Artemisia, affirmation de soi et héroïnes caravagesques au musée Jacquemart-André 

Artemisia Gentileschi, Judith et sa servante v. 1618-1619 Huile sur toile 114 x 935 cm Florence Gallerie degli Uffizi Galleria Palatina credit Su concessionne del Ministera della Cultura

Le destin et l’œuvre d’Artemisia Gentileschi (1593–1653) ne font qu’un et une relecture des pionnières de l’histoire de l’art la place désormais au cœur d’enjeux très contemporains (le viol et le procès, l’émancipation du père et du système patriarcal de la Rome baroque, la reconnaissance internationale). Le musée Jacquemart-André avec l’exposition justement nommée « Artemisia, Héroïne de l’art » réunit 40 tableaux exceptionnels soulignant son talent précoce, sa lutte contre les injustices et sa capacité de résilience dans une réécriture de la représentation féminine avant l’heure.

Artemisia Gentileschi, Autoportrait en joueuse de luth, 1614-1615, Huile sur toile, 77,5 x 71,8 cm, Hartford CT., Wadsworth Atheneum Museum of Art, Charles H. Schwartz Endowment Fund crédit : Allen Phillips/Wadsworth Atheneum

C’est à l’âge de 18 ans qu’elle est victime du viol d’Agostino Tassi, employé comme professeur par son père Orazio Gentileschi et protégé du Pape Paul V Borghèse. S’en suit un procès retentissant où elle est torturée et humiliée pour qualifier l’agression alors que Tassi ne purgera jamais sa peine. Une expérience traumatique qui va définitivement marquer son parcours et sa pratique comme en témoigne notamment la toile Judith et sa servante, 1615 (Florence, Galerie des Offices) autour du meurtre du général assyrien Holopherne avec l’influence du Caravage et d’une composition de son père placée en regard même si Artemisia se détache avec un sens psychologique aigu de ses personnages. L’héroïsme au féminin devient une constante de son œuvre comme avec Judith décapitant Holopherne vers 1612 (Naples, museo di Capodimonte) dont l’original n’est pas venu, même si comme le souligne Pierre Curie, conservateur du musée Jacquemart André et co-commissaire de l’exposition, il ne s’agissait pas de donner une lecture uniquement biographique de la peintre mais de la placer résolument dans son époque. Elle sera la seule femme à intégrer l’Académie des Beaux-Arts de Florence après son départ de Rome et son mariage avec le peintre et apothicaire Pierantonio Stiattesi. 

Des années qui vont être décisives dans sa reconnaissance autour de tout un réseau de relations qu’elle tisse avec l’intelligentsia florentine : lettrés, poètes, artistes, musiciens. Portraitiste de talent, elle gagne la confiance des Médicis et obtient plusieurs commandes. De plus elle rencontre l’aristocrate Francesco Maria Maringhi avec qui elle entame une liaison et qui l’introduit auprès d’une clientèle fortunée. Aux côtés de la Dame tenant son éventail (vers 1620), l’Autoportrait en joueuse de luth, 1614 en provenance du Wadsworth Atheneum (Connecticut), la Madeleine pénitente de la Cathédrale de Séville, ou encore la Vénus endormie du Virginia Museum of Fine Art, ses héroïnes et modèles sont saisies dans tout leur potentiel érotique ce qui rompt avec les conventions de l’époque. De plus les nus féminins sont rares.

Artemisia Gentileschi, Yael et Sisera, 1620, Huile sur toile, 93×128 Budapest, Szépművészeti Múzeum. © Arts Photograph Szépművészeti Múzeum/ Museum of Fine Arts, Budapest, 2025

En 1620 Artemisia retourne à Rome et est désignée comme « chef de famille », son mari vivant séparé d’elle. Un statut hors norme. Elle vit de ses nombreuses commandes. Après des séjours à Gênes et Venise, elle gagne Naples à l’invitation du duc d’Alcala, vice-roi d’Espagne qui l’introduit à la Cour. Elle y dirige son propre atelier. Puis ce sera Londres à l’invitation du roi Charles Ier d’Angleterre avant un retour à Naples. Des voyages qui ressemblent à ceux pratiqués par Elisabeth Vigée-Lebrun quelques siècles plus tard, autre grande figure émancipée de l’histoire de l’art qui prendra ses distances avec son mari et rival en peinture. 

Gentileschi, Artemisia ; 1593–c. 1654 “Suzanne et le vieillards”.
Huile sur toile, H. 1,70 ; L. 1,19.
Pommersfelden, Graf v. Schönborn’sche Slg.

Les femmes qu’elle peint ne sont jamais des victimes passives ; elles sont puissantes et déterminées mais aussi pleines de sensualité et de ruse dans une réécriture des récits bibliques ou mythologiques traditionnels comme avec la scène de Yaël et Siséra, 1620, prêt exceptionnel du musée de Budapest. Le chef de l’armée cananéenne endormi dans sa tente est alors tué de sang-froid par l’héroïne, vêtue à la mode florentine sophistiquée de l’époque qui contraste avec le piquet et le marteau employés. Elle est dans une forme de contrôle. Le spectateur est comme souvent, partie prenante de la scène. Il est intéressant de noter la signature « Lomi » au moment où Artemisia cherche à s’émanciper de la figure paternelle. 

Icône féministe avant l’heure, Artemisia dont le seul prénom suffit à la situer, trouve dans son art catharsis et résilience. Son impact dans l’histoire de l’art est enfin justement réévalué. 

Cette exposition peut donc être parcourue à travers différents niveaux de lecture, que l’on soit amateur de technicité picturale, de Caravagisme ou d’histoires d’empowerment au féminin.  Un passage s’impose par le musée Jacquemart-André ! 

Commissariat :

Patrizia Cavazzini, Maria Cristina Terzagli et Pierre Curie.

A lire « Artemisia Gentileschi Ce qu’une femme sait faire » par Alexandra Lapierre (édition Pocket), disponible à la libraire-boutique du musée. 

Pour les amateurs de beaux livres d’art : sortie de la monographie d’Artemisia chez Citadelles & Mazenod et Catalogue de l’exposition, 212 pages, 35 € disponible à la librairie-boutique.

Infos pratiques :

Artemisia, héroïne de l’art 

Jusqu’au 3 août 2025 

Tarif plein 18 €

Billetterie (réservation conseillée) 

Le musée est ouvert du lundi au jeudi de 10h à 18h, le vendredi de 10h à 22h et les samedis et dimanches de 10h à 19h

158 boulevard Haussmann 75008 Paris

https://www.musee-jacquemart-andre.com/fr/visiter/horaires-et-acces