Vue de l’exposition Antéfutur, Capc Musée d’art contemporain, Bordeaux (07.04.2023 – 02.09.2023). Commissaire Sandra Patron. Photo Arthur Péquin
A l’occasion du nouveau « récit de collection » curaté par Cédric Fauq et de l’exposition Antéfutur, qu’elle signe au Capc autour des scénarios d’une génération post Covid, Sandra Patron, directrice de l’emblématique musée et centre d’art nous dévoile les contours du cinquantième anniversaire prévu en deux temps entre juin et septembre 2023. La clé de voute de cet ambitieux et exigeant projet est l’invitation à l’artiste Kapwani Kiwanga d’investir la Nef et sa monumentalité pour mieux la subvertir autour de nouveaux imaginaires, tandis qu’un grand week-end festif et populaire se tiendra autour de la publication d’un livre anniversaire, d’une chaine de prise de parole ininterrompue par les voix qui ont fait le Capc, de performances.. Différents publics (local, territorial, national..) pourront ainsi être au rendez-vous, selon leurs attentes. Un prisme résolument rétrospectif et déhiérarchisé pour penser ce lieu avec le regard et les enjeux d’artistes d’aujourd’hui. Sandra Patron a répondu à mes questions.
Les enjeux d’Antéfutur
Le point de départ du projet est une tentative de comprendre la sidération post-Covid entre un passé mal digéré et un futur qui se dérobe sous nos pieds selon les scénarios alarmistes diffusés en continu. Mais à cette sombre prédiction s’offre d’autres mondes, d’autres regards possibles incarnés par les artistes pour qui instabilité résonne avec renouveau. C’est l’hypothèse -et non la thèse- que formule cette exposition qui se veut générationnelle ; à deux exceptions les artistes ont moins de 35 ans. Ce sont des digital natives qui abordent dès lors ces questions par ce prisme tout en le remettant en cause par endroit.
Il s’agit dès lors de saisir la complexité de notre moment présent d’où cette ambivalence du titre avec le préfixe anté qui signifie à la fois avant, et avant le futur c’est bien le présent, mais un présent qui peine à se nommer, mais aussi contre, contre le futur ou contre sa vision aliénante.
Toute cette génération d’artistes propose des scénarios dérivatifs à la fois dans une très grande lucidité et une relative acceptation de la situation en se saisissant de la fiction comme moteur pour tenter de circonscrire cette réalité complexe et se projeter au-delà.
Cette jeune génération est intéressante également par son extrême fluidité sans scission entre ce qui est réel ou virtuel, ce qui est ultra technologique et ce qui est de l’ordre de la main.
C’est ce que j’ai voulu rendre palpable et c’est la raison pour laquelle les techniques traditionnelles sont aussi bien présentes comme la peinture, la sculpture ou la photographie. Ce qu’illustre parfaitement l’œuvre d’Agnes Scherer où elle créée des effets d’étonnement du fait de son utilisation d’une méthode très artisanale autour de thématiques contemporaines liées aux nouvelles technologies.
Cette exposition réunit par ailleurs une très grande diversité géographique des artistes : chinois (Yuyan Wang), américain (Cooper Jacoby) allemand (Judith Hopf), koweitienne (Monira Al Qadiri), polonaise (Joanna Piotrowska), congolaise (Sandra Mujinga), britannique (Rebecca Ackroyd), égyptienne (Basim Magdy), ….Ce n’était un postulat de départ pour moi, mais au cours de l’élaboration de l’exposition, il m’a semblé intéressant de comprendre comment les artistes interprètent et pensent une réalité historique inédite d’enjeux globaux partagés, sans doute pour la première fois dans l’histoire de l’humanité à de tels niveaux d’intensité, mais comment également ces enjeux globaux sont vus à travers des histoires singulières et situées.
Le contexte gardait un vrai impact car Il est évident que dans certaines parties du monde, la question du dérèglement climatique par exemple n’est pas subie de la même manière. On le note à travers l’œuvre de Bérénice Olmedo qui illustre de tels niveaux d’intensité de la pollution spécifique à Mexico engendrant des impacts sur le corps pour les nouvelles génération.
La question de la vulnérabilité traverse l’exposition avec plusieurs scénarios de sortie. Comment ces enjeux globaux sont-ils intériorisés dans une intimité, dans un espace privé, et domestique comment iimpactent-ils nos corps ? Cela se traduit dans la peinture de Xie Lei avec cette tentative d’être toujours en rapport avec le corps de l’autre malgré les distances et les écrans.
Amour systémique le 2ème « récit de collection » confié à Cédric Fauq
Pour rappeler le contexte de départ : il s’agissait d’une sorte de manifeste à mon arrivée que d’induire un rapport très curaté à ce que l’on appelle les accrochages de collection partant du constat que nos collections publiques soulèvent un ensemble de problématiques qui ne pouvaient plus êtres tues ou minorées, autour de la question de la représentation des corps et des histoires. Le commissariat pouvant être une stratégie pour, non pas réparer le passé mais le re-contextualiser et le convoquer à l’aune des enjeux présents.
Dans cette optique, je trouve la proposition de Cédric Fauq particulièrement pertinente, tout en se singularisant du Tour du jour en quatre vingt mondes, en explorant un motif important de la pensée moderne : la grille. Une approche critique contre les systèmes établis, le pouvoir, le fonctionnement même du musée, dans un accrochage qui garde une vraie sensibilité sur les œuvres. L’exposition reste très agréable à parcourir autour de cette collaboration qu’il a tissée depuis quelques années avec l’artiste germano-vietnamienne Sung Tieu qui interagit avec des œuvres de la collection et l’architecture même des galeries.
En termes de programmation, à la fin de l’exposition qui dure 1 an ½ nous allons également proposer un séminaire réunissant un certain nombre de professionnels autour de ces enjeux.
