Vue de l’exposition « The Sweet Days of discipline” Villa Arson, avec l’installation d’Héloïse Farago, photo Jean-Christophe Lett
L’artiste Héloïse Farago fait partie de l’exposition collective « The Sweet days of Discipline » curatée par la revue octopus notes à la Villa Arson qui dresse un bilan à un an du diplôme pour l’ensemble de la promotion 2023. Héloïse juge cette période très productive et stimulante ayant fait le choix de s’installer en ruralité avec sa compagne, l’artiste Camille Chastang, rencontrée à la Villa Arson. A cette occasion, elle propose dans l’emblématique Salle Carré l’installation « Je repars guerroyer » qui revisite la tente guerrière et viriliste et la vidéo « Love Story » où elle performe ses propres compositions musicales sous les traits de son alter ego TroubaDUℜE. Sous couvert des codes de l’esthétique moyenâgeuse, l’artiste instille des perspectives féministes et queer. Héloïse revendique une historiographie débarrassée de l’hétéropatriarcat et une relecture du Moyen-Âge souvent perçu comme une période obscure et aliénante pour les femmes. Une visée politique émancipatrice qui passe par une imagerie volontairement très accessible au public, ce qui n’est pas toujours le cas en art contemporain comme elle le souligne. De plus ces images en apparence inoffensives et longtemps minorées qui renvoient à l’expression du « cheval de troie » employée par l’autrice et militante Monique Wittig.
Héloïse Farago, Arbre généalogique, 2022-2024, 100% L’Expo
Après 100% l’Expo à la Villette et la Biennale de la Jeune Création à la Graineterie (Houilles), Héloïse pour 2025 fera partie de la résidence création en cours des Ateliers Médicis destinée à un public d’élèves en zone rurale et prioritaire, elle sera aussi en résidence au Wonder à partir du mois d’avril et partira en juin à Budapest avec le CEAAC de Strasbourg en partenariat avec la Budapest Gallery. Héloïse fera partie d’une exposition collective au Frac Ile de France autour de la question de l’art médiéval et de l’art contemporain. Héloïse a répondu à mes questions.
Marie de La Fresnaye. Si vous deviez définir en quelques mots votre année post-diplôme …
Héloïse Farago. Cela a été une année très chargée et enrichissante à plein d’endroits.
Beaucoup de choses se sont passées. Ayant pris la décision de déménager pour m’installer en ruralité, ce qui soulève de nombreuses questions pour les artistes mais permet aussi de sortir d’un temps capitaliste en ville pour gagner en temps de création et qualité de vie grâce à plus de superficie. J’ai eu dans ce contexte l’opportunité de pouvoir postuler à plus de résidences.
MdF. Avez-vous gardé des liens avec d’autres artistes, engagé des collaborations à plusieurs ?
HF. J’ai gardé des liens amicaux avec les personnes de la Villa Arson à commencer par les équipes du centre d’art, au sein de ma promotion et également d’autres promotions. Je continue à suivre certain.es pas encore diplômé.es. Autant de relations qui créent une émulation. De plus j’ai rencontré ma compagne à la Villa Arson, Camille Chastang, avec qui je vie et travaille au quotidien. Cela noue nécessairement des correspondances plastiques.
MdF. Vous présentez une installation dans l’emblématique Salle Carrée, « Je repars guerroyer » : pouvez-vous nous la décrire ?
HF. L’installation implique plusieurs matériaux et reprend l’esthétique des barnums de guerre que l’on trouve sur les champs de bataille d’époque des peintures moyenâgeuses historiques. Il s’agit de sortes de tentes qui servent à l’élaboration de la stratégie autour du combat avec des cartes topographiques et autres symboles. Ce barnum reprend aussi l’esthétique des jeux pour enfants. Au sein de la tente qui a des couleurs assez joyeuses et accueillantes, se trouve une table sur laquelle est posée une carte en céramique en 3D figurant les différents endroits de la lutte. Si ce n’est que cette lutte est la lutte contre l’hétéropatriacat avec des lieux identifiés. Cela renvoie aussi à la carte du Tendre de la Renaissance. Le tout est formulé avec une pointe d’humour.
MdF. Vous présentez également un film « Love Story »: comment le médiéval se conjugue-t-il au féminisme ?
