Harris Reed. Fluid Romanticism 001
Courtesy of Harris Reed. Photo : Giovanni Corabi
Alors que Londres et le Royaume-Unis tout entier fête non sans nostalgie, le Jubilé de platine de la Reine qui représente les derniers feux d’une époque, Londres a toujours beaucoup à offrir.
Toute première exposition consacrée à l’évolution du vestiaire masculin et ses codes au Victoria & Albert Museum « Fashioning Masculinites : The Art of Menswear » n’est pas uniquement une exposition sur la mode et justifie le voyage à elle seule. Ce qui en fait toute l’originalité : une centaine de vêtements sont rapprochés d’une centaine d’œuvres d’art selon la volonté des deux commissaires féminines : Claire Wilcox et Rosalind McKever dans une perspective non chronologique.
Si l’histoire du costume se confond avec l’emblématique Saville Row, berceau du sur mesure dans le très luxueux quartier de Mayfair, le tailoring anglais inspiré par George Brummel a depuis fortement évolué. En réalité le gender fluid n’est pas une invention récente comme nous le rappelle la première partie du parcours intitulée « Underdressed : Peu vêtu ». De l’Apollon du Belvédère, à l’Hermès Farnèse, L’Age d’Airain de Rodin mais aussi Jean-Paul Gautier, Lionel Wendt ou le jeune Ludovic de Saint Germain. Dans le chapitre suivant, « Overdressed : Trop vêtu » il s’agit de rapprocher le vestiaire masculin des codes du pouvoir et de la sociabilité comme avec le très aristocratique portrait du Comte irlandais Charles Coote par le portraitiste de génie Joshua Reynolds qui murmure à l’oreille des puissants au XVIIIème siècle, alors que le designer star américain Harris Reed formé à la Central Saint-Martins en détourne les codes dans sa collection Fluid Romanticism. Il s’agit bien d’un acte politique, porté par son ADN « Le romantisme est devenu non binaire » symbole d’une revendication plus inclusive de la mode incarnée par cette nouvelle génération de designers. La dernière partie du parcours « Redressed : Revêtu » poursuit ces incursions subtiles autour des origines du dandysme à l’anglaise avec la figure d’Oscar Wilde, les influences du costume miliaire, la navy en particulier avec l’Amiral Nelson, sur la garde-robe civile ou l’évolution d’une autre pièce emblématique : le smoking ou toxedo pour une consonance plus sexy de Marlene Dietrich à David Bowie en passant par Yves Saint-Laurent, JW Anderson ou le sculpteur Robert Longo avec ses performances de rue.
Et ne nous y trompons pas si Gucci est le partenaire de l’exposition qui se termine en bouquet final façon défilé, c’est à la hauteur des ambitions des marques, toujours plus présentes dans l’univers de l’art, ce qui fait moins grincer les dents des anglo-saxons que nous.
« Surrealisme beyond Borders » Tate Modern
Traduisible par « le Surréalisme au-delà des frontières » cette exposition en partenariat avec le Met New-York vise à sortir d’une approche eurocentrée dans une optique beaucoup plus large que celle rattachée à des artistes tels que Magritte ou Dali pour montrer à quel point ce courant artistique a essaimé partout dans le monde en Egypte, au Mexique mais aussi à Prague, Buenos Aires, Haïti, Lisbonne, Chicago…Au total 150 œuvres avec des icônes comme le téléphone-homard de Dali, le déjeuner en fourrure de Meret Oppenheim, La Mariée mise à nu par ses célibataires même de Duchamp ou l’Age d’or de Luis Buñuel mais aussi Louise Bourgeois, les poupées de Hans Bellmer, Lee Miller alors au Caire avec son premier mari égyptien Aziz Eloui Bey, Leonora Carrington ou plus contemporain avec Tracey Emin, dans une approche didactique où le désir agit comme un ressort et catalyseur artistique.
Surrealism Beyond Borders | Tate
Dominique Gonzalez-Foerster, Serpentine Gallery
Première exposition personnelle dans une institution anglaise de l’artiste française depuis TH.258 à la Tate Modern en 2008. Alienarium 5 marque le point culminant de ses recherches en continu autour de la vie extraterrestre et la science-fiction. Elle s’est entourée de l’écrivain et philosophe Paul B. Preciado, du musicien Julien Perez et du parfumeur Barnabé Fillion pour transformer l’espace de la Serpentine gallery en expérience immersive autour de la tradition du panorama avec comme question introductive : What if aliens were in love with us ? Un vaste collage qui rassemble aussi bien auteurs, poètes, activistes, chercheurs, artistes tels que J.G. Ballard, Emily Dickinson, Ursula Le Guin, David Bowie, Hilma af Klint, Turner…Au sol on peut s’assoir sur le « Tapis de la Planète » (Uranus) et piocher dans des ouvrages de référence comme John Wyndham, the Chrysalids, Stanislas Lem, Solaris, Philip K. Dick, Martian Time-Slip.
