Musée de la photographie de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Charleroi)
A l’occasion des nouvelles expositions : du photographe suisse Peter Knapp, belge Thomas Chable, américain Elliot Ross, de la Galerie du Soir avec Natalie Malisse et Camille Seilles (Belgique) et de la Boîte Noire avec Ingel Vaikla (Estonie), rencontre avec le directeur du Musée de la photographie de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Charleroi) : Xavier Canonne. A la tête du musée depuis 2000, il en a profondément modifié la structure et élargi sa sphère d’influence et son rayonnement. Avec une aile supplémentaire ouverte en 2008, la surface totale passe à 6000m ² avec outre les espaces d’exposition, un centre de recherche, boutique, café et parc accessible au public. Visite de la fascinante collection avec un passionné de l’image et très grand connaisseur du Surréalisme qui prépare deux expositions à l’occasion du Centenaire du Mouvement tout d’abord à Bozar (Bruxelles) à la fin du mois puis au Musée de Charleroi en septembre.
Docteur en histoire de l’art et de l’archéologie, Xavier Canonne consacre sa thèse au Surréalisme en Belgique.
En mars 2000, il prend la direction du Musée de la photographie de Charleroi, après avoir présidé la Commission consultative des Arts plastiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles et dirigé la collection de la Province de Hainaut. Editeur (Marées de la Nuit), conférencier d’histoire de l’art, commissaire d’expositions, il est aussi l’auteur d’ouvrages comme, Le Surréalisme en Belgique 1924-2000, (Fonds Mercator à Bruxelles, 2006), Un abécédaire pour La Louvière / Le surréalisme dans les collections de La Louvière (2012, Ed. Marot), Requiem pour un homme seul(Les Marées de la nuit, 2011) consacré au film Le Samouraï de Jean-Pierre Melville et Marcel Mariën, ou Le passager clandestin (Pandora Pubishers, 2013).
Xavier Canonne, directeur du Musée de la photographie de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Une traversée des collections et de l’histoire de la photographie : parcours avec Xavier Canonne
La collection est constituée d’1,5 M de négatifs et autour de 100 000 tirages. Elle continue de s’étoffer. Parmi les photographies en dépôt se trouvent l’importante collection de la Fédération Wallonie-Bruxelles et une partie des collections photographiques de la Province de Hainaut, le tout contribuant à retracer les jalons principaux de l’histoire de la photographie. Ces photographies sont à vocation documentaires, vernaculaires mais aussi muséales.
Le parcours suit deux axes ; d’une part un accrochage chronologique depuis les premiers daguerréotypes du 19è jusqu’aux années 1970 et d’autre part dans la nouvelle aile, une approche plus thématique à partir d’un dialogue entre différentes périodes et auteurs.
Au début de cette histoire nous exposons les premières images directement imprimées sur le métal à partir de solutions de sels d’argent qui restent non reproductibles faute alors de négatifs. En matière d’accrochage les images changent autant que cela est possible afin de les préserver et d’offrir au public un panel large sur cette période d’expérimentation.
Nous faisons en sorte que la photographie soit le moins possible exposée à la lumière par un système de détecteur de mouvements.
Nous avons opté pour un parti pris chronologique mais pas géographique, la photographie étant une invention collective. Quand les photographes se sont trouvés face à cette invention qui reste d’abord scientifique, ils se sont demandés quels sujets aborder dans le contexte de l’industrialisation et par exemple la construction de ponts sur le Nil dans laquelle la Belgique par l’acier était très impliquée, les voyages mais aussi l’exotisme ou la guerre, la Commune et le siège de Paris.
Nous avons aussi une section dédiée aux appareils comme cet ppareil à objectifs multiples à la fois boite d’ébénisterie et d’optique qui permettait de sortir 6 photos-cartes de visite à l’époque où les portraits commençaient à être demandés. A noter cette photographie tragique de 1897 de zoos humains à Terveuren, ou bien ce photomontage dans les mines exécuté par un photographe de la région dans le cadre d’une exposition industrielle. Les coupes correspondent aux différentes sections d’une mine jusqu’à l’étage supérieur avec une femme et un cheval de trait qui menaient le charbon aux ascenseurs.
