Etienne Bernard, Frac Bretagne : Manon de Boer & Latifa Laâbissi, Thomas Teurlai, Jibade-Khalil Huffman

Vue de l’exposition Brief Emotion, Jibade-Khalil Huffman, du 21 janvier au 15 mai 2022, Frac Bretagne, Rennes. Jibade-Khalil Huffman, Untitled (Wave), 2022 © Jibade-Khalil Huffman. Crédit photo : Aurélien Mole

Lors de son interview pendant le confinement, Etienne Bernard, directeur du Frac Bretagne, me confiait avoir du décaler l’exposition de l’artiste Nathaniel Mellors qui s’est achevée en janvier avec la publication d’une monographie aux Presses du réel centrée sur la figure de l’Homme de Néandertal. Pour l’heure il me reçoit autour d’expositions qui conjuguent de nouveau les enjeux qui l’animent : les liens entre danse et art contemporain avec Manon de Boer et Latifa Laâbissi, les questions d’identité et de représentativité avec l’artiste afro-américain Jibade-Khalil Huffman et la place de la jeune création régionale avec la carte blanche donnée à l’EESAB – Site de Rennes ou le Prix du Frac Bretagne – Art Norac, ou nationale avec la proposition de Thomas Teurlai du collectif le Wonder. Etienne Bernard nous dévoile la prochaine saison estivale de l’art contemporain à Rennes impliquant plusieurs institutions culturelles autour de la fête retrouvée.

Vue de l’exposition Ghost Party, Manon de Boer & Latifa Lâbissi, du 21 janvier au 15 mai 2022, Frac Bretagne, Rennes © Manon de Boer & Latifa Lâbissi. Crédit photo : Aurélien Mole

Ghost Party Manon de Boer & Latifa Laâbissi

Dès mon arrivée j’ai souhaité travailler avec la chorégraphe rennaise Latifa Laâbissi étant depuis toujours intéressé par ces zones de tension entre les arts visuels et l’art contemporain. Manon de Boer et Latifa Laâbissi se sont rencontrées en 2015 à l’occasion d’un workshop autour de l’influence d’Oscar Schlemmer et de la pluridisciplinarité du Bahaus sur leurs pratiques. Elles ont décidé d’entamer une collaboration à partir de ce projet intitulé Ghost Party, (1) et (2), avec d’une part un volet chorégraphique et d’autre part, un volet vidéo. Ghost Party dessine comme une carte mentale autour de ces personnalités artistiques, intellectuelles, philosophiques ou plus intimes qui nourrissent et contaminent leur démarche respective. Un dialogue qui passe par Duras, Beyoncé, Chantal Akerman, Delphine Seyrig mais aussi Pasolini, la rappeuse Casey ou la mère de Latifa, toutes incarnées par des vases récupérés dans des brocantes et manipulés. Des correspondances se tissent, moyennant certains anachronismes et décalages. L’exploration d’un nouveau medium pour chacune des artistes s’est révélée aussi particulièrement intéressante, venant d’univers très différents, l’un plus contemplatif chez Manon, l’autre plus pop chez Latifa. Un ensemble de films est proposé au Ciné Good Luck du Frac. Le pendant chorégraphique (1) en co-production avec le TNB aura lieu les 18, 19 et 20 mars prochains, transformant la salle d’exposition en scène. Le projet est itinérant selon les partenariats noués pour l’occasion comme avec le WIELS, Bruxelles, où a eu lieu la première performance en septembre. Le Centre Pompidou en association avec Chaillot devrait rejouer à l’automne les deux volets, de même que la Fondation Serralves (Porto). Un tour de table international, ce qui me tient à cœur pour le Frac !

[2,3] Tauba Auerbach

Dans le cadre de la présentation de nos nouvelles acquisitions, l’artiste américaine a rejoint notre importante collection de livres d’artistes. Artiste conceptuelle qui travaille autour des notions de sculptures et de gestes minimaux, elle reprend le symbole mathématique, [2,3] pour matérialiser le passage de la 2D à la 3D avec ces livres pop-up qui se transforment en sculptures déployées.

