Aurélie Voltz, MAMC+ : Thea Djordjadze, la donation Durand-Dessert et Thomas Ruff

vue de l’exposition Se souvenir et témoignier-Thea Djordjadze MAMC+ 2022 photo Simon Menges

Aurélie Voltz, directrice du MAMC+ est la commissaire de l’exposition de Thea Djordjadze, Se souvenir et témoigner. Elle revient sur la genèse de cette invitation à l’artiste géorgienne vivant à Berlin, en lien avec des problématiques inhérentes à de nombreux artistes de la collection en termes de réponse à l’espace et de réactivation de sculptures passées et à venir. Autre importante actualité du musée est la récente donation du couple de marchands et collectionneurs Durand-Dessert dans une véritable générosité, complicité intellectuelle et continuité historique incarnée par la remarquable exposition Double Je, comme Aurélie Voltz le souligne. Cette donation qui fait la part belle à la photographie souligne à cette occasion, la très grande place occupée par le medium dans les collections et annonce l’exposition consacrée à Thomas Ruff, l’un des représentants emblématiques de l’Ecole de Düsseldorf. L’occasion également pour Aurélie Voltz de réaffirmer son attachement à la photographie dans sa faculté à interroger l’évolution du medium et le statut des images avec la poursuite d’acquisitions régulières dans ce domaine.

Elle a répondu à mes questions.

Thea Djordjadze, genèse de l’invitation

J’ai découvert l’artiste à l’occasion de la Biennale de Berlin en 2008 et avait été très marquée par son intervention dans la Neue Nationalgalerie. Elle était exposée conjointement à l’artiste Marc-Camille Chaimowicz et il est intéressant de noter qu’il fait également partie de notre programmation 2022. Nous avons noué plusieurs échanges et j’ai pu encore davantage apprécier son travail de sculpture à l’occasion de son immense installation à la Documenta 13 de Cassel. Cette volonté de travailler avec elle depuis 10 ans rencontrait parfaitement les surfaces du musée et son architecture, dont les hauteurs des salles atteignent plus de 8 mètres. Nous lui avons offert 5 salles soit un total de 650 m².

Le choix du titre : Se souvenir et témoigner

Il a été longuement discuté avec l’artiste alors qu’elle venait d’inaugurer son exposition personnelle au Martin Gropius Bau à Berlin en 2021 où un certain nombre d’œuvres, qui se trouvent à Saint-Etienne aujourd’hui, y étaient présentées. C’est une sorte de formule, combinée à partir d’extraits d’écrits, que l’artiste note dans ses carnets comme elle a l’habitude de faire au gré de ses lectures. Des expressions qui restent toujours anonymes. Nous avons testé plusieurs versions possibles en anglais, allemand et français et le passage à ces multiples traductions était très intéressant. Même si plusieurs sculptures ont été imaginées pour d’autres lieux, d’autres étaient restées à l’atelier en dormance : il y a dès lors dans la volonté de les exposer au musée de Saint-Etienne une forme de réactivation, de mémoire exposée par leur dispositif de présentation, comme le suggère le titre. Des formes de vécu, des restes d’histoires de territoires, de langues et de traditions, de savoir-faire, qui dans un rapport sensible au contexte du lieu qui les reçoit, se présentent sous un nouveau jour. Nous rassemblons plus d’une soixantaine d’œuvres réalisées depuis 1993, avec une dominance de pièces métalliques qui donnent une impression plus structurée et déterminée que les œuvres des débuts de sa pratique en papier mâché et céramique, d’apparence plus fragile, domestique, davantage informe. Les œuvres se concentrent sur les 10 dernières années avec quelques présences d’œuvres du passé comme la peinture de 1993 qui figure en toute fin de l’exposition dans la partie consacrée à la réserve d’œuvres non retenues pour le grand espace.

Quelles résonances se tissent entre Thea Djordjadze et d’autres artistes de la collection ?

Il se dessine plusieurs échos avec des artistes de sa génération, présents ou non dans la collection tels que Gyan Panchal, Ian Kiear, Edith Dekyndt, Katinka Bock autour d’un rapport dominant à la sculpture, au sens même du matériau, à l’installation et ses occurrences multiples chaque fois remises en jeu dans l’espace. Au-delà de ce principe, ces artistes choisissent souvent des matériaux récupérés. Ce rebut, lié à des formes architecturales réemployées ou des matériaux puisés dans l’espace public, est réinvesti dans l’espace d’exposition. La sculpture est ainsi envisagée comme une forme de travail élargie et en constante évolution, plus que dans une représentation finie d’une œuvre. Si certains de ces artistes s’inscrivent dans une esthétique de la ruine, Thea Djordjadze entretient un rapport moins affectif au passé qu’elle relie au présent. Elle réinvestit des lieux passés à l’intérieur même de nouvelles architectures. Ces artistes réfléchissent les formes architecturales souvent à partir de matériaux pauvres, influencés par des fragments dystopiques de la modernité, par l’arte povera pour d’autres ou par les questions de l’informe. On peut également considérer que toute l’approche de Pierre Buraglio s’appuie sur des left-overs, que ce soit une réutilisation de paquets de Gitane, de rebuts provenant de ses propres toiles ou de fenêtres récupérées sur des chantiers. Cette poésie du rebut revient plastiquement de manière différente au gré de la programmation (je pense aussi à Lionel Sabatté) et m’intéresse profondément.