Nous proposons une salle consacrée au pictorialisme, réaction artistique contre la commercialisation de la photographie. Ces photographes ont voulu donner par le flou, l’impression de la peinture ou du dessin ou offrir ce sentiment de la couleur par le biais de procédés de teintes ou de virements chimiques. Nous exposons le photographe belge internationalement connu à cette époque Léonard Misonne. Ingénieur au départ, il est passionné par la peinture impressionniste.
Nous avons choisi de faire démarrer le 20ème siècle avec la guerre 14-18, qui est le vrai tournant du siècle. Ces photographies sont faites par les soldats ou les services des armées. Photographie connue de cette femme Anna Colleman Ladd qui parvient à redonner un visage aux « gueules cassées » à l’aide d’un masque peint.
Le musée a connu de nombreuses transformations pour en rationaliser la présentation. Cela a permis de pouvoir exposer des séries comme celles d’August Sander ou d’Atget. Penchons-nous sur le photographe Robert de Smet qui travaillait pour le collectionneur et couturier Van Hecke, sur lequel je fais des recherches. Ses archives sont rares. Arrêtons-nous sur les images de Willy Kessels des années 30 sur le tournage du film « Misère au Borinage », film manifeste, et dont la force reste d’actualité. Je souhaitais mettre l’accent également sur l’importance du magazine, du livre et du cinéma. Quelques exemples de la Nouvelle Objectivité Belge des années 1950 avec Julien Coulommier, Robert Morian, Bill Brandt. Exceptionnelle série également de Diane Arbus.
Dans la nouvelle aile nous quittons l’approche chronologique et procédons par affinités autour de thématiques. Nous mélangeons les époques et les auteurs afin de créer une dynamique dans notre accrochage et ne pas s’endormir dans nos habitudes en reprenant toujours les mêmes auteurs. Par exemple une photo de Stephen Shore est mise en dialogue avec une publicité pour Agfa du port de New York. Ou un focus sur le photomaton.
Quels facteurs expliquent-ils la présence à Charleroi d’un musée de la photographie de cette importance ?
Cela remonte aux années 1970 quand Charleroi était une région industrielle puissante et prospère avec le charbon, le verre..puis la ville a connu un véritable déclin. Il y avait des photographes qui se sont intéressés à cette transformation du paysage et ont commencé à collecter des archives. Ils se sont organisés en une association située dans une maison en centre-ville de Charleroi. A ce stade, il n’y a pas encore de musée de la photographie en Belgique, le musée d’Anvers sera créé en même temps que le nôtre. Quand la communauté française a décidé de mener sa politique culturelle, il y a avait d’une part cette démarche existante et d’autre part cet ancien carmel dont le profil n’était pas défini. Le bâtiment était en mauvais état et a connu plusieurs phases d’aménagement.
Mon prédécesseur Georges Vercheval a mené les travaux d’assainissement et à mon arrivée, en 2000 je les ai poursuivis et ai fait construire la nouvelle aile. Cela n’a pas été simple au départ mais nous avons pu aussi sauver le parc et l’offrir au public pour en faire un lieu de vie.
Vue de l’exposition Thomas Chable Au-dessus des nuages, Musée de la photographie de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Budget, acquisitions
Notre budget est de 50 000€ ce qui est tout à fait insuffisant. Au fur et à mesure de la valeur croissante du marché, nos moyens sont de plus réduits. Il nous faut compléter un déficit chaque année. Je dois trouver différentes solutions dont la coproduction. Beaucoup de nos expositions sont ainsi coproduites comme celle de Bertrand Meunier (collectif Tendance Flou) avec le Musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône ou Peter Knapp avec la Fondation Suisse de photographie (Winterthur). De plus, il est convenu que les photographes laissent une œuvre minimum au musée. Le système permet ainsi aux photographes de rester exposés par la suite dans les collections. Il est possible aussi de déposer des propositions d’achats au gouvernement.