Les 50 ans du Capc : axes de recherche, partis pris..
Nous étions à la fois heureux, enthousiastes et fiers de célébrer cet anniversaire, tout en étant conscients aussi de la grande responsabilité que cela représente ! Nous avons pris le temps avec l’équipe de nombreux échanges pour trouver le positionnement juste. L’’élément déclencheur a été le choix de l’artiste canadienne Kapwani Kiwanga pour la Nef. Il nous alors semblé évident que nous souhaitions convoquer l’histoire et la mémoire de cette institution en compagnie d’artistes contemporains dans un format à la fois rétrospectif et prospectif. Cela correspond d’ailleurs tout à fait à l’ADN du lieu.
Comment le choix s’est-il porté sur l’artiste Kapwani Kiwanga ?
Nous étions déjà en conversation avec Kapwani autour d’une proposition imaginée dans le cadre de « Mondes Nouveaux » il y a plus d’un an. Même si le projet n’a pas été retenu, nous avons amorcé un échange, et la façon dont elle fait ressurgir des histoires trop longtemps minorées ou invisibilisées, de réfléchir à la question des asymétries de pouvoir, tout cela dans un vocabulaire formel empreint de références au minimalisme, faisait sens dans l’histoire artistique et coloniale du lieu. Inviter Kapwani pour cette année de célébration de l’institution m’est alors apparue comme une évidence.
Le point de départ de l’exposition
L’artiste a passé du temps à se plonger dans les archives des expositions et notamment auprès des artistes qui ont opéré des grands gestes dans la Nef. Elle décide assez rapidement de s’inscrire dans cette histoire, de se confronter à ce rapport à la monumentalité, mais avec la singularité de son univers formel qui utilise des matériaux précaires, voire évanescents, des matériaux qui viennent d’une certaine manière subvertir la question de l’autorité induite par la monumentalité.
Autre intuition : un rapport très physique à l’espace qu’elle a perçue comme un bateau inversé en lien avec les flux de la Garonne, du fleuve, canal de navigation qui a rendu possible le développement du commerce. Nous avons découvert que dans les soubassements du Capc existait une architecture en arche similaire qui permettait de contenir les marées importantes de la Garonne et le risque d’inondation. C’est pourquoi dès le 18ème siècle la ville a été construite comme sur des pilotis en pierre. Cette découverte a été le véritable déclencheur du projet. Dans une volonté de renverser toutes les perspectives, l’artiste va imager des « incisions chirurgicales » (selon ses termes) sur le sol de la nef de sorte que l’eau y coule comme pour le fertiliser.
Une déambulation va être proposée autour d’une quarantaine de rideaux. Les rideaux vont être fait en corde de coton par une corderie artisanale dont les procédés de fabrication n’ont pas bougé depuis le XVIIèle siècle. Ces cordes ont été teintées couleur indigo, l’une des marchandises entreposées autrefois. Autant d’éléments et de matériaux présents dès l’origine du Capc.
Le titre de l’exposition
Le titre de l’exposition est Retenue. C’est un titre qui m’a bouleversé, avec toute la polysémie que l’on peut imaginer. La retenue d’eau provient tout d’abord de ces soubassements. Mais ce terme évoque aussi la retenue des histoires qui ont été empêchées. L’exposition représente par ailleurs un grand défi technique pour l’équipe, pour un résultat qui sera je pense magnifique.
La 2ème séquence
Dans un 2ème temps, le 23 et 24 septembre, nous aurons un grand WE d’anniversaire qui coïncidera avec la sortie du livre : Capc 2023,1973 une histoires des exposions.
Pour cette publication nous avons opéré selon la même modalité en invitant une jeune historienne de l’art qui n’a pas connu l’histoire du Capc, Eva Barrois de Caevel à faire une résidence de recherche parmi les archives. En parallèle, nous avons demandé des contributions aux anciens directeurs et à certains curateurs emblématiques de l’histoire de l’institution. Ils ont majoritairement répondu présents et pour la première fois de son histoire, une publication réunira des textes de Henry-Claude Cousseau, Maurice Fréchret, Charlotte Laubard, Hans Ulrich Obricht, Nicolas Bourriaud
Toutes ces voix vont constituer une longue chaine interrompue de paroles : Autoportrait d’un musée en 22 entretiens. L’artiste Anne Le Troter.va créer une œuvre à partir des récits collectés qui sera visible de manière sonore et performative tout au long du Week-end.
Jessie Darling actuellement dans l’exposition Barbe à Papa, va imaginer le gâteau d’anniversaire entre performance et sculpture. Laetitia Badaut Haussman va concevoir une œuvre lumineuse à partir des lampadaires d’André Putman, comme une pulsation.
Nous avions envie d’un grand évènement festif et populaire où différents publics vont se croiser, à la fois public amateur et passionné d’art contemporain, mais aussi les familles avec des ateliers, une boum pour les enfants, des programmes d’éducation du regard avec les écoles du quartier. Le public local a aussi de grandes attentes et ce format que nous avons amorcé en 2022 permet de croiser les publics et leurs appétences. Tout peut cohabiter de part aussi la configuration du lieu avec des espaces très différenciés mais aussi des moments et des endroits de centralité où tout le monde peut se retrouver.
Infos pratiques :
Antéfutur
Jusqu’au 03.09.23
Amour Systémique
Jusqu’au 05.01.25
Jean Sabrier, Ce qu’on ne voit pas
Evèment terminé
A venir :
Kapwani Kiwanga
Retenue
Du 30.06 au 07.01 2024
Dans le cadre des 50 ans
Save the Date ! Week-end spécial de célébration
Samedi 23 & dimanche 24 septembre 2023 -jour et nuit
Effervescence !