Sol LeWitt au Musée juif de Belgique, Interview avec Barbara Cuglietta

Vue de l’exposition au Musée Juif de Belgique, 2021 © Hugard & Vanoverschelde

Exposition majeure dédiée à l’artiste mondialement connu Sol LeWitt sous un angle totalement inédit par Barbara Cuglietta directrice du musée juif de Belgique et co-commissaire avec Stephanie Manasseh autour de l’héritage juif du fondateur de l’art conceptuel et sa proximité avec la Belgique. Salomon (Sol) LeWitt issu d’une famille juive d’immigrants venus de Russie, bien qu’il ne soit pas religieux a toujours entretenu des liens avec sa communauté à Chester (Connecticut) et conçu un projet de synagogue pour la congrégation Beth Shalom Rodfe Zedek, un pan de son œuvre dévoilé par l’exposition. De plus les relations nouées par Sol LeWitt avec des artistes, amateurs et collectionneurs basés en Belgique par le biais de la galerie MTL, véritablement pionnière, sont également abordés. Barbara Cuglietta revient sur ce projet qui lui tenait à cœur depuis son arrivée à la tête du musée, la réalisation toute spéciale de Wall Drawings sur les murs du musée avec les étudiants des trois écoles d’art bruxelloises associées et le défi que représentait un tel projet par rapport à l’architecture même du musée.

Elle a répondu à mes questions.

Retour sur le point de départ et la genèse du projet

Le projet est né de la rencontre de Stéphanie Manasseh commissaire indépendante d’origine juive avec la famille de Sol LeWitt, sa femme Carol et sa fille Sofia et sa visite de Chester où je ne suis pas allée, le Covid m’en ayant empêché. Peu de personnes savent que Sol LeWitt est juif et connaissent son vrai prénom. Il avait réalisé des œuvres pour des mémoriaux de la Shoah à plusieurs reprises sans jamais revendiquer cette appartenance. Quand le musée a émis cette idée la famille a été très touchée car l’on aborde l’intime et la spiritualité d’un artiste plus connu pour son engagement en faveur de l’art minimal et conceptuel.

Nous avions envie de nous inscrire dans des niches car quand tout a été montré d’un artiste on en vient même à se poser la question de la pertinence de ce choix. Nous avons voulu montrer quelque chose de différent. Nous avons mis l’accent sur la richesse et la variété des formats en dialogue les uns avec les autres et cette idée de focus que j’apprécie à l’image de la synagogue ou de l’hôpital de Liège, des épiphénomènes de la grande œuvre de l’artiste.

Vue de l’exposition au Musée Juif de Belgique, 2021 © Hugard & Vanoverschelde

Quelles relations entretenait-il par rapport à sa religion ?

Elevé par sa mère dans la religion, il fréquente une congrégation dans sa jeunesse mais quand il part à New York et s’engage dans l’art conceptuel cette dimension passe au second plan. C’est au moment où de la naissance de ses filles qu’il fait un retour aux origines en quelque sorte, ce que je peux comprendre car en tant que mère se dessine l’idée de transmission. Sa femme résume parfaitement bien les choses, le décrivant comme « un non croyant très, très observant ». Il fréquente alors la communauté locale de Chester et c’est le synagogue project de 1996 à 2001 qui prend une dimension et une signification toutes particulières.

Quels partis-pris scénographiques avez-vous adoptés ?

C’est l’architecture du musée qui nous a dicté un parcours plus thématique que chronologique. L’artiste lui-même aurait réagi en fonction de ce paramètre et pensé à ce que l’architecture pouvait offrir aux œuvres. Nous avons opéré par fragments et thèmes : la géométrie, la ligne, la boucle, les œuvres sur papier.., le tout en concertation avec la Fondation Sol LeWitt /Université de Yale.

Le début du parcours ouvre sur le  Wall Drawing 368, 1982 réalisé selon ses instructions par des étudiants en art, comment s’est déroulée leur participation ?

Nous avons lancé un appel à projet auprès de 3 écoles d’art bruxelloises sur la base du volontariat. Les étudiants ont été encadrés par deux experts envoyés par la Fondation LeWitt par le biais de la Yale University art gallery, comme pour chacune des interventions murales. Dès lors que l’on choisit un wall drawing on échange avec le plus proche collaborateur de Sol Lewitt, John Hogan, qui a conçu tous les wall drawings avec LeWitt. Il évalue alors le nombre de jours nécessaires, la présence d’un ou plusieurs experts sur place et le nombre d’étudiants. Se pose alors la question du nombre de jours de fermeture du musée et le budget global sachant que nous avons dû refaire des murs étant donné les critères irréprochables exigés en termes de granulosité, de déclivité, d’encre…  L’architecture a vraiment été le fil rouge de nos choix et de cette exposition.

