Vues exposition Vie.ves ! Sauvage, La Station © Eleonora Paciullo
A l’occasion du festival OVNi 2024 rencontre avec Camille Franch-Guerra, artiste et commissaire de l’exposition collective Vie-ves ! Sauvage à LA STATION. Autour de logiques émancipatrices de co-création ces tisseuses, musiciennes, chanteuses, naturalistes, performeuses, agroécologue, philosophes, poétesses, danseuses, photographes, paysagistes.. inventent de nouveaux territoires autour du féminin sauvage. Transposer l’éco-féminisme dans le champ de l’art contemporain pour écrire un récit décolonisé des corps et de la nature, telle est la force de la proposition de Camille et ses co-autrices. Cheminement, initiation, rites, aura, gestes,.. différentes formes de transmission sont à l’œuvre. Un écosystème instable qu’il faut traverser et apprivoiser entre rêve et réalité, catharsis et soin. Camille a répondu à mes questions.
Pouvez-vous revenir sur le choix du titre
Le titre Vie-ves ! Sauvage est une sorte de rébus comme j’aime beaucoup les formuler dans le titre de mes œuvres. Des mots découpés, réassemblés, poétisés, dont la langue est déployée comme un langage fait de signes plus qu’une simple combinaison de lettres. Un langage où les subtilités sémantiques et les variations de sens s’inspirent du Makaton, une méthode d’orthophonie qui, par l’association de mots, de signes et d’images (ou pictogrammes), facilite la communication et le développement.
Vie-ves ! fait référence à la vie qui s’accompagne d’une ponctuation, qui exprime un mouvement, une expression, un slogan, une réclamation un – reclaim – qui ne s’arrête pas à la langue, mais à la sémiologie qui s’en dégage. Vie – la vie, donc Vive ! la vie puis Vie-Ves – de vives, petits poissons Echiichthys vipera, qui est l’un des rares poissons venimeux présents en Europe, et dont les épines dorsales extrêmement acérées sont capables de traverser une chaussure ou des gants de plongée. Son poison est très douloureux mais pas mortel. Mais aussi à – brûlées vives – comme les sorcières et le bûcher, la sorcellerie, les rumeurs et croyances. L’exclamation ! peut exprimer un sentiment de joie, d’étonnement, mais aussi de crainte, d’indignation, d’ironie, de chagrin, de douleur. Alors Vie-ves ! est un slogan devenu ce drapeau sérigraphié en poudre de fleurs et d’algues, présent à l’entrée de l’exposition et dessiné par Elena King. Il est un texte déclamé, poétique et politique que l’on aurait alors pu lire lors des actions – Women’s Pentagon actions – à l’origine de l’éco-féminisme américain, un an après l’accident nucléaire de Three Mile Island (Pennsylvanie) en 1979. Des femmes s’étaient réunies spontanément autour de leurs engagements antinucléaires, pacifistes et féministes en brandissant des pancartes, habillées en sorcières et entourant le Pentagone de fil de laine.
Puis nous avons le mot sauvage, adjectif et nom, ni féminin ni masculin, dont ici toutes les définitions diverses rejettent toutes acceptions figurées et dépréciatives de la nature, de l’animal ou du végétal, de l’individu mais nous rapproche instinctuellement de ceux et celles-ci.
Qu’est-ce que le féminin sauvage, fil rouge de l’exposition, selon vous ?
Le féminin sauvage peut-être vu et penser de différents points de vue dans les champs multiples et diverses qu’il traverse. Le concept du féminin sauvage est plus complexe et pertinent qu’il n’y paraît, car il est simultanément nourri par des perspectives ontologique, sociologique et politique dont l’histoire raconte son récit. Bien que le fil rouge de l’exposition ne veut pas s’attarder à raconter l’histoire du féminin sauvage, ce que d’autres ont fait et feront bien mieux que moi, mais plutôt d’actionner une dynamite joyeuse dans une dynamique d’émancipation du patriarcat. Je suis plasticienne, scénographe et c’est avant tout la matière physique et/ou psychique qui m’intéresse. L’histoire de la féminité sauvage, c’est le chemin initiatique qui nous est convier de découvrir dans le livre Femmes qui courent avec les loups, Clarissa Pinkola Estes. Comme un médicament, l’histoire atteint la partie de votre psyché qui en a besoin. » « Les histoires nous permettent d’éveiller en nous des forces qui nous permettront de persévérer. Dans la forêt obscure de notre inconscient, nous retrouvons lentement mais sûrement prise sur les choses. » Le cycle de développement, de déclin, de mort, toujours suivi de réanimation affecte la vie physique et la vie psychique sous tous ses aspects. Tout en propulsant une forme de neutralité – genre, sexe, statut – le féminin sauvage suggère et transcende son propre concept dans ce qu’il unit et désunit, dans les regards qu’il porte sur les paradoxes que la société a construits hier et aujourd’hui.
Vues exposition Vie.ves ! Sauvage, La Station © Eleonora Paciullo
Comment avez fait la sélection des artistes/militantes/poétesses/ tisseuses/ musiciennes?
