Venet Foundation – Vue du parc de sculptures Ă la Fondation Venet – Le Muy France © Photo Archives Bernar Venet New York
Une journĂ©e Ă la Venet Fondation au Muy est toujours un moment Ă part. En pleine nature provençale au bord de la Nartuby, sur le site du moulin des Serres, les Arcs en acier Corten et autres « effondrements » de Bernar Venet surgissent dans une chorĂ©graphie dictĂ©e par le chaos et la ligne. L’un des pionniers de l’art conceptuel, lâartiste qui a fait ses armes Ă lâĂąge de 25 ans Ă New York revendique lâimprĂ©visible et rompt avec la doxa gĂ©omĂ©trique. La collection rĂ©unie avec son Ă©pouse, Diane, dans l’ancien moulin (Donald Judd, Carl AndrĂ©, Dan Flavin..) et les sculptures des grands reprĂ©sentants de la sculpture minimale amĂ©ricaine dans le parc (Carl Andre, Richard Long, Larry Bell..) donnent une vĂ©ritable cohĂ©rence au lieu, que complĂšte l’ancienne usine, terrain de jeu idĂ©al pour Bernar Venet. Il y expose une installation inĂ©dite Domino Effondrement en prĂ©paration Ă sa prochaine exposition au Louvre Lens.

© Xinyi Hu Paris – Courtesy Venet Foundation New York
NouveautĂ©s cette annĂ©e : lâextension du parc avec vue imprenable sur lâemblĂ©matique Rocher de Roquebrune oĂč Bernar Venet pose les Trois Croix en 1991 en hommage Ă GrĂŒnewald, Le Greco et Giotto et nouvel Ă©crin pour ses sculptures monumentales qui avaient tutoyĂ©es la monumentalitĂ© du Roi Soleil Ă Versailles.
Le public pourra Ă©galement dĂ©couvrir cet Ă©tĂ© une installation inĂ©dite de Lawrence Weiner, la fascinante Ćuvre dâAnish Kapoor en dialogue avec la Chapelle de Frank Stella, lâexposition de Robert Morris et lâhommage Ă Enrico Navarra, emblĂ©matique marchand et Ă©diteur dâart passionnĂ© qui a Ă©tĂ© le premier Ă s’installer au Muy, rapidement suivi par Bernar Venet et autres personnalitĂ©s du monde de l’art.

Alexandre Devals, directeur de la Fondation et auteur de plusieurs ouvrages de rĂ©fĂ©rence sur l’art minimal et conceptuel et la pratique de Bernar Venet a rĂ©pondu Ă mes questions.
En Ă©coute : Alexandre Devals, FOMO_Vox đ§
Portrait Alexandre Devals, photo JérÎme CavaliÚre pour la Venet Foundation
A quand remonte votre rencontre avec Bernar Venet et Ă©lĂ©ment dĂ©clencheur pour vivre l’aventure de la fondation ?
Jâai recontrĂ© Bernar Venet en 2010 qui Ă lâĂ©poque avait ce projet de fondation Ă lâĂ©tat dâĂ©bauche car il envisageait plutĂŽt dâouvrir et de crĂ©er une fondation aprĂšs sa mort. Je venais du monde des ventes aux enchĂšres et il mâĂ©tait arrivĂ© dâĂȘtre confrontĂ© parfois Ă des successions dâartistes ou de collectionneurs qui sâĂ©taient mal dĂ©roulĂ©es car elles Ă©taient mal prĂ©parĂ©es. Mon rĂŽle a donc Ă©tĂ© dans un premier temps de faire prendre conscience de ces enjeux Ă Bernar Venet et de lâencourager Ă poser des jalons de ce que pourrait ĂȘtre la fondation et son avenir ; imaginer cette fondation dans une forme de lĂ©gitimitĂ© pour quâil sâagisse dâune continuitĂ© et non dâun nouveau dĂ©part. Nous avons dĂšs lors agi dans ce sens Ă travers plusieurs Ă©tapes.
