PHOTAUMNALES 2025 : Interview Oleñka Carrasco 

Oleñka Carrasco PATRIA La Casa, corrosiva vue de l’installation Chapelle Saint-Prix, Montreuil-sur-Brêche courtesy de l’artiste Adagp 2025 photo Fred Boucher

Oleñka Carrasco à l’occasion des PHOTAUMNALES 2025 propose une version augmentée de « La Casa, corrosiva » (projet PATRIA) qui a été l’une des révélations des Rencontres d’Arles en 2023. Avec Emmanuelle Halkin, commissaire, elle s’est emparée de la chapelle Saint-Prix dans le Beauvaisis pour dérouler une installation immersive à partir de performances et de rituels autour de cette sensation qu’est l’exil, poursuivant un travail de mémoire autour de ses archives familiales et personnelles et de son lien avec le Vénézuéla. La thématique « Habiter » du festival cette année a trouvé un vrai écho dans sa proposition. 

Oleñka retrace les étapes décisives de son parcours entre son mentorat à l’ENSP, les Rencontres d’Arles et les Rencontres photographiques du Xème. Elle confie avoir dû franchir un certain nombre d’obstacles pour se faire une place au sein de la scène artistique parisienne. 

Emmanuelle Halkin et Oleñka Carrasco, PHOTAUMNALES 2025 photo MdF

Qu’est-ce que vous proposez à la chapelle Saint-Prix ?

Avec Emmanuelle, nous montrons une partie du premier chapitre de PATRIA, projet qui se développe en quatre chapitres. Le premier chapitre traite des images qui s’appellent les corrosives. Avec cette série « La Casa, Corrosiva » j’explore les souvenirs que j’ai de ma maison d’enfance via les archives que j’ai reçues par WhatsApp de mon frère, au moment de la mort de mon père, pour me remémorer cette maison que j’ai quittée en 2003 et pas revue depuis 2015. Ensuite, je traite cette image avec un mélange corrosif qui est créé dans mon atelier. De plus, avec Emmanuelle nous avons introduit un twist parce qu’on s’est concentrées sur les images que j’avais créées, en lien avec les jardins de cette maison au Vénézuéla étant donné que je suis très attachée à toutes ces parties organiques, naturelles, comme un bananier, un papayer que l’on ne trouve pas ici. 

Quand Fred et Emmanuelle m’ont proposé cette chapelle, j’ai eu l’idée d’une installation immersive qui va vous plonger dans toute une colorimétrie assez particulière, tropicale, des images qui sont en train de se détruire. Toute une colorimétrie qui m’est très chère et que, depuis 2015, je ne peux plus voir. Une évocation autour de cette question de comment le souvenir, la mémoire, se transforme quand on est en exil et quand on sent qu’on commence à oublier le pays d’origine. 

Qu’est-ce que vous avez pensé du lieu, la chapelle ?

Comment cela vous a inspiré ?

C’est un lieu magnifique. Pour pouvoir créer une installation immersive je préfère des lieux comme ça. Même si être à l’extérieur, cela permet sans doute plus de contacts avec les gens. Mais ici, le concept de l’église, ça parle avec quelque chose en lien avec la mémoire, la conservation d’un souvenir. Et c’est aussi un endroit où l’on se recueille pour prier, pour demander des choses. Et c’est quelque chose qui est très lié à PATRIA et à ma famille qui est très croyante, plutôt protestante que catholique. Le symbole de l’Église, était très important pour nous en tant que lieu où se recentrer et solliciter des choses. Je ne suis pas croyante moi-même mais je suis très respectueuse face à ces lieux qui ont été désacralisés, toute la puissance énergétique qui s’en dégage et que l’on peut développer. L’église n’étant pas très grande, ça m’a permis de développer avec Emmanuelle un vrai jardin que les gens vont parcourir d’arbre en arbre et de créer un autel pour accueillir ma pratique performative.

Oleñka Carrasco PATRIA La Casa, corrosiva vue de l’installation Photaumnales 2025 Chapelle Saint-Prix, Montreuil-sur-Brêche courtesy de l’artiste Adagp photo Fred Boucher

Comment créer cette dimension sensorielle ? 

