Rayan Yasmineh, Cyrus et l’odeur du lys devant les murs de Jerusalem; portrait de mon grand frère, Exposition, Rouge Bleu, ENSBA Paris, 2022
L’ancienne directrice du Magasin de Grenoble et du Frac Lorraine, Béatrice Josse, connue pour son engagement autour des invisibles de la société et de la réparation (le care), s’est vue confier par Alexia Fabre, le commissariat de l’exposition des Félicités 2022. Avec un titre sous forme d’énigme, pas très lisible, « Pour en finir encore… & autres possibles » emprunté à Samuel Beckett, la commissaire revendique une approche collective et généreuse autour d’une écologie de moyens. Puisque seulement 18 étudiant.es ont été félicité.e.s en 2022 avec une regrettable absence de collectif, il est nécessaire, selon elle, d’aller contre ces projections dominantes dans une lecture moins genrée de l’histoire de l’art.
Une dimension très présente chez plusieurs artistes qui le matérialisent sous formes de performances ou de cérémonies rituelles comme Daniel Galicia que l’on avait repéré à l’occasion de Crush (Février 2022) qui questionne l’identité et la place de la femme à partir du rite de passage adulte des 15 ans au Mexique qu’il transpose dans une école d’art française. De même l’artiste d’origine congolaise Borgial, se saisit de son corps pour dépasser les traumatismes de l’enfance lié à son exil au Congo ou d’autres épisodes douloureux. Il chausse une paire de grandes échasses dans une chorégraphie en équilibre instable comme un vecteur de renaissance et de reconnexion avec sa mythologie personnelle.
Autre question : l’exil, traverse ce panorama et concerne plusieurs artistes comme le photojournaliste irakien Ali Arkadi (prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de geurre), réfugié politique qui entremêle les exactions de l’armée irakienne et le sort des réfugiés ukrainiens à la frontière polonaise dans une installation multimédia « Between two memories ». Il invente pour l’occasion le procédé de monolithographie à savoir la projection sur les pierres cassées et collectées d’images souvent violentes. Un film projeté sur deux toiles transparentes complète l’ensemble et donne un sentiment de flottement, le tout dans une grande économie de moyens, autre constante des propositions des Félicités 2022. Que ce soit la pratique de la fonderie et du recyclage chez Emma Passera, ou l’usage du carton comme support de narrations poétiques par Mathilde Rossello-Rochet ou la combinaison de la terre, matériau pauvre avec fers à béton récupérés sur des chantiers par Sergiu Ujvarosi selon un processus de renouvellement. De même avec les sacs de magasins hard discount remplis d’herbes rudérales qui deviennent les pots-valises de la mémoire des immigrés chiliens dans la cité de La Noue à Bagnolet selon Joris Valenzuela.
Sacha Cambier se réclame d’une relecture de l’iconographie du Moyen Age et de la Renaissance à partir d’églises ou de monuments en carton qu’il rehausse de feuilles d’or dans une logique d’opposition entre le profane et le sacré, d’humour noir et de cynisme. En tant qu’artiste blanc, cisgenre homosexuel il se revendique amoral et cultive un certain goût de la provocation dans la lignée de Sade.
Certains artistes peuvent être invisibilisés par leur handicap comme Yack Vickery Perez qui transforme un puits en espace d’expositions que l’on peut découvrir via un casque de réalité virtuelle. Reprenant le concept d’hétérotopie de Foucault, l’artiste revendique cet espace comme un non-lieu autour de ces origines à la fois catalanes, anglaises par son père et sa vie en France.
Pauline-Rose Dumas associe l’univers du textile à celui de la forge, deux approches a priori très éloignées entre sphère domestique et art du feu. Les étoffes se voient alors soclées ou retenues par ces apendices de métal dans des jeux de contrastes rehaussées par les motifs textiles issus de photos macroscopiques de textures dilués ensuite par impression digitale.
Enfin l’héritage perse chez Rayan Yasmineh –autre révélation de Crush- est le prétexte pour une fusion entre les influences perses et occidentales entre miniatures orientales et relectures des canons officiels comme l’Odalisque de Manet revue et corrigée sous les traits de son frère dans le Songe de Gilgamesh. S’il clôt cette évocation, c’est aussi parce que Rayan Yasmineh a intégré la puissante galerie Mor Charpentier, signe d’un parcours sans faute où la double culture est plus que jamais un atout pour les artistes français ou vivant en France.
Liste des artistes :
Ali ARKADY
Ece BAL
BORGIAL
Sacha CAMBIER
Juliette CORNE
Pauline-Rose DUMAS
Pauline de FONTGALLAND
Daniel GALICIA
Dora JERIDI
Régis MOUSSA
Emma PASSERA
Clément PÉROT
Mathilde ROSSELLO-ROCHET
Sequoia SCAVULLO
Sergiu UJVAROSI
Joris VALENZUELA
Jack VICKERY PEREZ
Rayan YASMINEH
Catalogue
Préface d’Alexia Fabre et texte de Béatrice Josse.
Infos pratiques :
Pour en finir encore
Félicités 2022 des Beaux-arts de Paris
Jusqu’au 4 décembre
Palais des Beaux-arts
13 quai Malaquais, 75006 Paris