Galerie les Filles du Calvaire, Interview Clara Rivault « La Tresse des Araignées » 

Vue de l’exposition Clara Rivault La Tresse des Araignées, Galerie les Filles du Calvaire courtesy de l’artiste © Timothée Chambovet

Dès la vitrine de la galerie les Filles du Calvaire, côté rue, le fragment d’une longue tresse apparait. Selon la démarche de Clara Rivault, dont c’est la première exposition à la galerie, il s’agit d’une figure mythologique primordiale, de l’araignée qui amasse et qui résiste, de l’entrelac et du collectif, du féminin et du sacré. Entre tissage et feutrage, verre soufflé et art du vitrail, cette symphonie à la fois fragile et puissante trouve toute sa mesure aux Filles du Calvaire après une première incarnation dans les anciennes églises de Chelles. Clara revient sur les différentes étapes de la genèse de la « Tresse des Araignées » et la place des rencontres et pratiques collaboratives dans son processus de travail de la Bulgarie à la Grèce en passant par l’Italie et la France (Centre des Arts Verriers de Meisenthal) autour de savoir-faire traditionnels, réconciliateurs avec le vivant. L’artiste revient sur l’expérience décisive de Poush et sa double formation en France et en Belgique. Elle a répondu à mes questions. 

L’exposition « La Tresse des araignées » s’inscrit dans le prolongement de l’exposition « Les treillis » au centre d’art les Églises de Chelles, avec la naissance de la Colonne mère. En quoi cette exposition représente-t-elle l’aboutissement de nombreuses recherches et collaborations ?

Lorsque j’ai visité le Centre d’art de Chelles, j’ai tout de suite eu envie de réaliser une œuvre monumentale en réponse à ce lieu. 

« La Colonne mère » est une œuvre résolument dressée, qui s’élève, qui est porteuse de l’ensemble. Elle est l’aboutissement de nombreuses rencontres, recherches et surtout d’une magnifique collaboration avec une artiste vannière, Marie Drouet. C’est entre nos mains que l’on a entrelacé de la laine naturelle de Mérinos : d’une œuvre rêvée qui a germé d’une idée, puis d’un dessin et pris forme sous l’action de nos doigts. Une autre collaboration importante pour la réalisation de cette œuvre centrale s’est faite autour de la toison brute qui composait la racine de la colonne. Cette toison brute de moutons de Bleu du Maine (et non de Mérinos) a été rendue possible par le biais de l’association Clinamen basée en Saint-Denis qui défend des pratiques d’élevage responsables et réintroduit l’agriculture dans la ville. Cette association paysanne est constituée principalement de femmes et sa co-fondatrice, est l’artiste Noémie Sauve. De plus je vis dans le 93. 

J’avais à cœur de faire une œuvre qui parle de rencontres, de liens, d’entrelacements et indirectement de l’animal et de l’agriculture. En réalité tout ce travail n’aurait pas vu le jour sans toutes ces rencontres, ces collaborations.  Il est merveilleux de pouvoir travailler en équipe et d’apprendre les uns des autres ! 

Qu’avez-vous souhaité traduire par ce titre « La Tresse des Araignées » ? 

La Tresse des araignées, est une image qui est née lors d’un rêve. J’ai imaginé des araignées m’aidant à tisser une tresse qui partait du sol, pour s’élever vers les cieux et l’infini, telle la colonne sans fin de Brancusi. Si le symbole de la tresse est partout dans le quotidien, pour moi, elle exprime un totem universel où la force du collectif est indestructible. De ce fait, les araignées sont des tisseuses, des bâtisseuses, elles échafaudent la tresse, elles représentent les femmes. Il y a aussi un petit clin d’œil à la Mother de Louise Bourgeois, mais ici, elles sont plurielles. Elles construisent, préservent et défendent l’eco-système fragile de la tresse.

Pour aller vers la résidence de production en Bulgarie autour de la technique ancienne du feutrage : en quoi cela représente une étape décisive ? 

Je me suis rendue en Bulgarie, d’abord dans le cadre d’un colloque organisé à l’Institut français de Sofia, où j’ai eu l’occasion de présenter mon travail. C’est à la suite de cette expérience, et plus particulièrement de ma rencontre avec des étudiants du département textile de l’Académie des Beaux-Arts de Sofia, spécialisés dans la technique du feutrage, que j’ai souhaité approfondir cette collaboration. J’ai ainsi été invitée, en juillet dernier, à effectuer une résidence d’un mois, organisée par la Biennale internationale du verre et soutenue par l’Institut français.