Dans le cadre de mes performances, je créecréé des rituels autour des autels qui réunissent beaucoup de choses qui me sont chères. C’est un travail très sensoriel. Il va y avoir des odeurs, des sons, des images. Il y a toutes ces questions autour du goût de mon pays que j’ai perdu. C’est un espace qui va permettre de rassembler des personnes pour partager cette expérience de l’exil.C’était pareil, à Arles à l’espace Croisière qui m’a permis avec les deux salles de recréer une maison. En fonction des espaces et des contextes, je cherche toujours à recréer une forme immersive de cette maison.

Il y a l’idée du foyer, de la maison qui est importante

C’est pour cela que le sujet « Habiter » résonnait beaucoup pour moi. Mon sujet est la maison que l’on perd et qu’on laisse derrière soi et la maison que l’on construit ailleurs. Il faut dire aussi que, quand je travaille avec la performance, dans tous les lieux ou les chapitres de PATRIA s’expose, je prends des choses du lieu pour créer mes autels comme des briques. Pour les Photaumnales, Fred Boucher a récupéré des briques de la region qu’un voisin lui a données.  On réalise vraiment la matérialité du territoire. Quand je viens, c’est comme si ce territoire m’accueillait. Il m’embrasse et moi, j’embrasse le territoire. 

Est-ce que vous pensez à une suite pour PATRIA ?

Oui bien sûr. Grâce au prix du Cnap que je viens de recevoir, je m’embarque dans le troisième chapitre de PATRIA qui s’appelle « A S I L O : Nosotros Tierra Somos », autour du lien entre exil et les empreintes laissées sur la terre et les corps. C’est très organique encore, très sensoriel. Je pars en exploration dans 3 pays, frontaliers du Venezuela. Je vais faire tout un travail sur les plateaux de Guyane, un territoire qui englobe la zone où je suis née. Sans entrer au Vénézuéla, je vais amorcer un travail de retour aux sources originaires de ma nationalité à partir de l’Amazonie. 

Votre atelier est au centre de Paris à Hôtel de Ville, Comment vous avez vous obtenu cet atelier ?

Oui à Hôtel de ville, avenue Victoria dans les anciens locaux de l’APHP. C’est un endroit qui s’appelle Les Arches citoyennes. J’ai répondu à un appel à candidature.

Ça fait deux ans et demi que je suis sur place. Un lieu magique et très central. 

Comment vous jugez la scène à Paris ? Est-ce que vous la trouvez ouverte ? 

Je pense que c’est une question complexe parce que je cumule les obstacles en tant qu’artiste, femme, latino-américaine… Il y a beaucoup de caps à franchir, beaucoup de plafonds de verre. Je travaille avec de nombreux collectifs et entretiens de vrais liens avec mes commissaires. Je crois beaucoup en la puissance collective du travail, en la pédagogie et transmission de la photographie. C’est pourquoi j’ai lancé La.ima, laboratoire transatlantique de création & d’images. La scène on la construit ! Il faut se faire son réseau dans l’art, à force de travail et de persuasion. 

Et Arles, comment ça s’est fait ?

Tout d’abord la maquette de mon livre Maison prêtée pour un deuil est sélectionnée au Luma Book Award et exposée aux Rencontres d’Arles en 2022.

La même année, je reçois le prestigieux Prix Photo Folio Review, qui donne droit à une exposition aux Rencontres l’année suivante. 2023 est aussi l’année des rencontres photographiques du 10ème dont je suis lauréate. 

Et pourquoi la France ? 

C’était circonstanciel et j’ai d’abord quitté le Venezuela pour poursuivre mes études en Espagne, à Madrid autour d’un Master en Sciences Humaines, spécialisation théorie du spectacle et de la danse,

Ensuite, j’ai tout quitté pour aller voyager partout dans le monde, un long voyage d’un an. Puis, avec mon compagnon de l’époque, qui était français, on a décidé de s’installer ici. En 2022 j’ai complété mon cursus avec un programme de mentorat à l’ENSP Arles où j’ai pu développer ce projet. Un jalon décisif dans une année exceptionnelle. 

Suivre les projets de l’artiste :

https://www.olenkacarrasco.com

https://www.olenkacarrasco.com/la-ima

Infos pratiques :

PHOTAUMNALES

22 ème édition 

« Habiter »

Parcours

jusqu’au 31 décembre

https://www.photaumnales.fr

Lire en complément mon interview avec la photographe canadienne Judith Bellavance exposée Espace Séraphine Louis (lien vers).