La sélection s’est faite de manière très simple. Un désir. des oeuvres. Un budget. Plusieurs possibilités sont alors envisagées. Lors de mes différents déplacements j’ai eu la chance de partir à la découverte de ces femmes, de leur atelier et de tout ce qui gravite autour de la démarche de chacune. Mais il y avait aussi ce désir de pouvoir acquérir, le temps de l’exposition, des œuvres mythiques de fonds régionaux qui s’inscrivent dans la valorisation de l’éco-féminisme. Toutes ces femmes ont su écouter le projet et elles ont eu le désir de participer, de partager et de construire ensemble cette exposition à la Station dont je fais partie. La notion de collectif, de partage, est au cœur de mes préoccupations et chacune a entendu la pluralité esthétique que peut revêtir une telle exposition. Le choix d’exposer toutes ces femmes se conjugue au pluriel dans un postulat que le statut de chacune ne devrait pas être défini de tel ou tel manière et d’être institutionnaliser dans ce sens. car c’est dans un regard horizontal et par diverses formes de transmissions que chacune transmettent des idées, des rites, des concepts et qui peut-être questionnent le statut même dans lequel chaque femmes doit s’inscrire pour exister aux yeux de tous.tes.
Comment les dispositifs scénographiques accompagnent-ils cette catharsis poétique agissante ?
Scénographier, c’est aussi prendre en compte le lieu dans lequel on s’inscrit : son histoire, son aura, son statut. L’espace vibre et vit et ce qu’il contient vit avec lui. Finalement, le lieu, le contenu et le visiteur se rencontrent et évoluent ensemble, leur temporalité propre se juxtaposent et un dialogue naît. La scénographie a toujours endossé le rôle de transmission ; ici elle est un élément qui s’intègre dans un schéma horizontal et non plus vertical. Si ce constat peut paraître évident pour les uns ou démagogique pour les autres, il s’agit de rendre compte que l’espace d’exposition sert à faire connaître, à faire ressentir. Faire coexister des espace-temps où la narration des œuvres et la vie concrète des visiteurs d’un temps à un autre par le récit. Vivre l’expérience de l’espace, de l’immersion, rend compte de la « vivance » de « vivencia » en espagnol, qui renvoie aussi à la présence du vivant ou la perception du vivant dans la conscience. C’est par l’expérience de l’espace que l’on arrive à la construction du récit. Alors le récit apparait comme un biais, un moyen de transmettre au public ces connaissances et ces émotions. Pourquoi demander aux visiteurs de planter une graine de plantes mellifères au sein de l’exposition ? Si la terre viable sera réemployée et donnera de nouvelles futures pousses, c’est par l’acte même de réensemencement que le visiteur participe aux enjeux de demain. S’asseoir sur une souche, exprimer la lenteur et vivre dans ce temps que l’on peut « Vie-ves » les différents gestes et paroles, mémoires et archives que certaines femmes ont auparavant construit et continue de construire autour de la notion d’éco-féminisme. Le rôle de la scénographie et la participation de chacun suggère un nouveau schéma de transmission, un récit empli d’émotion.
L’oeuvre de Noémie Monier « Projet Mancie-Manie » est une sorte de matrice en puissance de l’ensemble de l’exposition : pouvez-vous nous en décrypter les ressorts ?
Alphabet est le nom donné à l’œuvre de Noémie Monier. Bien que paradoxal car ici l’Alphabet n’est pas fait de lettre mais d’objet chargé de symbole et de thématiques respectives propre aux œuvres de toutes les artistes. Cette œuvre est directement inspirée du premier arcane majeur du Tarot de Marseille: Le Bateleur. Désigné comme figure magique, il a le pouvoir d’activer des objets qui sont réunis autour d’une table afin d’ amorcer une quête, une approche matricielle où chaque geste prend racine, se développe ou se produit. Dans cette matrice en puissance, – j’aime beaucoup cette image d’ailleurs – la quête du bateleur désir faire naître un archétype, un modèle collectif de comportement, une matrice vide que l’on va remplirde notre histoire et de notre conscience. Mais c’est dans un long périple où l’apprentissage au cœur de la matière que l’apprenti initié devra parcourir les champs d’expériences le séparant du monde. Dans le ventre de notre mère, ces arcanes sont droits, puis se renversent à notre naissance. Effectivement comme vous le dîtes, l’œuvre de Noémie est une matrice en puissance de l’ensemble de l’exposition. Une maquette qui s’inscrit autant dans l’espace réel que fictif car il révèle des espaces cachés, imaginaires, attenants à l’espace réel. Les œuvres réelles dans l’espace et les objets fictifs de ces œuvres ici sur cette table de jeu sont chargées de thématiques comme la mort, l’héritage culturel, la maternité, l’identité. C’est alors que toutes œuvres, ces objets, d’une activation potentielle, suite un désir de toucher afin de proposer un récit dont chacun.es en seraient l’acteur.
En collaboration avec le Frac Lorraine, la Galerie Alain Gutharc et le festival OVNI.
Liste des artistes : Patricia Allio, Bianca Argimón, Anaïs Auger-Mathurin & Louise Thurin, AWARE, Minia Biabiany, Kalice Brun & Eve Pietruschi, Leïla Chaix, Ágnes Dénes, Camille Frasca, Cécile Granier de Cassagnac, GAZE MAGAZINE, Carla Gueye, Suzanne Husky, Charlotte Janis, Laura Lafon, Librairie Vigna, Annette Messager, Noémie Monier, Some of Us, Célia Viale et Alicia Zaton.
Ecouter Camille Podcast VIVACE(S)
https://podcast.ausha.co/vivaces/paysages-intermediaires-avec-camille-franch-guerra-artiste
Infos pratiques :
Vie-ves ! Sauvage
Jusqu’au 30 novembre 24
Le Station
http://www.lastation.org/exposition/vie-ves-sauvage/
Camille Franch-Guerra est représentée par la galerie Eva Vautier :
https://eva-vautier.com/portfolio-item/camille-franch-guerra