Quelle est la définition selon vous d’un musée de photographie ?
Quand je suis arrivé ici j’étais persuadé que j’allais diriger un musée d’art et je me suis rendu compte que j’avais à la fois un musée artistique, historique et sociologique, chaque photo étant constitutive d’un discours, une fenêtre qui s’ouvre sur le monde.
Notre propos n’est pas de faire des visiteurs des historiens de l’image mais de faire réfléchir à ce qui constitue une image, quel est son hors champ, sa fonction. Les musées doivent témoigner de différentes pratiques c’est la vocation des expositions temporaires mais aussi de mener une réflexion et revisiter cette archive.
Quelle est votre politique en matière de dons ?
La première question qui se pose est l’intérêt du don, l’importance du photographe en Belgique et notre aptitude à héberger, étudier ce don et le conserver. Tout un travail d’inventaire et d’évaluation qu’il faut mener long terme. Cela pose des questions d’espaces et de personnel. Nous avons un vrai problème et j’ai écrit en ce sens à la Ministre. Il faudrait songer à une rationalisation des moyens entre différents musées en Belgique.
Vue de l’expositon Peter Knapp. Mon temps, Musée de la photographie de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Peter Knapp : genèse de l’exposition
Cela nous avait été suggéré par Baudoin Lebon et comme la Fondation Suisse pour la photographie (Winterthur) avait ce projet, je l’ai rejoint. Nous avons reconditionné l’eposition ici pour correspondre aux espaces. Cela m’intéressait de montrer un homme qui n’était pas que photographe mais aussi directeur artistique, graphiste. On peut parler d’un « style Knapp » avec le cadrage, les innovations… Il y a une véritable adéquation entre le modèle, le mouvement et l’époque. C’est bien pour cela que le commissaire a choisi comme titre « Mon Temps ». Nous exposons notamment cette étonnante commande de la ville de Genève pour laquelle il a demandé à des femmes enceintes d’horizons différents de venir poser, ce qui donne une série très innovante si l’on songe par exemple à la campagne : United Colors of Benetton.
Typologie du public
Il est majoritairement belge et au niveau du public scolaire de la région de Charleroi. Les Flamands se déplacement volontiers et apprécient le musée. Dans les autres nationalités : la France et les Pays-Bas arrivent en tête.
Nombre de personnes travaillant au Musée ?
Le musée emploie 37 personnes pour 28 équivalents temps plein. Il me manque 5 personnes environ si je voulais être complet en nos missions.
Comment vous positionnez vous face à l’évolution actuelle de la photo ?
En tant que directeur je dois surtout témoigner de ses différents états. Comment éduquer le regard ? comment trier face à la somme d’images qui nous arrivent ? Ce n’est pas parce que l’on a un appareil photo que l’on est photographe, au même titre que l’on ne devient pas écrivain parce que l’on a un stylo ou un ordinateur. Si je prends ma propre expérience, j’ai plus appris dans les livres et les musées que dans des cours.
Ce qui va être à mon sens l’un des enjeux des musées comme des photographies ce sont ces images créées par l’intelligence artificielle et ce dépassement de la vérité qui peut être intéressant dès lors qu’il s’accompagne d’un discours. Si nous assistons à cette folie autour de la photographie, c’est en partie dû au manque de formation artistique je le crains. La photo s’est imposée comme une sorte d’urgence à montrer et à créer. Je pense que ce seront les meilleurs qui surmonteront car si l’on se penche sur les photos de conflits actuels, laquelle ou lesquelles surnageront dans l’histoire, comme le soldat espagnol de Capa ou le Débarquement de Normandie ? Celles qui cristalliseront durablement un moment de ce temps.
