l’exposition évoque aussi explicitement la définition du grand maître italien de la Renaissance Léonard de Vinci : l’art est « cosa mentale ».
Vue de l’exposition « Cosa », Mrac Occitanie, Sérignan, 2024. Photo : Aurélien Mole.
A cette occasion l’artiste Pierre Leguillon propose Projecteur, installation inédite au sein de Cabina de Nathalie Du Pasquier, deux artistes exposés au Mrac
En 2015, lors de son exposition personnelle au Mrac, Le Musée des Erreurs : Barnum, Pierre Leguillon avait invité Nathalie Du Pasquier à intervenir dans son Teatrino Palermo (2009). Aujourd’hui, il intervient à son tour dans Cabina de Nathalie Du Pasquier, installée au sein des collections permanentes. Pierre Leguillon présente des collections d’images, toutes cousues sur des tissus imprimés qui rappellent les compositions de peintures abstraites géométriques. Il s’agit de clichés publicitaires, de photographies d’exploitation destinées à la promotion d’un film, des images qui n’ont plus rien à vendre et qui sont recyclées comme sur un patchwork ou un écran que l’on déploie.
Le Mrac faisant partie des Olympiades Culturelles, pouvez-vous nous en dire plus sur l’exposition avec Pascal Beausse, CNAP ?
Elle découle d’une longue amitié entre le Mrac et le Cnap. Le Cnap m’a proposé d’accueillir la première étape de l’itinérance de l’exposition « Performance » il y a 2 ou 3 ans. Pascal Beausse en est l’initiateur. Ouvert à une diversité de pratiques photographiques, l’exposition « Performance » se saisit de la thématique du sport ; se faisant l’écho de notre monde, de ses enjeux contemporains et de son rapport avec les nouvelles représentations du corps performatif, dans le cadre des Olympiades de la culture organisées en préparation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. L’exposition réunit 10 photographes de génération différente avec des univers singuliers.
Je travaille en parallèle avec l’artiste Raphaël Zarka à une exposition collective « Fortuna »qui évoque les formes et les espaces du skateboard. Ce ne sera pas une réponse littérale au sujet, il n’y aura même aucune image de la célèbre planche de bois dans l’exposition. On abordera des notions de la ligne, la trajectoire, la chute, l’angle droit, la verticalité, le tout étant relié par l’espace. Il y aura des œuvres de nombreuses collections, de nouvelles productions et des œuvres in situ. Nous sommes par avance très enthousiastes par l’ensemble de ces projets !
Infos pratiques :
Anne-Marie Schneider « Le cercle est le monde »
Naomi Maury Exoskelet light
Jeanne Susplugas Occasions perdues
Nouvel accrochage des collections