Mudam Luxembourg : Eleonor Antin, Nouvel accrochage des collections, Tiffany Sia

L’un des temps forts de la Luxembourg Art Week 2025 se jouait au Mudam autour de l’exposition de l’artiste militante états-unienne Eleanor Antin, une première en Europe, avec notamment l’œuvre pionnière Carving: A Traditional Sculpture, (1972) documentant son évolution physique en 144 photographies noir et blanc et 37 jours de régime à partir d’un système de grille et de taxinomie du corps féminin soulignant de façon précoce, l’impact du male gaze et des normes de beauté. L’œuvre iconique des 100 Bottes, son alter ego The Ballerina, le portrait à la barbe, The King, son panthéon féminin avec la section Admiration (Yvonne Rainer, notamment), rien ne manque dans cette ambitieuse célébration de 5 décennies d’une pratique plurielle,subversive et engagée.  Mais je dois dire que selon moi les surprises se jouent plus du côté du nouvel accrochage des collections qui sous un aspect rigoureusement minimal et conceptuel, cache de nombreuses prises de position par ces créatrices. Un écho à la démarche d’Antin dans une réelle cohérence. 

Sous le titre un peu énigmatique Radio Luxembourg: Echoes across borders, ce nouveau display de la collection conçu par les commissaires Marie-Laure Farcy et Wilhelm Schürmann met en lumière plusieurs générations d’artistes femmes, nées en Europe et aux États-Unis entre 1930 et 1991. Réunissant des œuvres récemment entrées dans la collection grâce à la donation des collectionneurs allemands Gaby et Wilhelm Schürmann, avec le soutien des membres du Cercle des collectionneurs du Mudam Luxembourg, aux côtés de pièces déjà présentes, cette présentation renforce le rôle des artistes femmes au sein de la collection du musée.  Le choix du titre renvoie à l’ancêtre de RTL, dont l’âge d’or après-guerre a marqué de nombreux auditeurs au-delà du Luxembourg. 

La pratique de la sculpture est déterminante dans ce panorama comme creuset d’une mémoire individuelle et collective dans une remise en cause des discours politiques dominants et des assignations. 

L’une des œuvres qui se détache à l’entrée du parcours de l’artiste new yorkaise Jessica Diamond avec ce slogan « I Hate Business » s’attaque aux logiques du marché de l’art à New York dans les années 1980 et du capitalisme en général. Des mots écrits à la main directement sur la cimaise et un fond peint reprenant l’esthétique du graffiti déplacé dans le cadre muséal. D’une grande efficacité.

Puis le grand escalier de secours désarticulé de l’artiste polonaise Monika Sosnowska, fiché entre le sol et le plafond, sorte de memento mori échappé d’une catastrophe renvoie aux immeubles de la Pologne sous l’ère communiste et à l’architecture moderniste. Comme une ruine orpheline de son récit.

En écho l’artiste allemande Charlotte Posenenske qui avait l’objet d’une magistrale exposition au Mudam en 2020 avec ses sculptures modulaires impose une forme de radicalité immédiatement reconnaissable. Réalisées en tôles d’acier galvanisé, elles s’adaptent aux différentes contextes d’exposition et lieux publics dans une dimension participative qui va à l’encontre de la signature et toute puissance de l’artiste. Vendues à prix coûtant et produites en usine, elles s’érigent contre les principes dominants l’économie de l’art. 

L’installation sonore de l’artiste croate Nora Turato imaginée à l’occasion de Manifesta 12 à Palerme lors d’une performance, intrigue et déroute. Son architecture grillagée entre cage ou vestiaire sportif est à la fois la scène des performances et un lieu d’échange avec ce large banc où l’on peut s’asseoir.

Autre artiste croate établie à Bruxelles Hana Miletić qui mêle art minimal et textiles qu’elle transforme et rapièce. A partir de la photographie, son laboratoire original en quelque sorte, qu’elle compare volontiers à la technique du tissage. En résulte des rafistolages retenus par de l’adhésif directement au mur à l’image des réparations observées dans l’espace public. Des négligences qui échappent souvent à notre système de valeur. 

Dans une même abstraction l’artiste américaine Hendl Helen Mirra s’inspire des vues depuis les fenêtres d’un moulin à vent au Royaume-Uni pour proposer une déclinaison sérielle de fragments de paysages associé à une bande son répétitive reproduisant la rotation des pales du moulin. Quand la répétition ouvre à la méditation.