Ce qui me semble préoccupant est ce qui restera comme témoignage d’un temps. Les gens ne regardent plus leurs photos, ne les impriment pas et ces photos resteront dans des clouds à leur disparition. Le vernaculaire disparait peu à peu comme les planches contact qui permettaient de prendre du recul et de choisir.
Place de la vidéo ?
Nous en avons assez peu. Ce n’est pas un support facile et je souffre d’un manque de place. La vidéo est coûteuse non seulement dans les achats mais dans la maintenance des appareils.
La Boîte Noire
Nous avons décidé de montrer des films non pas de narration classique mais offrant une réflexion photographique. Actuellement nous proposons la démarche d’Ingel Vaikla, artiste estonienne résidant en Belgique qui a réalisé un film sur le pavillon Yougoslave de l’Exposition Universelle de 1958 devenu un collège. Une réflexion entre le passé et le présent sur l’architecture.
La Galerie du Soir
L’idée était de montrer des photographes émergents avec comme principe un commissaire invité, Jean Marie Wynants, critique artistique du quotidien Le Soir dans le cadre de notre partenariat. C’est toujours une découverte.
Comment êtes-vous venu à cette passion du surréalisme ?
Comme un gamin qui peut avoir la même passion pour le football !
J’ai lu des textes à 16, 17 ans et avec le culot d’un adolescent j’ai écrit aux uns et aux autres qui m’ont aimablement reçu. J’étais sans doute prédestiné dans le sens où mon père avait connu un surréaliste à La Louvière et je me souviens combien des tableaux de Magritte m’avaient impressionnés à travers des cartes postales ou des affiches comme cette lune devant un feuillage. J’ai rencontré Armand Simon et les Scutenaire, grands amis de René Magritte. Ils avaient une maison à l’époque rue de la Luzerne à Bruxelles avec de très nombreux tableaux et dessins que je voyais pour la première fois en dehors d’un musée. C’est à partir cela que s’est constitué le musée Magritte d’aujourd’hui. Il y a aussi Marcel Mariën qui a beaucoup compté pour moi. Nous avons travaillé ensemble. J’ai sans doute eu de la chance car à 16 ans on n’a pas nécessairement le bagage intellectuel suffisant pour échanger avec de tels personnages.
Les deux expositions en préparation : à Bozar et au Musée de la photographie
Celle de Bozar dont je suis commissaire, intitulée « Histoire de ne pas rire » est concentrée sur le surréalisme en Belgique mais avec des oeuvres d’artistes internationaux : Dali, Masson, Miro… afin de montrer les collaborations qu’il y a eu dans les années 1930 entre la Belgique et la France. L’exposition va réunir 300 pièces et une centaine de documents. Je ne voulais pas m’arrêter à la mort de Magritte. Je voulais montrer l’existence de trois générations de surréalistes jusqu’aux années 1980. J’ai voulu construire l’exposition à partir de celui qui est pour moi l’homme clé du surréalisme en Belgique : Paul Nougé, l’André Breton belge si je voulais donner une idée de son rôle. La tête pensante de ce groupe sans lequel, Magritte n’aurait pas été tout à fait Magritte. Il va être le fil conducteur du parcours.
Ici, au mois de septembre, l’exposition Surréalisme pour ainsi dire reprendra les photos de la collection du musée augmentées de quelques emprunts. Nous possédons un fonds surréaliste important. L’eposition réunira 140 photos avec beaucoup de livres et de revues également, un angle qui me parait très important. Il sera difficile de faire plus complet que la « Subversion des images » du Centre Pompidou où nous avions prêté des pièces.
Infos pratiques :
Peter Knapp, Mon Temps
Thomas Chable, Au-dessus des nuages
Elliot Ross, Seeing animals
Natalie Malisse et Camille Seilles, Le coeur à même la peau (Galerie du Soir)
Ingel Vaikla Papagalo, What’s the Time ? (Boîte Noire)
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