Vue de l’exposition Miles, Julie Béna, photo Marie de la Fresnaye
C’est toujours un bonheur de retourner à la Villa Arson, son architecture brutaliste nichée dans un jardin méditerranéen sur les hauteurs de Nice et lors de mes précédents entretiens avec Sylvain Lizon et Eric Mangion j’avais pu mesurer l’engagement exceptionnel de l’école vis-à-vis de ses étudiants pendant la période de la pandémie. A présent il est temps de découvrir ce que cette promotion a à nous dire de cette crise à travers l’exposition conçue par Marie de Gaulejec, commissaire invitée. L’occasion de découvrir également les univers de Béatrice Celli, diplômée en 2019 et de Julie Béna diplômée en 2007 qui investit l’emblématique galerie carrée.
Miles, Julie Béna
Julie Béna, diplômée de la Villa Arson en 2007, invitée par Eric Mangion à investir la galerie carrée revisite les fantômes des lieux, ces artistes prestigieux -et toujours masculins- tels que Kippenberger ou Armleder. Un retour à l’enfance également dans cette ville de Nice où elle venait avec sa mère et restait en bute face à une histoire familiale complexe. Quand l’appartement est finalement vendu, Julie mettra des années à se remettre de cette perte, de cette figure du père jamais rencontré. Il est donc question de hors- champ dans cette trame narrative qui prend les artifices du western dans un paysage désolé entre arbres morts, griffes de sorcières et gibiers de potence pour reprendre les termes de Marie de Brugerolle, commissaire. Des courts-circuits qui croisent les voix de trois films performatifs Letters from Prague, ville d’adoption de l’artiste. Julie Béna enfant de la balle qui a été élevée dans un théâtre itinérant, renverse les codes du dispositif de la scène et l’on bascule dans l’autre côté du miroir, celui d’une femme devenue mère qui s’interroge sur la course du temps, sa capacité à séduire, ses désirs…alors qu’elle se souvient de son job de serveuse en boîte de nuit à Nice pour payer ses études. Il est alors question du regard de l’autre et de dépossession de soi. Comme une marionnette, son corps se dérobe et se refuse aux assignations, au glamour et à la séduction. Une ambivalence qui se joue dans chaque déplacement du regardeur, chaque point de fuite, perspective inversée. Traversée de l’entre-deux unique et salutaire. Ma première impression devant son film d’animation The Jester and Death présenté par la galerie Joseph Tang à l’occasion de Around Video Art Fair se voit donc complétée par cette vision plus autobiographique.
Jardin des allégories, Béatrice Celli
L’artiste italienne diplômée en 2019 imagine pour le Passage des fougères une allégorie végétale et symbolique dans le prolongement d’une récente résidence en Lituanie et de ses réflexions de confinement inspirée par le Décaméron de Boccace, cette colonie de jeunes en retrait de Florence soumise à la peste qui s’imprègnent de la nature et inventent une vision alternative. La forêt est d’ailleurs très présente dans ce qu’elle a de sauvage comme le souligne l’artiste, de non domestiqué. Cet imaginaire brut croise différentes pratiques et croyances animistes entre légendes lituaniennes concentrées sur le diable et rituels de sa région, les Abruzzes liés au mauvais œil. Ainsi de cette cabane en papier mâché à l’intérieur de laquelle l’artiste a effectué le rituel du mauvais œil, transmis par une femme de son village ou de ce Confessionnal Lunatique inspiré du Musée du Diable de Kaunas, temple du vice assez fascinant, le diable apparaissant dans différentes situation du quotidien. Un besoin de syncrétisme pour revisiter le génie du lieu en convoquant ces formes de contre-pouvoir, apaisantes et réparatrices. A la nostalgie de l’eden originel se greffe donc une pensée du soin et de l’écologie.
Construire sa prétendue, Marie de Gaulejac
Pour la première fois 19 artistes tout juste diplômés sont invités à exposer dans les Galeries du Patio et des Cyprès du centre d’art sous le commissariat de Marie de Gaulejac, responsable du programme de résidences Triangle Astérides à Marseille. A partir de l’expression de Maggie Nelson dans son livre Les Argonautes « Construire sa prétendue famille » la commissaire déroule un récit multiple où chaque univers se déploie et contamine les autres. Une beauté qui s’agite et se consume autour de thématiques telles que les identités non-normées, le care, les stéréotypes ou normes sociales, l’esthétique du bricolage et du do it youself, les légendes mythologiques, les collectes et marches dans la nature, les récits décoloniaux… une génération qui sort du Covid avec les outils nécessaires pour proposer une vision autre et pas si désenchantée.
Avec : Carla Barkatz, Lucas Cero, Camille Chastang, Bryce Delplanque, Léa Doussière, Karima El Karmoudi, FIZZLUV, Emile Foucault, Valentine Gardiennet, Hayoung Kim, Nèle Lavant, Neloid, Sarah Netter, Carmen Panfiloff, Patati Patata collectif, Lucie Postel, Coline-Lou Ramonet-Bonis, Clémentine Rémy, Renée-Claire Reumaux, Silina Syan, Alexandre Vilvandre.
Et puis la nuit tombe sur cette fabrique de talents qui se vide peu à peu de ses acteurs et je me retrouve dans le silence et l’ascèse pour une nuit très inspirante…
Infos pratiques :
Les expositions de l’automne 2021
Miles,
Le Jardin des allégories
Construire sa prétendue
jusqu’au 30 décembre
ouvert tous les jours de 14h à 18h (de 14h à 19h en juillet et août) sauf le mardi.
20 avenue Stephen Liégeard, Nice
Accessible par le Tram 1