Romane de Watteville, « I Wonder How Many More Memories I’m In » 2022 courtesy l’artiste, galerie Ciaccia Lévi, production Centre Culturel Suisse
Le Centre Culturel Suisse à Paris soutient des expositions partout en France pendant ses travaux. Trois centres d’art rennais se mettent à l’heure helvète pour l’occasion autour de : Romane de Watteville à 40mcube, Judith Kakon à La Criée et Basim Magdy au Frac Bretagne qui expose également l’artiste argentine Liv Shulman. L’occasion d’une journée riche autour de mediums variés, peinture, sculpture, vidéos et photos selon l’ortre de citation des artistes. Rennes cristallise les énergies alors que la Collection Pinault dévoilera cet été « Forever sixties » avec cen contrepoint Jeremy Deller au Frac, musée des Beaux-arts et La Criée.
Studiolove, Romane de Watteville (40mcube)
J’ai découvert Romane lors de Paris Internationale 2022 sur le stand de la galerie Ciacci Lévy. Coup de cœur pour ses collages pastiches aux couleurs pastels qui rejouent la grande tradition picturale de l’autoportrait. Elle rend hommage pour cette première exposition personnelle dans une institution française à la mécène et collectionneuse Isabelle d’Este dont le rôle a été déterminant pour la Renaissance et l’histoire de l’art. Le studiolo et la Grotta de la Marquise de Mantoue deviennent des références dans toute l’Europe. Un goût pour la collection que s’approprie Romane à partir d’images qu’elle glane sur les réseaux sociaux, seflies et emprunts au cinéma, à la mode… dans une perspective qui oscille entre la sphère domestique et l’atelier de travail. La mise en scène très sobre joue de code couleurs entre le papier peint pensé tout spécialement et les toiles. L’artiste aime se mettre en scène dans une posture du female gaze comme dans le triptyque « I Wonder How Many More Memories I’m In », ses chaussures très années 1970 jouent sur le côté fétichiste du désir pendant que son partenaire prend une touche dans un clin d’œil à David Hockney. Au centre, son téléphone mange son visage dans une profusion de motifs qui rappelle la marqueterie très raffinée de certains meubles. Sur le côté gauche, dans un décor de Renaissance un Pierrot renvoie à Watteau. On flirte avec le Maniérisme et nombreuses sont ses références et chaque regardeur peut y trouver les siennes. Une autre toile plus petite fait un zoom sur ce qui ressemble à l’intérieur d’une salle de bain. Sur le bord du lavabo entre les accessoires du maquillage, un tableau (le tableau dans le tableau) renvoie à la fameuse toile du musée du Louvre de Gabrielle d’Estrées, maîtresse d’Henri IV et l’une de ses sœurs, qui fit scandale. D’autres peintures avec des fraises soulignent le désir et ses codes. Dans un dytique l’allusion se fait plus directe, un couple étant lascivement enlacé sur un lit ressemblant à une sècne de théâtre.
Diplômée de l’ECAL (Lausanne), Romane a reçu le Prix Mobilière lors de la 10ème édition d’Art Genève en 2022, un coup de projecteur bienvenu pour cette très talentueuse artiste qui, après la galerie Fabienne Lévy de Lausanne, a eu sa première exposition personnelle à Paris à la galerie Ciacci Lévi.
Studiolove
Jusqu’au 13 mai
Studiolove – Romane de Watteville — 40mcube
Après la remarquable exposition autour de la Collection de François Vallée avec le Musée des Beaux-arts, 40mcube, centre d’art contemporain d’intérêt national montre sa capacité à multiplier les synergies. Relire mon interview avec Anne Langlois, directrice 40mcube, avril 2020 (lien vers)
Grand Air, Judith Kakon (La Criée)
L’artiste bâloise propose une installation qui repense la question de l’espace public et du rituel populaire, en l’occurrence les guirlandes lumineuses. A l’heure d’une gestion plus économe et durable, plusieurs villes ont fait le choix de ne pas se livrer à des débauches d’énergie à l’occasion des fêtes de fin d’année, le geste de l’artiste interroge d’autant plus donnant à voir les coulisses et la face cachée de ces symboles. La Criée étant un service municipal de Rennes, Judith a eu l’autorisation de récupérer ces objets contrairement à Bâle où cela n’a pas été possible. Opérant un déplacement de la forme et de l’usage, l’ensemble « Recess and Incline (Rennes 2023) » propose comme un paysage endormi et au ralenti où chacun fait défiler les souvenirs et les images de ces périodes joyeuses souvent liées à l’enfance. Même si leur caractère à l’arrêt laisse une note dissonante, une nostalgie en sourdine. L’on songe aussi à des grands motifs de l’art minimal ou aux constructivistes russes et à la fameuse Tour Tatline. Dans l’autre salle du centre d’art Judith poursuit sa réflexion sur le réemploi avec la série de photos des parapluies abandonnés dans nos villes. Des « images disparates » qui disent le flux d’association possibles, la polysémie étant au cœur de sa démarche en référence à Edouard Glissant qu’elle cite volontiers. Avec les étiquettes de colins postaux collectées pendant le confinement affichés de façon standardisée il s’agit encore de déplacer le regard et déjouer les attentes. La question de la valeur de l’objet et sa traduction dans la sphère artistique à une période où les liens sont devenus essentiels, est convoquée de façon consciente et ouverte. De même que des images religieuses comme la Samaritaine devenue une entreprise capitaliste globalisée dont l’origine remonte à une pompe hydraulique dans le quartier du Marais à l’époque d’Henri IV et à la figure biblique qui secoura le Christ en Samarie.
