Interview Guillaume Piens, Art Paris Art Fair, les 25 ans : « Un saut qualitatif majeur pour cette édition anniversaire »

Zanele Muholi Sine III Sheraton Hotel Brooklyn 2019, Galerie Carole Kvasnevski

Art Paris Art Fair 2023 affiche une véritable montée en puissance autour de 134 galeries en provenance de 25 pays, engageant des propositions très curatées et pointues. La sélection a été particulièrement  rigoureuse et renouvelée à partir des 350 candidatures reçues et Guillaume Piens, commissaire général, se félicite de cette évolution de l’image de la foire devenue désirable. Le taux de répartition est de 60% galeries françaises et 40% internationales, Art Paris affichant un soutien constant en faveur la scène hexagonale, tout en valorisant de façon pionnière, le régionalisme cosmopolite. Les thématiques 2023 sont « Art & Engagement. Un regard sur la scène française» sous la houlette de Marc Donnadieu, commissaire indépendant et « L’exil, Dépossession et résistance » par Amanda Abi Khalil commissaire basée entreBeyrouth, Paris et Rio de Janeiro. Des propositions fortes qui innervent l’ensemble et reflètent l’état de notre monde. Si Art Paris a su relever de nombreux défis au sortir du confinement et s’inscrire dans une démarche inédite d’éco-conception, elle sait se montrer agile et en perpétuel devenir.  Sa différence en fait à présent sa force. Guillaume Piens est revenu sur le bilan de son action depuis son arrivée et nous dévoile les incontournables de cette édition anniversaire au diapason du printemps des arts parisien. Il a répondu à mes questions.

Guillaume Piens @ Céline Nieszawer

Les 25 ans : et si l’on regarde dans le rétroviseur…

Depuis mon arrivée il y a 12 ans l’image d’Art Paris n’était pas du tout la même. Aujourd’hui c’est devenu une foire désirable, les gens s’y projettent, les galeries ont envie d’y participer, et font de grands efforts dans ce sens. Cette évolution est ma plus belle victoire. Dans un contexte de mondialisation effrénée notre ligne de régionalisme cosmopolite était très novatrice mais pas immédiatement perçue alors qu’aujourd’hui, suite à la pandémie, le marché de l’art se régionalise. A Art Paris, chaque année les cartes sont rebattues. Il y a quelque chose de l’ordre du mouvement et de la remise en question permanente. Art Paris revendique un ADN singulier autour de partis pris qui se manifestent dans les thématiques menées. De plus nous avons montré beaucoup d’agilité et d’innovation face à la pandémie notamment avec de nombreux défis qui se sont imposés à nous. Nous avons été la première foire à rouvrir physiquement et à inaugurer le Grand Palais Ephémère, et la première foire à développer une démarche pionnière d’écoconception à partir de l’analyse de cycle de vie.

La montée en puissance d’Art Paris se mesure notamment par la présence de galeries prescriptrices

La présence et l’ancrage surtout de ces grandes galeries car il ne suffit pas de venir une fois. Nous notons un véritable saut qualitatif dans la liste cette année avec kamel mennour, Continua, Almine Rech, Perrotin, Templon, Obadia… La sélection a été difficile ayant reçu plus de 350 demandes pour quelque 130 stands. Chaque proposition retenue l’a été sur des critères très précis et les projets sont très affinés. Les galeries engagent des productions spécifiques pour la foire à l’instar d’Almine Rech par exemple, ce qui est un signe pour nous de grande considération. Cette exigence a entrainé un réel taux de renouvellement avec un nombre important de solos shows et de duo shows.

Laura Henno, The Story Teller, 2012, Galerie Nathalie Obadia

Les thématiques 2023

La première « Art et Engagement. Un regard sur la scène française » répond à une véritable  volonté de valoriser la scène hexagonale au fil des éditions. Ce regard est confié cette année à Marc Donnadieu, commissaire indépendant ancien conservateur du Musée de l’Elysée. Le second thème complémentaire correspond plus à un balayage international, confié à Amanda Abi Khalil, fondatrice de Temporary Art PlatForm sur les questions liées à l’exil.

Il est intéressant de souligner que ces thématiques irriguent et infusent la foire et si certaines galeries ne font pas partie de ces focus, cela influence leur choix. Cela donne un axe, une certaine coloration spécifique à chaque édition.

Christine Safa, La mer, par-delà ton épaule II, 2021, Huile sur toile, 18,5 x 20 cm, Courtesy Lelong & Co

Qu’est ce qui se dégage du focus « Art & Engagement » proposé par Marc Donnadieu ?

Plusieurs tendances se dégagent au sein des 20 artistes sélectionnés. D’une part, un grand nombre de femmes qui se saisissent de la question du corps et ses combats si l’on songe par exemple à la réfugiée afghane Kubra Khademi chez Eric Mouchet, la camerounaise Angèle Etoundi Essamba chez Carole Kvasnevski. Aussi la question de la guerre et du déracinement avec Laura Henno chez Nathalie Obadia autour des communautés de jeunes migrants clandestins ou Thu Van Tran (Almine Rech) qui à travers ses paysages abstraits, évoque les épandages toxiques opérés pendant la guerre du Vietnam ou les portraits de Rakajoo chez Danysz aux multiples résonnances identitaires.