Il était fascinant d’apprendre une technique préhistorique qui permettait de créer des vêtements avec du poil animal. C’est un travail qui est très long, impliquant un effort du corps important. Un travail de patience et peu onéreux. 

Vous explorez différentes expérimentations autour de l’art du verre et de la laine que représente la métamorphose de ces matériaux sur un plan technique et symbolique ?

L’Origine du non est un vitrail qui est fait de laine et de verre. C’est de la laine que je teinte pour créer différentes nuances de peau. La rencontre de ces deux matériaux Laine et Verre est spéciale pour moi. J’ai envie de travailler longtemps sur ces deux matériaux et d’exploiter de nouvelles directions autour de la laine, autour de l’animal qui traite en même temps les questions sur l’agriculture et le climat qui est au centre de mes préoccupations. Je crois que j’ai envie d’aller vers quelque chose de plus primitif dans mon travail, de revenir à l’essentiel.

Pour aborder à présent l’art du vitrail et du verre. À quand remonte sa découverte et en quoi cela vous permet aussi de questionner l’image ?

Je perçois l’art du vitrail comme un moyen de médiation. À l’époque du Moyen Âge, il était utilisé pour raconter les récits sacrés mais éveiller aussi des histoires de la vie quotidienne. Je réinvestis cette technique pour y raconter mes histoires intimes et surtout en prise avec la société actuelle. Je les vois comme les écrans d’une autre époque. Ce que j’aime, c’est qu’ils sont indépendants et qu’ils n’ont pas besoin d’un système lumineux, d’une production électrique. C’est le soleil qui les anime. Ils sont comme des tableaux : ils vivent, sont mouvants à travers les saisons, les heures, l’éclairage. J’observe les cieux depuis toujours. Je prends une photo par jour du ciel. Mon premier atelier, était à Poush-Clichy au 16eme étage d’une tour, comme une petite alcôve avec une immense baie vitrée d’où je pouvais observer mes cieux. C’est à ce moment-là que j’ai eu envie de travailler la fenêtre, la projection vers un Monde lumineux, d’admiration, d’échappatoire. 

De plus ce qui est incroyable est que l’art verrier est aussi un héritage familial. Après avoir réalisé un premier travail, mon père m’a révélé que l’un de nos aïeux était un maître verrier.

D’après mes recherches, Didier Alliou, maître verrier était directeur de Vitrail France dans la Sarthe. Malheureusement décédé à l’âge de 56 ans, je ne l’ai pas rencontré. Je suis entrée en contact avec Vitrail France et aujourd’hui, je travaille avec son ancienne élève Emmanuel Putannier, qui restaure notamment les vitraux de Notre-Dame. Nous avons gagné un concours avec la DRAC pour réaliser les vitraux de l’église Saint-Paterne à Saint-Pair sur Mer, le projet s’appelle Lunam et Solem. Je me suis lancée ensuite dans de nombreuses expérimentations pour trouver comment amener les couleurs, les textures. Je procède à une collecte d’images, de matières, de photos de modèles vivants dans mon atelier. Puis à une dislocation de corps, de paysages. Des fragments que je viens reconstruire. Finalement, le plomb, fait office pour moi de liant, de pansement, de frontière, de cicatrice, de mémoire. 

C’est l’élément le plus conducteur de sens. Pour moi mes vitraux et mes sculptures , forment un tout même, elles se répondent et s’accompagnent.

Penchons-nous sur « Les épingles d’amour », qui est une œuvre assez ambiguë, assez fascinante : quelle lecture en proposez-vous ? 

Je fréquente beaucoup les musées archéologique et j’ai passé beaucoup de temps à la Villa Giulia à Rome. 

J’ai réalisé il y a plus de cinq ans une résidence en Grèce sur l’île ionienne de Paxos qui a donné lieu à la série Les Dames à partir des venus primordiales, ces idoles féminines qui m’inspirent depuis longtemps. J’ai aussi beaucoup d’affection pour les animaux marins et notamment le narval, des animaux complètement fantastiques, des chimères dont la dent est dotée de millions de terminaisons nerveuses leur offrant des capacités sensorielles exceptionnelles. J’ai imaginé que ces vénus avaient muté pour se doter d’une corne, une sorte d’antenne protectrice face aux agressions qu’elles ont subi.