Après l’exposition pleine de poésie mélancolique de l’artiste libanais Charbel-joseph H. Boutros, Sophie Kaplan directrice du centre d’art d’intérêt national poursuit une programmation à la fois ancrée localement et ouverte sur l’international.
Relire mon interview avec Sophie Kaplan, janvier 2020 (lien vers)
Grand Air
GRAND AIR – La Criée centre d’art contemporain (la-criee.org)
Basim Magdy, Frac Bretagne
« Always remember there was life before the internet » FEARDEATHLOVEDEATH
Dans le cadre également de la programmation Hors les murs du Centre Culturel Suisse, le Frac Bretagne propose la première exposition en France de l’artiste d’origine égyptienne basé à Bâle, Basim Magdy. Il faisait partie de la dernière Biennale, les Ateliers de Rennes sous le commissariat d’Etienne Bernard et de Céline Kopp. Organisée comme un diorama d’images en mouvement, l’exposition propose une traversée au cœur de nos systèmes de croyance et archétypes collectifs. Les films récents côtoient des peintures, l’artiste s’étant de nouveau remis à cette pratique après une certaine pause. Dès le titre « The Year Spring Arrived in September » s’opère un court-circuit de nos attentes. Des animaux échangent par SMS dans ce ressemble à une télé-réalité menacés par un groupe de lémuriens censurés (New Acid), une petite fille de 6 ans laisse partir un ballon dans le ciel de Manhattan tandis qu’une augmentation inattendue de la gravité incite le narrateur à entreprendre un voyage au centre de la terre parmi des ruines antiques (M . A . G . N . E . T), des messages codés sur la mort défilent parmi des virus agrandis (FEARDEATHLOVEDEATH) ou « 13 règles essentielles pour comprendre la vie» surgissent sur des pétales de tulipes dont « Never claim or believe that everything is certain », sans doute la meilleure conclusion de toutes ces fables. Si Un battement d’ailes de papillon peut engendrer un typhon à l’autre bout du monde pour reprendre la fameuse citation, les films Super 8 16 mm de Basim Magdy avec leurs couleurs saturées et leur musique planante nous font glisser vers d’autres mythologies, tandis que sa table de ping pong absurde car pleine d’obstacles, conduit inévitablement à l’échec.
The Year Spring Arrived in September
jusqu’au 14 mai
Liv Schulman, Frac Bretagne
Pour son exposition personnelle au Frac l’artiste argentine basée en France, dévoile les 2 saisons de la mini- série Brown Yellow White and Dead dead, découverte lors de la 2ème édition de la foire Around Video Art Fair (Lille) dans un décor brut fait de meubles, de tissus et de matières visqueuses dans un esprit DIY.. Comme dans le fascinant roman de Tonino Benaquista, Saga, les protagonistes en huis clos tentent d’écrire le scénario non pas d’une série télé mais d’un film d’horreur. Discours animés et disputes s’enchainent dans une ambiance gore convoquant la circulation des identités, la masculinité, la fluidité du genre, l’absurde…L’influence de la pièce Six personnages en quête d’auteur de Pirandello que l’artiste a interrogé lors de sa résidence à la Villa Médicis est présente. Lors de son exposition à la Villa Vassilieff, Liv Schulman avait projeté la série de films Le Goubernement qui interrogeait également les assignations sociales à travers une nouvelle histoire de l’art féministe à travers le destin d’artistes souvent effacées du grand récit moderniste.
ADIDAS, JENNIFER, ARIEL, WOOLITE, LE CHAT, LA CROIX, LE TEMPS, LA SANGSUE, LES PROBLÈMES, LA TRANSFORMATION, L’ENNUI
jusqu’au 14 mai
Prochainement :
JEREMY DELLER
Exposition retrospective
10.06-17.09.2023
Frac Bretagne, La Criée centre d’art contemporain, Musée des beaux-arts, Rennes