Vue de l’exposition au Musée Juif de Belgique, 2021 © Hugard & Vanoverschelde

La présence de l’étoile de David dans le Wall Drawing 780 de 1995

Nous avons décidé avec la famille de mettre une étoile à 6 points, motif qu’il a décliné de manière sérielle et qu’il avait par ailleurs installé dans une galerie à Séoul dans les années 1990. C’est un clin d’œil et un symbole particulier parfaitement assumé même si il n’a pas été conçu dans cet esprit au départ.

Vue de l’exposition au Musée Juif de Belgique, 2021 © Hugard & Vanoverschelde

En quoi la période belge de l’artiste est-elle un jalon très important ?

C’est très important en effet car en 1968 il réalise son premier wall drawing pour Paula Cooper, pas n’importe qui ! Il est invité quatre ans plus tard par Fernand Spillemaeckers artiste et théoricien et son épouse Lili Dujourie à l’origine de la galerie très avant-gardiste MTL qui expose Broodthaers, Toroni, Dibbets, Buren, Art and Language…Broodthaers déjà très connu sert d’intermédiaire à toute la scène minimale internationale. LeWitt réalise un wall drawiing au crayon représentant des arcs et des cercles concentriques dans la galerie qui se trouve alors au 13 avenue des Eperons d’or sur les étangs d’Ixelles. Toute l’équipe de la galerie, dont Lili Dujourie est mise à contribution. Pouvoir réactiver ce dessin 50 ans plus tard ici était pour nous magique et réjouissant !

Autre versant moins connu de LeWitt en lien avec la Belgique : le projet pour le centre hospitalier universitaire de Liège avec Charles Vandenhove

Plus de décors il s’agit d’une véritable collaboration entre l’architecture et les arts plastiques. L’architecte Charles Vandenhove était un passionné d’art contemporain qu’il collectionnait et il sollicite onze artistes parmi lesquels Sol LeWitt, Daniel Buren ou Jacques Charlier pour détourner des lambris de protection présents dans les couloirs et en faire des surfaces d’expression. Sol LeWitt propose une série de figures isométriques basées sur le cube et une autre sur l’étoile. C’est une collaboration d’égal à égal entre l’architecte et l’artiste et de là nait une longue amitié entre eux. Ils réalisent ensemble le magnifique sol du théâtre de la Monnaie à Bruxelles même si l’on ne pouvait pas tout montrer dans l’exposition, l’espace étant assez restreint.  C’est pourquoi le diaporama qui défile dans l’escalier permet de retrouver l’ensemble des archives des projets.

Barbara Cuglietta ©Lydie Nesvadba

La notion de délégation chez LeWitt

C’est un processus participatif très démocratique et avant-gardiste. LeWitt déclarait lui-même « les autres font mieux que moi ». Valoriser l’autre dans l’œuvre a quelque chose de très humble et généreux.

Quelle programmation est-elle envisagée en résonance ?

Nous allons inviter Carol LeWitt, des représentants de la galerie MTL autour de cette avant-garde si féconde en Belgique dans les années 1960 ou des représentants de la fondation Vandenhove qui vont retracer cette histoire d’amitié.

Une publication est-elle prévue ?

Un nouveau catalogue de la Yale University Press très complet vient d’être publié avec tout un volet sur la synagogue de Chester donc nous ne voulions pas en rajouter. C’est pourquoi nous avons prévu un livret de salle augmenté et il y a également l’application microsoft conçue avec l’estate Sol LeWitt à partir de laquelle les visiteurs pourront visiter virtuellement le studio de l’artiste et par le biais de l’intelligence artificielle, scanner les wall drawings exposés pour en savoir plus. Encore  une première en Belgique !

Infos pratiques :

Sol LeWitt, Wall Drawings, Works on paper, Structures

jusqu’au 1er mai 2022

Musée juif de Belgique

Du mardi au vendredi de 10h à 17h, les samedis et dimanches de 10h à 18h.
Fermé le lundi.

Billeterie en ligne :

mjb-jmb.org

Organiser votre venue :

visit.brussels | Visit Brussels

Billets de train – Paris, Bruxelles, Amsterdam, Cologne | Thalys

pour les fêtes de fin d’année : féérie garantie !