Ces sculptures s’inspirent des épingles à chapeau que les femmes au XIXe siècle utilisaient pour se défendre dans la rue comme des armes blanches. Ce sont des êtres hybrides. 

Elles sont plantées dans la Colonne-mère comme des défenseuses. Elles soutiennent, maintiennent cet écosystème fragile, elles protègent et elles préservent. 

Vous convoquez votre propre souffle autour des lacrymatoires antiques : en quoi est-ce une célébration d’une vision féminine alignée avec le règne du vivant ? 

Les larmes du ciel revisitent les lacrymatoires antiques. Ce sont des petits flacons placés près des tombeaux pour recueillir les larmes des proches du défunt. Leur couleur du verre d’eau est de plus, souvent utilisée dans mon travail. C’est aussi la couleur naturelle du verre, lorsqu’il était soufflé dans le sable. On ne sait pas s’il s’agit d’un mythe car on n’a pas retrouvé scientifiquement de particules de larmes. Parfois, il y avait un flacon pour l’œil droit et un flacon pour l’œil gauche, ce que j’ai trouvé d’une grande poésie, un flacon qui récupère le fluide de la mélancolie, de la tristesse d’une perte. J’ai souhaité recréer cet objet qui évoquerait à la fois un poumon ou un sein, comme le serait le réceptacle des larmes du ciel, des larmes de la terre, des larmes d’une femme.

J’ai voulu traduire cette idée dans un écrin avec un display présenté comme une relique pour mettre à distance, que ce soit un objet presque mystique dont on utiliserait l’eau qu’en grande nécessité pour refaire naître une nouvelle terre, une nouvelle plante, un nouvel horizon. Utiliser les souffrances que l’on a commues comme une renaissance, une résilience, une reconstruction, une guérison.

L’atelier à Poush : Qu’est-ce qui ressort de ces années ?

C’était assez extraordinaire pour moi. Après les Beaux-arts de Montpellier et La Cambre à Bruxelles, j’ai intégré le laboratoire de recherche, « La céramique comme expérience » mené par l’artisteMichel Paysant, où je découvre le verre au Centre International des Arts Verriers de Meisenthal. Après cette expérience, je suis rentrée à Paris un peu bredouille, sans connaître personne. C’était difficile. Cette période post diplôme est toujours compliquée pour un artiste.

C’est à ce moment-là que j’ai eu la chance de rencontrer Yvannoé Kruger et intégré l’incubateur Poush avec un premier atelier à Clichy. C’était petit, 15m2 mais avec une vue incroyable. Il y a eu des rencontres merveilleuses, que ce soient des artistes, du réseau, avec un vrai déploiement et une visibilité tout autour. Comme une ruche. Un moment décisif où j’ai constitué mon carnet d’adresses. Après il y a eu Aubervilliers, ce qui était vraiment différent comme lieu. Un lieu beaucoup plus industriel, avec des volumes plus importants, des hauteurs sous plafond, des espaces de travail extérieurs, ce qui a influencé mon travail. J’ai réalisé alors des œuvres plus monumentales. Le lieu de vie pour un artiste reste très évocateur. Aujourd’hui, j’ai laissé ma place pour rejoindre un atelier collectif dans le 15ème arrondissement géré par l’agence IOTA (Agnès Perpitch).

Pour revenir à la Belgique, est-ce que vous avez gardé des liens avec Bruxelles et la Cambre ? Quel regard portez-vous sur cette expérience ? 

Cela a été très fondateur. C’est une époque qui m’a énormément bousculée avec l’idée de formaliser ce que l’on a vraiment envie de raconter en tant qu’artiste.

J’ai gardé un très bon lien avec certains de mes anciens professeurs et aussi des élèves qui sont devenus curateurs, commissaires ou artistes. J’ai exposé au Botanique à leur côté l’année dernière. L’exposition intitulée Narcosis était curatée par Gabrielle lerch. J’ai collaboré avec la galerie Felix Frachon et j’ai exposé à Art Anvers.

Site de l’artiste :

www.clararivault.com

Infos pratiques :

Clara Rivault, 

La Tresse des Araignées 

Jusqu’au 29 novembre 2025

Galerie Les Filles du Calvaire 

17 rue des Filles du Calvaire 

https://www.fillesducalvaire.com/exhibitions/180-clara-rivault-la-tresse-des-araignees/overview