Dans un premier temps nous avons ouvert lâespace qui nâĂ©tait pas encore une fondation en 2012 Ă lâoccasion des manifestations de lâart sur la CĂŽte dâAzur tous les vendredis aprĂšs-midis. Deux ans plus tard nous avons inaugurĂ© la fondation avec diffĂ©rents temps forts notamment une exposition de la collection de Diane et Bernar dâart minimal et lâinauguration de la chapelle de Stella, premiĂšre architecture rĂ©alisĂ©e par lâartiste autour de 6 de ses grands reliefs du dĂ©but des annĂ©es 2000. A partir de lĂ nous avons dĂ©cidĂ© de lancer un programme dâexpositions annuelles en pĂ©riode estivale, ce qui Ă©tait gĂ©nĂ©reux et relativement contraignant pour Bernar Venet qui vit et travaille sur ce lieu, mais sâest rĂ©vĂ©lĂ© trĂšs bĂ©nĂ©fique car cela a insufflĂ© un dynamisme et une politique dâexpansion bien au-delĂ de ce que nous avions pu imaginer.
Retour sur l’ADN de la fondation
LâADN de la fondation dĂ©coule de lâADN et de la personnalitĂ© de Bernar Venet qui en ce lieu est Ă la fois artiste et sculpteur mais aussi collectionneur, paysagiste, amateur dâarchitecture⊠Ne souhaitant pas se mettre particuliĂšrement en avant, il reste malgrĂ© tout prĂ©sent en filigrane dans tous les espaces de ce lieu quâil a entiĂšrement façonnĂ© et dĂ©veloppĂ© avec Diane son Ă©pouse. Partant dâune friche, il a plantĂ©, agrandi, rĂ©amĂ©nagĂ© le terrain et les batiments : un moulin et une ancienne usine entiĂšrement repensĂ©s pour accueillir des Ćuvres dâart avec la construction dâune galerie dâexpositions et la construction de modules : la chapelle Stella, le skyspace de James Turrell et lâĂ©largissement avec le parc de sculptures rĂ©unissant des Ćuvres dâartistes majeurs comme Anthony Caro, Larry Bell, Robert Morris, Sol LeWitt, Richard Long, ArmanâŠqui viennent sâajouter Ă la collection historique conservĂ©e dans le moulin que Bernar Venet a acquis depuis les annĂ©es 1960 par Ă©changes auprĂšs dâartistes ou de galeristes de sa gĂ©nĂ©ration. LâADN se retrouve dans cette gĂ©nĂ©ration de lâart minimale et conceptuelle et du land art (Richard Long, Donald Judd, Dan Flavin, Carl AndrĂ©, François Morellet, Olivier Mosset..) que Bernar Venet a beaucoup cĂŽtoyĂ©e Ă son arrivĂ©e Ă New York et avec laquelle il a tissĂ© des liens dâamitiĂ©, dâadmiration et de respect mutuel.
Bernar Venet, un artiste conceptuel ?
