John Singer Sargent, une décennie parisienne au musée d’Orsay

Vue de l’exposition John Singer Sargent Eblouir Paris, musée d’Orsay © L.Striffling

Cet article est dédié à la mémoire de Sylvain Amic dont l’engagement a été unanimement salué par les équipes du musée d’Orsay, de l’Orangerie et de nombreux professionnels de l’art, à la suite de sa brutale disparition. J’ai eu le bonheur de le rencontrer et l’interviewer à plusieurs occasions à Rouen : l’exposition Man Ray, le Bicentenaire de Flaubert, le festival Normandie Impressionniste … avec de nombreuses incursions contemporaines. Il avait repris la collaboration entre le musée d’Orsay et le Metropolitan Museum de New York autour de l’exposition John Singer Sargent lancée par Laurence Des Cars qui a d’abord été présentée à New York sous le titre « Sargent & Paris ». Ce sont bien les années du Paris de la Belle époque qui scandent l’élégant parcours du musée d’Orsay qui ne se veut pas une rétrospective à partir de 95 peintures, dessins et aquarelles. Si Sargent est très connu Outre-Atlantique, en France il est un peu éclipsé, exception faite de l’exposition du Petit Palais en 2007 « Peintres de lumière Sorolla et Sargent », l’Espagne étant une grande source d’inspiration pour l’américain. 

Vue de l’exposition John Singer Sargent Eblouir Paris, musée d’Orsay © L.Striffling

Dans le prolongement de la superbe exposition Worth au Petit Palais qui retraçait l’ascension de cette dynastie de couturiers auprès de la « Coffee society », vous allez retrouver certains protagonistes de cette grande bourgeoisie cosmopolite immortalisée par la série The Gilded Age où Sargent apparait ! Les femmes notamment, de riches héritières américaines ou anglaises, mécènes et femmes de goût vont avoir une influence sur le destin du peintre américain exilé à Paris. 

Vue de l’exposition John Singer Sargent Eblouir Paris, musée d’Orsay © L.Striffling

Né dans une famille fortunée qui quitte Philadelphie pour l’Europe à la suite de la perte de leur fille de 2 ans, Sargent arrive à Paris à 18 ans à la suite d’année de voyages et de formation esthétique. Il est adoubé par Carolus-Duran et intègre les Beaux-arts. Rapidement, il fait partie des cercles en vue et expose régulièrement au Salon, baromètre des tendances au Palais de l’Industrie sur les Champs Élysées. En plus de quelques voyages en Espagne et Afrique du Nord, (exceptionnelle Fumée d’ambre gris réalisé au Maroc), il se spécialise dans l’art du portait qui deviendra sa signature. Il rencontre Monet, Degas, Helleu, Rodin, sa réputation lui permet d’intégrer le très fermé Cercle de l’Union artistique. Son parrain le Dr Pozzi va être immortalisé dans un célèbre portait venu de Los Angeles (les prêts américains sont impressionnants !) où l’on voit cet esthète, chirurgien et grand séducteur en robe de chambre rouge, tenue quelque peu inhabituelle si ce n’est la stature très altière qui se dégage du portait dans un style hérité de Velázquez et du Siècle d’Or hollandais. La grande taille du tableau lui confère aussi ses lettres de noblesse. Autres incontournables : Mrs Henry WhiteMadame O’Connor (Marguerite de Ganay), Portrait de la Princesse Louis de Scey-Montbéliard, Mrs Harry Vane Milbank .. toutes saisies dans des pauses à la fois sensuelles et codifiées sur des fonds toujours neutres. C’est la personnalité du modèle qui l’intéresse comme le souligne Caroline Corbeau-Parsons, co-commissaire. La scénographie tel un boudoir, fait ressortir cette galerie de personnages très proustiens.

Vue de l’exposition John Singer Sargent Eblouir Paris, musée d’Orsay © L.Striffling

Autant de personnalités qui le conduisent à celle par qui le scandale arrive : Virginie Gautreau. Riche héritière de la Nouvelle-Orléans, cette beauté se laisse convaincre à force de nombreuses sollicitations, ce qui donne lieu à deux portraits : Madame Gautreau portant un toast et Madame X. Une section à part revient sur le cataclysme provoqué par cette toile que Sargent présente au Salon de 1884. Le scandale est immédiat. Elle est jugée provocante, trop fardée et son épaule dénudée (la bretelle de la robe noire est nonchalamment descendue) choque définitivement au point que la commanditaire doit désavouer le peintre. Sa carrière parisienne s’arrête et Sargent décide de partir pour Londres en 1886. Il maintient toutefois des liens avec la France et ses amis artistes et participe à l’Exposition Universelle de 1889 où il reçoit la Légion d‘Honneur. L’heure de sa revanche arrive au Salon de 1892 avec La Carmencita, danseuse espagnole dont l’allure et les audaces, le maquillage, renvoient à Madame X. Cette fois c’est un succès et la toile est acquise par l’Etat français pour le musée du Luxembourg. 

Si l’exposition représente une décennie de création, avant sa trentaine précise la commissaire, c’est un surdoué du cadrage qui s’écarte du courant impressionniste de l’époque dans un goût de l’ombre et la lumière hérité de la grande tradition.  Il évite les sujets de la modernité de la ville pour nous faire entrer dans un temps suspendu dont lui seul a le secret. Chez les « Heureux du monde » ? comme l’écrit Edith Wharton autre chroniqueuse de la Haute société. Pas si sûr quand on regarde bien Les enfants Pailleron, Edouard et Marie-Louise d’une inquiétante étrangeté, comme détenteurs d’un secret ou Les filles d’Edouard Darley Boit, piégées dans les ombres de grands vases japonisants et dont les grands tabliers blancs ne semblent pas si innocents. Cette reprise des Ménines de Velàzquez dans ce qui ressemble à une salle de jeu est pleine de contrastes. Comme un rébus.

Catalogue

John Singer Sargent

« Éblouir Paris »

256 pages, 45 coédition musée d’Orsay/Gallimard 

Infos pratiques :

John Singer Sargent 
Éblouir Paris

Jusqu’au 11 janvier 2025

Tarifs

Plein 16 €

Réduit 13 €

https://www.musee-orsay.fr/fr/agenda/expositions/john-singer-sargent-eblouir-paris