L’exposition Double Je et la récente donation exceptionnelle de Liliane et Michel Durand-Dessert

Cette donation s’inscrit dans la continuité du musée et son histoire féconde en matière de donations et ce, dès les années 1990, soit à travers la générosité de l’Etat avec la donation de la Caisse des Dépôts et Consignations, des personnalités comme Jacqueline Brauner ou des collectionneurs privés comme Vicky Rémy ou Ninon et François Robelin. Le couple Durand-Dessert rentre dans cette logique d’attachement au musée qui se traduit dès les années 1980 à des donations majeures telle la toile de Gerhard Richter, Crâne, ou la sculpture de Luciano Fabro L’œil de Dieu, parallèlement à un certain nombre d’acquisitions réalisées par le directeur de l’époque Bernard Ceysson auprès de la galerie d’artistes comme François Morellet. De plus, cette donation agrémente la collection de 26 artistes encore non représentés. Elle renforce les collections du musée autour de différents mouvements que ce soit le mail art, l’art conceptuel, la peinture et l’abstraction radicale ou la figuration narrative. En somme, il existe une complicité intellectuelle très forte autour d’un ADN commun entre le musée de Saint Etienne et les choix exemplaires de ce couple de marchands et collectionneurs passionnés. L’exposition, sous le commissariat d’Alexandre Quoi, ouvre sur ces deux donations historiques et traverse différents courants sous l’égide des muses antiques.

L’important focus photographique qui annonce l’exposition Thomas Ruff

Il convient de rappeler que la photographie représente notre fonds le plus important au Musée avec 7000 tirages environ sur plus de 20 000 œuvres. Cette dominante nous tient à cœur et nous avons jugé que Thomas Ruff n’avait pas bénéficié de rétrospective depuis de nombreuses années en France, à tel point qu’il est difficile de retrouver dans le passé une exposition d’envergure le concernant. C’est donc une grande chance de pouvoir proposer cette exposition personnelle conçue en étroite collaboration avec l’artiste. Le parti pris est intéressant car non linéaire ni chronologique mais se pose à travers le spectre de l’histoire de la photographie. Thomas Ruff lui-même ne fait plus de photographie depuis les années 1990 mais choisit exclusivement des images préexistantes qu’il manipule. Il explore et questionne les multiples évolutions techniques du medium et le statut des images.  Réalisée à partir de 17 séries de Thomas Ruff dont 1 inédite, cette exposition, sous le commissariat d’Alexandre Quoi, racontera l’histoire de la photographie et de ses enjeux, par le biais d’un des plus grands photographes contemporains.

Deux salles témoignent actuellement des divers courants de notre collection photographique, qu’elle soit anonyme à travers le fonds industriel des Editions Paul Martial acquis en 2006, amateur à travers notamment la démarche de Christian Boltanski et l’œuvre majeure L’Album de Famille D. ou qu’elle soit « objective » avec Patrick Tosani ou l’Ecole de Düsseldorf issue de Hilla et Bernd Becher, avec Thomas Ruff, Thomas Struth ou Candida Höfer.

J’ai tenu à mon arrivée en 2017 à témoigner de ce fort attachement à la photographie. Rappelons que l’historique de ce fonds s’inscrit dès la naissance du musée puisqu’il remonte au départ à un important dépôt de l’IAC en 1988, ensuite considérablement enrichi par Maurice Fréchuret, conservateur du musée jusqu’au début des années 1990. S’il y a eu des expositions d’artistes photographes au Musée comme Valérie Jouve exposée en 2018 pour le 30ème anniversaire, ce qui nous intéresse avec Alexandre Quoi est une démarche plasticienne qui vient interroger le statut des images et l’histoire de la société. Nous avons d’ailleurs fortement relancé les acquisitions dans ce sens avec Mac Adams, Lisetta Carmi, Karim Kal, William Klein…

Infos pratiques :

Thea Djordjadze

Jusqu’au 15 mai

Double Je, donation Durand-Dessert & collections MAMC+

Jusqu’au 18 septembre

Thomas Ruff, Meta-photographie

A partir du 14 mai

https://mamc.saint-etienne.fr/