Question intĂ©ressante qui a Ă©tĂ© souvent abordĂ©e et en partie rĂ©solue lors de lâexposition proposĂ©e en 2019 au MAMAC Ă Nice par HĂ©lĂšne Guenin, directrice du musĂ©e et Alexandre Quoi, (Ă prĂ©sent au MusĂ©e de Saint-Etienne), qui se penchait sur les annĂ©es conceptuelles de Bernar Venet entre 1966 et 1976. En 1966 il dĂ©bute une pratique considĂ©rĂ©e comme conceptuelle jusquâau dĂ©but des annĂ©es 1970 oĂč il dĂ©cide dâarrĂȘter son activitĂ© artistique tout restant actif dans les annĂ©es suivantes en exposant son travail et enseignant Ă la Sorbonne. Lâexposition a montrĂ© et rappelĂ© comment Bernar Venet a Ă©tĂ© lâun des pionniers de lâart conceptuel Ă New York en mĂȘme temps et aux cĂŽtĂ©s dâ un certain nombre dâartistes majeurs de ce mouvement On Kawara, Robert Kosuth, Robert Barry, Lawrence Weiner, Art and LanguageâŠavec lesquels il a exposĂ©. Lâart conceptuel nâest pas le fruit dâun groupement ou dâun manifeste au dĂ©part mais dâune sĂ©rie dâĂ©vĂšnements fondateurs comme Prospect 1968, Ă la Kunsthalle de DĂŒsseldorf, Conception-Konzeption Ă Leverkusen, Art by Telephone au musĂ©e de Chicago ou Information au MoMA auxquels Venet a participĂ©. Bernar Venet aura sa premiĂšre rĂ©trospective dĂšs 1970 au musĂ©e de Krefeld en Allemagne, lieu trĂšs prescripteur Ă lâĂ©poque puis lâannĂ©e suivante Ă New York intitulĂ©e The Five Years of Bernar Venet qui prĂ©sentait Ă©galement le catalogue raisonnĂ© de ses Ćuvres, plus de 300 sur cette pĂ©riode.
Si Bernar Venet a Ă©tĂ© lâun des inventeurs du courant historique de lâart conceptuel, aujourdâhui sa pratique ne relĂšve plus de ce courant, ce qui explique la raison pour laquelle il avait arrĂȘtĂ© dĂ©finitivement puis finalement repris en 1976 pour ne pas tomber dans une impasse et une rĂ©pĂ©tition sans fin. Pour le paraphraser et avec une image volontairement caricaturale : Picasso nâa pas fait du cubisme toute sa vie et cela nâaurait pas eu de sens au regard des avancĂ©es que reprĂ©sente ce mouvement.
L’exposition Robert Morris : genĂšse et enjeux
Tout dâabord il est important de souligner que cette exposition se veut une maniĂšre de tisser un lien et dâĂ©largir le champ de la collection qui possĂšde des Ćuvres importantes de Robert Morris notamment deux feutres de la fin des annĂ©es 1960, un tĂ©lĂ©gramme historique, un dessin de la Steam piece pour la Corcoran gallery, des sculptures et un grand labyrinthe prĂ©sentĂ© dans le parc. Des piĂšces qui ne sont pas toujours visibles mais bien prĂ©sentes dans lâesprit de la fondation et qui font rĂ©guliĂšrement lâobjet de prĂȘts.
Nous avons voulu montrer lâĆuvre Voice prĂ©sentĂ© Ă la galerie Castelli en 1974 en mĂȘme temps que ses Labyrinth drawings et ses Blind time, dessins Ă lâaveugle. Il sâagit dâun environnement constituĂ© de 4 blocs principaux situĂ©s aux points cardinaux de lâespace avec un certain nombre de bancs au centre. Un univers sobre et dĂ©pouillĂ© Ă lâencontre de lâidĂ©e que lâon se faisait dâune Ćuvre dâart puisque sa rĂ©alisation formelle en devient presque anecdotique par rapport au processus engagĂ© avec le spectateur. Un certain nombre de sons ou de lectures dâenregistrement (intĂ©gralitĂ© du guinness book des records, textes de psychologuesâŠ) sortent tour Ă tour des enceintes qui envoient une information par ailleurs brouillĂ©e par la superposition des voix provenant des autres moniteurs, obligeant le spectateur Ă se dĂ©placer pour tenter de trouver une meilleure Ă©coute. Robert Morris Ă travers ce dispositif reprend une pratique sonore dĂ©veloppĂ©e par dâautres artistes de sa gĂ©nĂ©ration comme Max Neuhaus qui faisait Ă©couter des bruits de la ville, dans une forme de dĂ©passement dâun art considĂ©rĂ© comme trĂšs visuel dans les annĂ©es 1970. Un moment fondateur dans lâĆuvre de Morris, artiste trĂšs prolifique et vĂ©ritable pionner dans le champ de lâart conceptuel, de lâart minimal et inventeur du mouvement anti-form. Ce geste avait Ă©tĂ© montrĂ© au musĂ©e Guggenheim en 1994 lors de sa rĂ©trospective mais Ă©tait peu explorĂ© en Europe et il nous plaisait de le remettre en scĂšne. Un statement non visuel nĂ©cessitant dâĂȘtre vĂ©cu pour en apprĂ©cier toute la puissance de suggestion. Je dois prĂ©ciser que la description que jâen fais est assez lacunaire, voire faible, et si vous avez lâoccasion de venir Ă la fondation cet Ă©tĂ© ce que je souhaite, vous vous rendrez compte aussi de ce rapport rĂ©ellement physique en vous mettant en scĂšne dans cet espace qui sollicite vos sens. Un dĂ©sir profond dâinscrire le visiteur dans un rapport incarnĂ© aux Ćuvres que lâon retrouve chez Carl AndrĂ©, Donald Judd ou Sol LeWitt.
