Léna Durr, OVNi 2021 Installation West End Hôtel
Elle habite dans un mobil home près de Toulon et vit au milieu de ses collections d’objets stockés dans sa chambre d’ado. Autant dire que le quotidien et l’œuvre chez cette artiste diplômée des Beaux-Arts de Toulon (ESADtpm) ne font qu’un. Léna Durr s’intéresse aux normes et marges de la société qu’elle met en scène dans des installations à partir de ses collections commencées dès son jeune âge sur les marchés aux puces avec ses parents. Une approche toujours tendre et nostalgique où ces objets populaires principalement des années 1980, nous tendent un miroir de nous-mêmes. A l’occasion d’OVNi elle diffuse sa première vidéo réalisée dans une maison de retraite à partir des moments de vie dans cet espace clos où le temps s’écoule lentement. Un état transitoire comme ces objets volontiers kitsch qui rejoint une approche qu’elle considère à présent plus sociologique qu’autocentrée. Lauréate du 1er Prix Sud Emergence remis par le jury OVNi 2021 et doté de 2000€, j’avais tenu à en savoir plus avant même l’annonce des résultats, ayant pressenti sa capacité virtuose à entrer dans l’imaginaire de la chambre d’hôtel pour en faire une dérive cinématographique du féminin et ses faux semblants, véritable fil rouge de sa démarche. Une mise en abyme dont elle nous décrypte les ressorts et les enjeux.
Quel est le point de départ de votre travail ?
Je pars d’une collection continue d’objets que j’accumule depuis de nombreuses années récoltés dans des vides greniers. Des objets en plastique datés des années 1980 produits en masse que tout le monde connait et reconnait. A partir de ces objets j’opère des mises en scène activées dans des installations et des photos.
Mes recherches de travail portent sur tout ce qui se situe à la marge, les gens que l’on considère tels quels de par leurs occupations, leurs passions, leurs handicaps ou leur lieu de vie. leurs métiers
J’ai voulu aller observer une maison de retraite souvent associée à une mise au ban de la société, dans un univers très médicalisé où les gens sont souvent enfermés. Cette maison de retraite est à Toulon, étant varoise.
Connaissiez-vous OVNi ?
Je connaissais déjà Odile ayant participé à une exposition collective au Windsor en 2017 « Show me the way ». J’ai également exposé à la Station « Esterel C34 » nom d’une caravane de 1980.
La chambre d’hôtel évoque tout un imaginaire que l’on retrouve dans des détails de la vidéo comme une télécommande, un parapluie.. J’ai pour habitude de concevoir des installations qui évoqueraient des espaces de vie habités avec beaucoup d’accumulations d’objets issus de mes collections.
La vidéo Jeanne-Marguerite
Lors d’une résidence en maison de retraite, j’ai pu passer du temps avec l’ensemble des résidents lors de moments de vie commune et pu participer à certaines activités. Ces moments font l’objet d’un film. Il s’agit uniquement de plans fixes, filmés discrètement. Les visages ne sont pas visibles, ou que partiellement, par souci d’anonymat. On y retrouve leur quotidien rythmé par les différentes activités et longs moments d’attente et d’ennuie. Parallèlement à mes visites à la maison de retraite, je suis entrée en contact avec une entreprise de débarras de maison qui m’a permis d’assister à une intervention. Les séquences filmées à la maison de retraite sont ponctuées par des images d’une maison en train de se vider. Elles évoquent l’état actuel possible de l’environnement quotidien passé de ces personnes.
C’est la première vidéo que je réalise autour de ces portraits de femmes. Ce ne sont que des plans fixes, je filme comme je prends des photos et pose la camera sur un trépied en attendant qu’il se passe quelque chose dans l’image. Il y a de nombreux plans d’horloge, le temps étant très long dans une maison de retraite et tout le monde se focalisant sur ce sujet dans une sorte de perte de repères générale.
Le montage de cette vidéo a été conçue avec Edouard Monnet qui était mon professeur aux Beaux-Arts de Toulon et directeur de Vidéochroniques (Marseille) où j’ai bénéficié d’une première exposition personnelle « What a Wonderful world ».