L’afficheur électroluminescent pourrait ressembler à un néon. Il n’en n’est rien si l’on se penche sur le titre « Navigation Poems » de l’artiste luxembourgeoise Carinne Krecké qui a marqué les esprits à Arles cet été avec « Perdre le nord » autour de la guerre en Syrie et son enquête sur le régime des images. Il en est de même avec ce projet 404 NOT FOUND mené à partir de captures d’écran de Google Street View de la ville frontière de Ciudad Juàrez, tragiquement connue pour les nombreuses disparitions de femmes depuis les années 1990, la plupart non élucidées. Interdites de diffusion car propriété de Google que nous disent ces images couplées aux poèmes inspirés de scènes de vie quotidienne ?

D’origine tchèque, Eva Koťátková souligne l’emprise de l’influence soviétique dans l’Ex-Tchécoslovaquie avec ces maquettes évoquant la standardisation de l’habitat collectif dans la banlieue de Prague. Ces logements deviennent comme une sculpture géométrique qui assujettit et asservit les corps. Une poésie surréaliste se dégage de ses dessins-collages. Au Capc de Bordeaux l’artiste avait interrogé de façon magistrale l’histoire du lieu, les Entrepôts Lainé avec ce grand corps qui prenait possession de la Nef. 

L’artiste française Dominique Ghesquière avec Mur de sable joue sur la notion de trompe l’œil et d’illusion à rebours de nos attentes. Ainsi ce qui ressemble à un mur repose en réalité sur une matière qui en contredit la solidité. Une confusion qui en déjoue toute la vanité. 

L’artiste américaine Zoe Leonard avec l’œuvre évolutive, 1961, année de sa naissance, constituée de valises récupérées auprès de ses proches dont les marques du temps et de voyage leur confèrent une valeur de portrait. Autant de valises que d’années de vie à travers lesquelles chacun peut se projeter. Un autoportrait en creux également de l’artiste, fille d’une mère célibataire polonaise qui grandit à New York. La photographie a une grande place dans sa pratique. Son grand projet « Al Rio/ to the River » autour de cette frontière fluviale entre le Mexique et les Etats-Unis a été exposé au Musée d’art moderne de Paris en 2023. 

L’artiste allemande Hennrike Naumann avec cette étagère de verre remplie de bibelots et d’objets de seconde main dont le titre donne un indice et renvoie à la période de réunification allemande. Certains objets rappellent l’ancienne République fédérale allemande avec une sorte de nostalgie face aux illusions vécues dans les années 1990. 

Dernière image impactante avec la suisse Miriam Cahn et ce personnage nu féminin qui se donne un coup de poing dont la violence expressive rejoint la démarche corporelle de l’artiste autour de thématiques lourdes telles que la sexualité et ses dérives, les traumas de la guerre et ses atrocités… La colère est un moteur pour elle comme elle le confie et l’on se souvient de l’onde de choc provoqué par son exposition au Palais de Tokyo.

C’est toujours une gageure de rendre vivant et dynamique un accrochage des collections et celui-ci est particulièrement abouti, au-delà du parti prix féminin qui enferme un peu parfois. 

On termine la visite avec Tiffany Sia, lauréate du Baloise Art Prize (Art Basel), la 9ème artiste du prix à rejoindre la collection du Mudam. La vidéo en found footage de 24h « Antipodes III » tournée sur le site de Kinmen, île de Taiwan proche de la Chine donne à voir les tensions liées à la militarisation de la région dans des décalages entre son et image. Auteure du livre « On and Off-Screen Imaginaries » son travail aborde les notions de récits invisibilisés et de mémoire politique. Ses films hybrides entre vacuité et détachement, suggèrent une sorte de confiscation des souvenirs. Des « écrans fantasmatiques » ou fantomatiques pour reprendre le titre de l’exposition.

Infos pratiques :

Eleanor Antin « A Retrospective »

Jusqu’au 6 février 2026 

« Radio Luxembourg: Echoes across borders »

New Display of the Collection 

Tiffany Sia “Phantasmatic Screens”

Jusqu’au 11 janvier 2026

Mudam Luxembourg 

Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean
3, Park Dräi Eechelen,

Luxembourg-Kirchberg

https://www.mudam.com/fr/expositions