HF. Ce qui m’intéresse est de porter un regard sur l’historiographie et la façon dont on m’a raconté l’histoire avec un grand H qui est politique. Bien souvent le Moyen-âge a été relégué à une période sombre et obscure, ce qui est une vision totalement fausse comme je l’ai découvert au fil de mes recherches. Ces clichés ont été lancés au moment de la Renaissance et du XIXème siècle pour enterrer et faire oublier cette période qui a été en réalité émancipatrice autour des questions du féminin et du genre.
Je citerai volontiers l’ouvrage de l’historien et artiste Clovis Maillet « Les genres fluides » qui constate que le genre était beaucoup moins binaire qu’il ne l’est aujourd’hui.
MdF. Vous avez participé à 100% l’Expo : que représente cette expérience dans votre parcours ?
HF. J’ai proposé à cette occasion un dessin monumental dans une version réactualisée de celui imaginé à l’occasion de mon diplôme de 3ème année et perdu entre temps… Cela a impliqué un important travail. Le dessin représente un arbre d’inspiration généalogique et médiévale dans lequel figure des femmes avec des monstresses – et je tiens à ce terme- amies et libératrices et non des figures dominatrices comme souvent, plaçant les femmes en attente d’une délivrance masculine. Par ailleurs étaient exposées des œuvres plus petites : dessins, céramiques ainsi que mon film « Love Story ».
Cela a été une expérience très importante d’une part en termes de conditions de travail avec un rapport d’échelle exigeant, les espaces étant très grands et impliquant des équipes nombreuses. Et d’autre part cela offre une visibilité autant auprès de personnes du monde de l’art que du grand public.
MdF. Vous avez également été retenue pour la 15ème Biennale de la Jeune Création à la Graineterie, autre étape importante : qu’avez-vous proposé à cette occasion ?
HF. L’installation était construite autour de 6 grands dessins de figures inspirées d’un charivari de la Renaissance allemande. Les charivaris étaient des sortes de carnavals populaires qui surgissaient à tout moment et avaient pour but de viser une personne qui défiait les règles morales de la société : des homosexuels, femmes adultères ou hommes violents… j’ai voulu proposer une sorte de charivari émancipateur où ne figure que des personnages non binaires et qui tiennent des brocolis, un signe crypto-lesbien amoureux. Une farandole joyeuse et revendicatrice !
Ces personnages étaient accompagnés de dessins de chevaux, des chevaux de Troie, ce qui me permettent de montrer d’autres œuvres comme le film Love Story.
Toute cette installation immersive était proposée avec un sol en fausse pelouse, des fleurs en céramique, un banc pour s’assoir.
MdF. Vous déclarez considérer votre travail comme un « Cheval de Troie », qu’est-ce que cela implique ?
HF. C’est un concept directement emprunté à Monique Wittig, autrice militante lesbienne féministe. Je me réfère souvent à une imagerie médiévale et souvent enfantine, naïve, des formes longtemps méprisées dont on ne se méfie pas. Cela me permet ainsi d’introduire d’autres sujets plus politiques. Des esthétiques qui offrent une certaine accessibilité, ce qui est essentiel si l’on veut adopter une approche politique. Souvent en art contemporain il y a des formes qui sont oppressives et que je parviens difficilement à comprendre alors que j’ai fait des études d’art. Des installations très épurées souvent dans des white cube. Je propose des œuvres qui essaient de court-circuiter ces formes de représentation de l’art contemporain.
MdF. Quels sont vos projets ?
HF. Pour 2025 plusieurs projets se profilent. Je participe à la résidence création en cours des Ateliers Médicis qui met en relation des artistes avec des classes de CM1, CM2 dans les zones rurales ou prioritaires. Je vais travailler avec une école primaire dans l’Orne sur toute l’année. J’ai également une résidence aux Ateliers Wonder à Bobigny en avril et vais faire partie d’une exposition collective au Frac Ile-de-France autour de la question de l’art médiéval et contemporain. Pour finir je vais partir en résidence à Budapest au mois de juin avec le CEAAC de Strasbourg.
Héloïse en écoute FOMO_Podcast
Héloïse Farago, Tintamarre, 2024, Biennale de la Jeune création
Infos pratiques :
« The Sweet days of discipline »
Commissariat octopus notes
Villa Arson, Nice
Jusqu’au 2 février 2025
https://villa-arson.fr/programmation/expositions/sweet-days-of-discipline
Actualité de l’artiste :