25ème Prix Fondation Pernod Ricard : « Ce que l’affect fait à l’art »

Vue de l’exposition All the Messages Are Emotional à la Fondation Pernod Ricard, Paris,2024. Photo Aurélien Mole

La chercheuse et curatrice Arlène Berceliot Courtin avec All the Messages are Emotional place le 25ème prix de la Fondation Pernod Ricard sous le prisme des Affect studies discipline universitaire aux Etats-Unis qui défend une revalorisation de certains affects (attachement, dépression…) dans une perspective féministe et intersectionnelle. Elle confie :

La première image qui m’est apparue à la suite de l’invitation afin d’assurer le commissariat du vingt-cinquième Prix Fondation Pernod Ricard, c’est un émoticône inscrit sur un mur du métro new-yorkais. Il s’agit d’un smiley avec un sourire vers le bas et des yeux en spirale annonçant la fin des conflits émotionnels à travers ces quelques mots : « Emotional conflicts, last day here! ».

Exceptionnellement les artistes nommé.es Clémentine Adou, Madison Bycroft, Charlotte Houette, Lenio Kaklea, HaYoung, Paul Maheke et Mona Varichon seront tous lauréats.es comme le précise Antonia Scintilla, directrice de la Fondation. Une évolution nécessaire du Prix face à une mise en concurrence constante entre les artistes dans des logiques de compétition à revoir. 

Vue de l’exposition All the Messages Are Emotional à la Fondation Pernod Ricard, Paris,2024. Photo Aurélien Mole

La pensée de Lauren Berlant (USA, 1957–2021) structure le projet. Son approche de la théorisation des affects est fondamentale autour de l’exploitation mais aussi de la marchandisation des affects dans le contexte néolibéral toxique de l’Amérique du nord. Dans le cataogue/essai qui accompagne l’exposition l’un des textes fondateurs de Berland intitulé « cruel optimism » est traduit à l’occasion autour des problématiques de notre attachement à certains objets, désirs et du prix inconscient souvent, qui en découle. Toutes ces négociations affectives que nous faisons au quotidien au prix de ce que l’on appelle « the good life » selon le rêve américain. 

Autre figure référente pour la commissaire : Sara Ahmed (UK, 1950) chercheuse féministe queer et décoloniale qui s’intéresse davantage à l’émotion en tant que synonyme de mouvement mais aussi en tant que mot largement utilisé au quotidien. Elle ajoute que ce sont les objets de l’émotion qui circulent, plutôt que l’émotion en tant que telle. Dès lors Arlène Berceliot Courtin propose une exploration collective, féministe et post-binaire de l’affect, autour d’un corps performant et décolonisé et des esthétiques minimales.

Clémentine Adou à partir de sa relecture du ready made duchampien et du minimalisme avec ces grandes boites en carton créé une sensation ambiguë chez le regardeur, un malaise face aux rebuts de la société. 

Madison Bycroft dont l’œuvre était présentée par Mécènes du sud au salon Paréidolie cet été (cf interview), avec cette installation vidéo Waterlogue elle joue du flottement des identités autour d’une écriture féminine et queer. Elle s’intéresse aux formes d’écriture non lisibles et structures de surveillance et de contrôle.

HaYoung a fondé l’entreprise DATAPERFUME afin de proposer à des utilisateurs privés ou culturels de traduire en odeurs les techno-traces qu’iels laissent au fil de leur navigation sur internet reprenant à son compte les stratégies voraces de la tech, les parfums suggérant des concepts aussi essentiels que le plaisir, la mémoire, la mort, le luxe, le désir.. comme le souligne l’artiste qui fait ressurgir l’odeur de sa mère défunte dans une sorte de memento mori.

Charlotte Houette est co-fondatrice de l’école expérimentale The Cheapest University, au sein de laquelle elle crée, avec Clara Pacotte, la revue EEAPES, consacrée à la traduction collective de textes de science-fiction féministe. Dans ses peintures rejouant les mécanismes de l’Op Art et des albums pop-up de notre enfance, toute une imagerie de guimauve pour duper l’œil dans des simulations contradictoires.

Lenio Kaklea avec Analphabet for the Camera, chorégraphie d’une large collection d’images non visibles qui évolue à chacune de ses présentations selon le lieu est à mon sens l’une des œuvres les plus en phase avec le propos de la commissaire. Présentée au Frac Grand Large dans la grande halle à proximité de la mer et du port, la performance de l’artiste transforme l’échelle de l’espace. Se jouant des catégories linguistiques et lexicales, les mouvements, gestes, signaux tantôt comiques, grotesques, d’un registre soutenu ou vernaculaire dessine une œuvre inclassable et poétiquement ancrée.

Vue de l’exposition All the Messages Are Emotional à la Fondation Pernod Ricard, Paris,2024. Photo Aurélien Mole

Paul Maheke à travers ses vidéos se penche sur son corps comme archive potentielle de la mémoire. Avec Taboo Durag (2021) Paul parle de son viol, il dit cette violence, ce tumulte, cette agitation. Il porte des protections sur les genoux et pourtant il n’ira jamais au sol. 

Mona Varichon se livre à un travail de collage et de montage dans des vidéos composites à partir d’évènements de l’actualité dans un regard critique sur les phénomènes de discrimination raciale. Ses sous titres inspirées des fiches de paroles du rap français abordent le rôle de la traduction et tendent un miroir à l’altérité. La vidéo projetée dans l’auditorium de la Fondation No, I Was Thinking of Life (CC) volontairement sans images et limité à une bande son, retranscrit les paroles de deux femmes dans deux espaces géographiques différents autour de mémoire intime et de nostalgie. 

Catalogue All the Messages are Emotional, rédigé en écriture non-binaire (disponible à la librairie)

Infos pratiques :

All the Messages are Emotional 

Fondation Pernod Ricard

Jusqu’au 31 octobre

Entrée libre 

Programmation associée

https://fondation-pernod-ricard.com/fr