L’extension du parc, rejouer Versailles
Nous avons en effet eu la chance de pouvoir acquĂ©rir un terrain trĂšs proche sans ĂȘtre tout Ă fait adjacent Ă la fondation, dans lequel Bernar Venet a pu rĂ©aliser un certain nombre dâinstallations et reprendre notamment les 16 grands Arcs qui Ă©taient positionnĂ©s devant le chĂąteau de Versailles en 2011 et sâĂ©levaient Ă 22 mĂštres de haut encadrant dâune certaine maniĂšre la perspective de lâAvenue de Paris, de la statue de Louis XIV et du chĂąteau sur la place dâarmes. Ces Arcs ont Ă©tĂ© repris non pas dans leur configuration originale mais en tant quâeffondrements, ce travail trĂšs liĂ© Ă lâentropie dĂ©veloppĂ© par Bernar Venet depuis un certain nombre dâannĂ©es maintenant.
L’exposition au Louvre-Lens
Marie Lavandier, directrice du Louvre-Lens a invitĂ© Bernar Venet Ă rĂ©aliser une exposition dans le Pavillon de Verre, grande salle de 1000mÂČ inscrite dans le prolongement de la galerie du Temps. Il aurait Ă©tĂ© possible dây rĂ©pondre en organisant une sorte de rĂ©trospective ou dâĂ©tude sur un thĂšme particulier mais Bernar Venet a tout de suite prĂ©fĂ©rĂ© un grand Effondrement qui va se dĂ©ployer sur lâensemble de lâespace et mĂ©langer des Arcs, des Angles et des Lignes Droites. Des configurations dĂ©jĂ expĂ©rimentĂ©es dans le grand espace de lâUsine mais proposant plusieurs Ă©lĂ©ments du vocabulaire de Venet, ce qui a le mĂ©rite dâintroduire plus de dĂ©sordre visuellement et de bruit si je peux mâexprimer ainsi. Lâexposition ouvre le 11 juillet et durera jusquâen janvier. A souligner que fin septembre Ă lâoccasion du festival de piano qui a lieu tous les ans au Louvre-Lens, Bertrand Chamayou proposera un programme inĂ©dit jouĂ© au sein mĂȘme de la sculpture. Un virtuose passionnĂ© dâart et de musiques contemporaines qui avait dĂ©jĂ jouĂ© au musĂ©e des Abattoirs de Toulouse Ă lâoccasion de leurs 10 ans.
Infos pratiques :
Un été à la Venet Foundation
-Robert Morris, Voice,
-Lawrence Weiner, Statement
-Anish Kapoor, Intersection
-Les oeuvres de Versailles (nouveau parc du Muy)
Chemin du Moulin des Serres, Le Muy (Var)
du 10 juin au 1er octobre
Bernar Venet au Louvre Lens :
L’HypothĂšse de la gravitĂ©