Méthodologie pour la série de portraits Golden Age
Ce qui m’a interpellé dans cet Ephad c’est la relative économie d’objets et au fur et à mesure des réponses à mes questions certaines pensionnaires m’ont expliqué qu’elles étaient vraiment détachées des choses. Au cours de mes longues discussions avec ces femmes je leur ai demandé de me raconter des anecdotes, ce qu’elles sont beaucoup apprécié et chaque portrait évoque ainsi l’un de leurs souvenirs à partir d’un objet que j’ai fabriqué, comme cette boite à lumière dans la chambre d’Arlette dont la fille habitait aux Etats-Unis et allait souvent se faire bronzer à Palm Springs. Vous avez également l’assiette de frites de Célestine qui était infirmière chez les bonnes sœurs quand un chirurgien est sorti du bloc opératoire les doigts plein de sang et lui a piqué une fritte ! Gisèle très cultivée partageait souvent avec son mari, un banana split aux Champs Elysées à Paris. Micheline souffrant d’Alzheimer était organisatrice de voyages d’affaires pose à côté d’une photo de Palmyre, que j’ai imprimé en grand et collé dans les couloirs qui emmènent à sa chambre.
Comment stockez-vous tous ces objets ?
J’ai encore ma chambre d’ado ! Plutôt que de parler de stock, je les pense comme une pratique artistique au quotidien.
Le féminin
Mon projet de diplôme, la série Teenage, était construite sur le thème de l’adolescence avec des décors fictionnels et fantasmés que j’avais en tête. Avec Pin-Up Grrrls les images de ces 12 jeunes filles pré pubères renvoient une vision factice et Galinettes et les Femmes au bain rejouent les odalisques d’Ingres.
J’ai beaucoup de femmes dans mon travail et quand je prends en photo les hommes je les travestis.
Vue de l’exposition What a Wonderful World, Vidéochroniues Marseille 2018 courtesy the artist
Comment avez-vous réagi à l’annonce de ce Prix ?
J’ai été très touchée et émue car c’est un projet humain qui me tiens beaucoup à coeur. Je ne m’y attendais pas du tout car c’est ma toute première video. Au delà du prix, le temps du festival à été très riche en rencontres, échanges et partages avec le public, les autres artistes et les professionnels.
Quels sont vos prochains projets ?
Actuellement en résidence au centre d’art de Châteauvert je réalise un projet autour des gens qui choisissent des modes de vie et habitats non conventionnels, types mobile home, caravanes, cabanes.
Je suis aussi invitée en résidence par le GaphCMI à Carcassonne pour continuer la série de portraits Golden Age dans les EPHAD de la ville.
Léna faisait partie des artistes sélectionnés pour le Prix Polyptyque 2021 à Marseille où je l’avais rencontrée. Je ne réalise qu’après coup qu’elle avait frappé mon inconscient visuel …
Un talent décidément à suivre !
Site internet de Léna :
OVNi, les lauréats des PRIX :
SUD EMERGENCE
Léna Durr – 1èr Prix soutenu par la Caisse d’Epargne l’univers de Jeanne Marguerite, le quotidien des résidents d’une maison de retraite avec douceur et tendresse. Camille Franch-Guerra – 2e Prix Une proposition immersive dans un dédale poétique, plastique, sonore et visuel. Hayoung Kim – 3e Prix Inspirée par le jeu Google T-rex, Hayoung Kim propose de suivre l’histoire de la vie de Google Dinosaure traversant une crise existentielle.
GRAND PRIX OVNi
Maksaens Denis – 1er Prix Soutenu par le CHE de Nice
présenté par Laboratorio Arts Comtemporains Haïti, Bénin, Genève Installation immersive Mes rêves. Trois vidéos, invitant à découvrir la notion de rêves-loas, messages de l’esprit qui permettent de libérer nos pulsions refoulées Corine Borgnet – 2e PrixRésidente à l’hôtel Windsor printemps 2021 14 secondes de rien, une éternité de tout. Noé, etc…Une vingtaine de séquences anodines sur le monde animal et naturel… transformé. –Clara Thomine – 3e Prixprésentée par le Centre Wallonie Bruxelles.