Marc Donnadieu a aussi mis en avant des figures plus historiques comme Jacques Grindberg 1941-2011) chez Kaleidoscope lié à la Nouvelle Figuration des années 1960-70, un travail sans concession dans une veine expressionniste.

Majd Abdel Hamid, Burj (Tower), 2021, Fil de coton sur tissu, 28 x 26 cm, Pièce unique, Courtesy gb agency, Paris, Photo Aurélien Mole

« L’exil, Dépossession et résistance » par Amanda Abi Khalil

Comme elle le déclare en préambule : « L’exil, choisi ou forcé, est toujours subi ».

La démarche de la commissaire est de suggérer des questions devant chacune des œuvres choisies. Parmi les 18 artistes retenus, la proposition de gb agency se détache autour du palestinien Majd Abdel Hamid qui à partir de la broderie aborde les traumas et les possibles réparations de la mémoire et de l’iranienne Tirhad Hashemi, dont les dessins empreints de violence et de mélancolie retracent son exil afin de pouvoir vivre son homosexualité à Paris. Un autre travail très intéressant est celui de la franco libanaise Christine Safa présentée par Lelong qui à travers de petits paysages, façon veduta, parle de la lumière méditerranéenne, la douceur de l’été, les instants volés… «  à quel moment ne voit-on plus qu’un visage est né dans un paysage ? » comme le résume la commissaire. Soulignons également l’ukrainien Boris Mikhaïlov chez Suzanne Tarasiève exposé à la Mep et à la Bourse de commerce. Le brésilien Roberto Cabot (galerie Anne de Villepoix)  aborde l’imaginaire d’une ville, celle que l’on quitte et celle que l’on trouve ou le syrien exilé à Beyrouth Anas Albraehe (Saleh Barakat Gallery) convaincu du pouvoir thérapeutique de l’art.

 En réalité il y m’est difficile de choisir tant cette sélection est aboutie.

« Promesses »

Pour rappel, « Promesses » se concentre sur 9 galeries de moins de 6 ans d’existence dont la participation est soutenue à 45% par la foire.

Un important travail de renouvellement a été accompli sur ce secteur. Ce qui est intéressant est l’amplitude géographique très large avec une grande diversité entre la Roumanie (Gaep), le Guatemala (Galeria Rebelde), Los Angeles (Baert Gallery), en passant par Amsterdam (Enari ) et Lisbonne (This is not a white cube). Il se dégage un certain nombre de constantes qui traversent l’émergence comme le retour à la peinture figurative ou l’importance du geste artisanal et de la mémoire ancestrale qui se traduit par un intérêt pour des techniques comme le textile, la céramique.

Les « Solo Show », particulièrement nombreux cette année

Ils sont 16 cette année dédiés à la redécouverte d’artistes historiques, modernes, contemporains ou émergents.  Citons pour commencer l’artiste pionnière Louise Barbu (1931-2021) chez Françoise Livinec montrée par Iris Clert en 1974. Egalement la galerie Fabienne Levy  qui va proposer un stand spectaculaire autour Andrea Galvani ou la galerie Derouillon autour d’une véritable installation in situ d’Alexandre Benjamin Navet. Sans oublier l’artiste Alain Josseau chez Claire Gastaud qui s’inscrit dans la thématique « Art et Engagement » autour de la véracité des images ou Yann Lacroix (Anne-Sarah Benichou) dans ce renouveau de la peinture figurative.

De plus nous avons une dizaine de Duo Show avec notamment la galerie Retelet (Monaco) qui orchestre un dialogue entre deux artistes surréalistes René Magritte (1898-1967) et Marcel Mariën (1920-1993).

La place de la photographie à Art Paris 2023

Elle est importante cette année car de nombreuses galeries de Paris Photo ont postulé. Ainsi la Fisheye Gallery autour d’un projet lié à la nature et à l’écologie, Camera Obscura ou Bigaignon rejoignent une solide base autour de galeries spécialisées comme Binome avec en plus des galeries d’art contemporain dont les artistes se saisissent de la photographie. Une pratique de plus en plus courante et l’on pense à Valérie Belin chez Nathalie Obadia ou Zanele Muholi chez Carole Kvasnevski (Paris).

Le parcours VIP en écho avec le printemps des arts à Paris

Il est très intense cette année autour de 34 rendez-vous avec comme fil rouge l’exil, en cohérence avec notre thématique 2023. Cela nous a conduits à nous pencher sur ce lieu qui fait sens : l’atelier des artistes en exil. Les collectionneurs auront aussi une visite spéciale de la réouverture de la Salle Labrouste (INHA) BNF autour d’estampes d’artistes exilés. Le Musée de l’armée va également proposer un parcours autour de l’engagement et de l’exil. Citons également de nouveaux lieux comme le Hangar Y à Meudon ou la Maison de Jacques Prévert qui nous réservera une soirée spéciale autour d’interventions d’artistes de la galerie Pauline Pavec. Paris offre aussi de nombreuses grandes expositions avec lesquelles nous sommes en résonance si l’on songe notamment au Palais de Tokyo avec Exposé.es et Miriam Cahn ou « Avant l’orage » à la Bourse de commerce- Pinault Collection.

Infos pratiques :

Art Paris 2023

du 30 mars au 2 avril 2023

Grand Palais Ephémère

Art Paris