Brief Emotion, Jibade-Khalil Huffman

Natif de New-York et établi en Caroline du Nord, l’artiste afro-américain s’inscrit dans la tradition américaine et new yorkaise de la peinture et de l’abstraction même si ce n’est pas immédiatement identifiable. Il part du principe que l’abstraction n’est pas le résultat d’une soustraction mais d’une surabondance d’images. Poussée à l’extrême, l’accumulation visuelle neutralise les images. Les collages à partir de dessins qu’il réalise lui-même ou qu’il récupère sont imprimés sur des sortes de panneaux transparents suspendus, sur lesquels sont projetés des vidéos abstraites, le tout créant une cacophonie visuelle très instable. Le seul indice sur la provenance de ces images indique qu’elles viennent de contenus violents et politiques liés au mouvement Black Live Matters à la suite de la mort de George Floyd, à l’attaque du Capitole ou aux enjeux climatiques ( grands feux de Californie…) Des images très violentes et déstabilisantes qui pourtant semblent presque magiques et anesthésiantes. Comme une métaphore de notre capacité à ingurgiter la violence, dans une forme d’inconscience consciente face à cette logique d’altération de l’image et de perte de son contenu de sorte que le corps se trouve éprouvé. L’exposition se joue en deux parties, une salle noire et une salle blanche séparée par un miroir sans tain, créant une vraie dichotomie et renvoyant à toute l’histoire du minimalisme américain sur fond de scène d’interrogatoire. Nous passons alors du côté de la police avec une installation vidéo en 3 parties à partir d’images en found footage qui traitent de l’identité noire en alternant séquences pop et séquences plus violentes et problématiques puisées dans des banques d’images ou filmées par l’artiste qui, sous un habillage très instagramable et esthétisant, restent malgré tout séduisantes. L’enjeu est de nouveau de tester notre résistance à ce que l’on nomme la vérité alternative.

J’ai découvert le travail de l’artiste à New York en 2018 à la galerie The Kitchen. J’ai été très impressionné et je l’ai tout de suite invité, même si l’exposition a du être reportée de nombreuses fois. Un décalage qui se révèle intéressant finalement au regard des évènements qui ont eu lieu entre temps, (les élections américaines, George Floyd…) alimentant d’autant plus son travail.

Vue de l’exposition Subsidences, Thomas Teurlai, du 21 janvier au 15 mai 2022, Frac Bretagne, Rennes. Bootlegg/Hydroponics, 2021 © Thomas Teurlai. Crédit photo : Salim Santa Lucia

Subsidences, Thomas Teurlai

Je connais l’artiste depuis longtemps et j’attendais le bon moment. Il n’avait pas encore bénéficié d’une exposition personnelle alors qu’il était souvent présenté dans des expositions de groupe de par, sans doute, ses liens avec le collectif du Wonder.

Pour cette exposition il s’est penché sur le phénomène géologique de la subsidence, soit l’enfoncement des mégapoles dû au pompage des eaux souterraines et au bétonnage intensif, prétexte alors à une errance filmique subjective.

Bootlegg/ Hydroponics est un jardin autonome suspendu. Architecture modulaire, do it yoursef entre laboratoire et sculpture, moyennant un système qui envoie de l’eau et des nutriments naturels.

Transchromes (avec l’écrivain Alain Damasio) est une lanterne magique qui rassemble des images, des sons, le drome de moteurs, une voix. Une matrice qui reprend le récit d’anticipation de l’auteur de science-fiction sur le Frac et son histoire, en co-production avec le Capc.

Loots, conçu avec l’artiste Ugo Schiavi, diplômé comme Thomas Teurlai de la Villa Arson. Les deux artistes vont décrocher des graffitis prélevés des murs comme des strates de passé qu’ils réinjectent ensuite dans ces modules, comme on le ferait dans un musée archéologique. L’œuvre va intégrer nos collections très ancrées dans la peinture abstraite avec de nombreuses filiations possibles.

Pourvu qu’on ait l’ivresse Volet 2, les étudiant.es de l’EESAB (Canyon et Mur du Fonds)

Si la pandémie ne nous laisse pas encore la liberté de festoyer, les étudiant.es de l’EESAB se proposent de reconquérir ardemment l’esprit de la fête à travers des créations plastiques qui donnent forme à ses excès, ses éclats et ses traces. Vidéos, photographies, sculptures, affiches, peintures, objets et productions radiophoniques alternent au fil de 4 chapitres consécutifs. Cette exposition est le préambule du projet que nous proposerons l’été prochain avec les Champs Libres et le Musée des Beaux-Arts.  Intitulé Pas sommeil, il envisage un retour possible des rassemblements, synonymes de phénomènes festifs mais aussi de revendications multiples. C’est une commande la ville de Rennes comme cela avait été le cas précédemment avec l’évènement autour de la Collection Pinault. Nous avons l’habitude de travailler avec ces institutions avec qui les échanges se font naturellement.

Le prix du Frac Bretagne-Art Norac

L’artiste Corentin Canesson, lauréat du Prix en 2021 bénéficie actuellement dans ce cadre d’une exposition personnelle au Visual Arts Center à Austin, Texas (États-Unis).

Nous avons relancé l’appel à candidatures qui court jusqu’au 29 avril, notre partenaire en 2022 est le Temple Bar Gallery + Studios à Dublin.

Les expositions en 2023 :

Après le peintre norvégien  Fredrick Vaerslev nous aurons au printemps une grande exposition de l’artiste égyptien vivant en Suisse Basim Magdy, exposé en 2018 à la Biennale de Rennes. L’artiste argentine Liv Schulman sera également à l’affiche.

Infos pratiques :

Ghost Party Manon de Boer & Latifa Laâbissi

Subsidences, Thomas Teurlai

Brief Emotion, Jibade-Khalil Huffman

jusqu’au 15 mai

Frac Bretagne – Site du Fonds régional d’art contemporain Bretagne