A ne pas manquer également dans l’autre galerie de la Serpentine, l’exposition Radio Ballads, dont le titre reprend le célèbre programme de la BBC entre les années 1957-64 à partir de témoignages de travailleurs sociaux de l’univers du soin souvent peu considérés mais dont le rôle s’est révélé essentiel pendant la période de la pandémie. Chacun des 4 projets illustre la capacité de la création artistique à répondre à des traumatismes tels que les abus sexuels, les maladies mentales, l’accompagnement à la fin de vie et le phénomène de la perte. L’artiste Helen Cammock ancienne travailleuse sociale, explore à travers des ateliers collectifs les notions de résistance et de résilience. Sonia Boyce (Biennale de Venise) à partir de deux années d’enquête et d’interviews auprès de personnes victimes d’abus sexuels domestiques propose dans l’installation Yes I Hear You des performances basées sur l’écoute profonde qui rejouent le traumatisme afin de donner une matérialité à de tels phénomènes.
Dominique Gonzalez-Foerster: Alienarium 5 – Serpentine Galleries
A Century of the Artist’s Studio, Whitechapel Gallery
Dernière exposition de Iwona Blazwick, emblématique directrice de la Whitechapel Gallery sur deux décennies, elle a des allures muséales dans ces espaces agrandis de la galerie sous son règne. Connue pour avoir mis en avant les artistes femmes, elles sont bien présentes dans ce panorama de Frida Kalho à Martha Rosler, Kerry James Marshall, Tracey Emin, Phyllida Barlow, Helen Frankenthaler, Mequitta Ahuja… Cette traversée de plus de 100 œuvres de 80 artistes venant du monde entier, est captivante à plus d’un titre. C’est un peu comme si l’on revisitait toute l’histoire de l’art sous l’angle de l’atelier, qu’il soit une prison (Louise Bourgeois en ouverture du parcours), un sanctuaire (Giacometti), une arène (Picasso), un laboratoire (Rauschenberg), un jeu (William Kentridge), un théâtre (Cindy Sherman) une performance (Paul Mc Carthy)…
A l’étage la vie secrète de l’exposition prend une tournure moins dense avec Francesca Woodman, Alina Szapocnikow, Barbara Hepworth ou les frères iraniens Ramin, Rokni et Hesam Rahmanian dans une partie assez iconoclaste « eating the studio ». Des reconstitutions de studios ont été faites pour l’occasion comme l’atelier de Matisse, le groupe du Bloomsbury, le Merzbau du dadaïste Kurt Schwitters assemblage composite, la Factory de Warhol. Le parcours se termine sur les 12 000 cyanotypes de Walead Beshty d’outils et de débris et supports récupérés dans l’atelier de insistant sur la capacité de renouvellement et de transformation sans fin du geste artistique.
A Century of the Artist’s Studio: 1920 – 2020 – Whitechapel Gallery
Du côté des galeries :
La 2ème édition du London Gallery Weekend rassemblait 150 galeries, difficile de faire une sélection.
Andreas Gursky & Jeff Wall, White Cube
Dans les beaux espaces de White Cube à Bermondsey et Mason’s Yard la photographie est à l’honneur avec deux maîtres : Andreas Gursky autour d’œuvres récentes et Jeff Wall autour d’une sélection retraçant les 20 dernières années. Point de repère de la ligne d’horizon de la ville, les images du bâtiment prises par Gursky suggèrent un monde financier et social en mutation ; Hong Kong Shanghai Bank II (2020), par exemple, avec sa cascade de parapluies colorés visibles sur la façade, est une allusion au « mouvement des parapluies » des manifestants anonymes de 2014. La question de la vraisemblance picturale sous-tend une nouvelle série d’œuvres qui examinent les structures politiques, réalisées après plusieurs mois d’observation des membres du Bundestag allemand.
Plusieurs images récentes de l’exposition ont été réalisées à Los Angeles, où Wall vit et travaille également. Man at a Mirror (2019) met en scène un homme dans une chambre d’hôtel qui regarde un miroir sur lequel un message a été écrit en savon…. Le sujet du grand diptyque Actor in two roles (2020) est simple et quasi invisible : la transformation de l’apparence d’un acteur d’un rôle à l’autre. Pour cette transformation, Wall et a travaillé avec des compagnies et des artistes de la communauté du « petit théâtre » de Los Angeles.
https://whitecube.com/exhibitions
Everlyn Nicodemus, Richard Saltoun
Décrite comme « l’une des voix féministes les plus fortes à émerger d’Afrique de l’Est au cours des 30 dernières années » Everlyn Nicodemus bénéficie de sa première exposition personnelle à Londres depuis 15 ans à la galerie Richard Saltoun. Engagée politiquement et en proie à un stress post traumatique, son itinéraire s’inscrit entre la Suède et la Tanzanie. Son œuvre Självporträtt, Åkersberga est récemment entrée dans les collections de la National Portrait Gallery. Une première salutaire. Traumatismes intimes et personnels, traumatismes de l’histoire et multiples identités de la femme.
https://www.richardsaltoun.com/
Hans Josephsohn chez Max Hetzler
Le sculpteur suisse orphelin et condamné aux travaux forcés pendant la guerre en tant que juif, reste très marqué par ce traumatisme. Il se concentre sur la figure humaine étudiée sous différentes typologies allant jusqu’à de grand bustes informes, des sortes de gisants. D’apparence primitive ces sculptures sondent en profondeur notre humaine condition, nos doutes et incertitudes.