Eric Degoutte, les Tanneries – Centre d’art contemporain : « Cette crise nous invite à rompre avec le principe de plafond de verre inhérent à notre secteur. On ne peut changer de logiciel sans en changer les mécanismes »

Éric Degoutte, Directeur et Responsable de la programmation des Tanneries – Centre d’art contemporain, Portrait devant le bâtiment principal du centre d’art Photo : Simon Castelli-Kérec

Ce n’est pas parce que les centres d’art restent fermés qu’il ne s’y passe rien ! Preuve en est encore une fois aux Tanneries à Amilly (Département du Loiret, Région Centre – Val de Loire) où Éric Degoutte et toute l’équipe se mobilisent autour de la saison 5 qui propose plusieurs expositions d’octobre 2020 à août 2021 sous un prisme disruptif en écho à la situation exceptionnelle que nous vivons. « Dis] Play Off [Line » titre choisi par Eric Degoutte indique ces glissements conceptuels et sémantiques, discontinuités et entrelacs sensoriels et perceptifs proposés entre autres, sur deux premiers cycles d’expositions un peu remaniés et donc entremêlés, par : le duo Lucy + Jorge Orta avec ces vestiges troublants d’un camp de fortune dressé dans la Grande Halle, Benoît Maire et le paradoxe d’un déclencheur historique à rebours (Galerie Haute), Minia Biabiany et la réactivation d’une mémoire archipélique des corps (Petite Galerie), Cécile Le Talec et ses partitions silencieuses ou les étudiants de l’ÉSAD Orléans (La Verrière) dans le cadre d’une expérimentation pédagogique située au cœur du projet des Tanneries qui prend ici une nouvelle forme. Des états de veille multiples à la fois intérieurs et extérieurs (Parc de Sculptures) que nous décrypte Éric Degoutte et qui sont inscrits dans le projet qu’il porte pour ce lieu qui sollicite actuellement sa labellisation en « Centre d’art contemporain d’intérêt national ». Il revient également sur les enseignements de cette crise et la logique de plafond de verre qui régit tout l’écosystème de l’art dans une analyse vibrante et forte.

Quel bilan faîtes-vous depuis votre arrivée ?

Plus qu’un bilan je parlerais d’un point d’étape, le projet étant en devenir, avec un fort potentiel que j’avais estimé au départ et qu’il confirme. Il est important de le souligner car l’engagement qui a été le mien dès l’ouverture était basé sur cette capacité du site à pouvoir s’adapter, prolonger et créer les conditions de cette présence performative fondamentale dans l’orientation du projet : les expositions et leurs expériences acquises, les résidences, la présence permanente des artistes tout au long des programmations rendues nécessaires par le lieu. On ne peut pas se contenter ici de poser une œuvre et repartir. L’artiste doit venir sentir le lieu, en prendre toute la mesure et la démesure également et le faire dans les meilleures conditions possibles. Il doit pouvoir être hébergé et accueilli, accompagné quelle que soit la durée.

Le projet a évolué et s’est affirmé, notamment auprès des acteurs du territoire qui le portent, a fortiori à travers la démarche de sollicitation du label « centre d’art d’intérêt national » qui signifie l’affirmation de la reconnaissance de l’État, de la Région, du Département – qui est entré il y a 2 ans dans le cercle des partenaires du projet – et de l’Agglomération montargoise, qui, on l’espère, va affirmer sa présence à nos côtés.

Confirmation aussi puisque nous sommes devenus une réalité au sein du territoire de vie dans lequel sont implantées Les Tanneries, avec un public régulier constant à moins de 20 kms de distance du centre d’art. Le pari d’inscrire cet établissement dans l’espace péri-urbain d’une zone elle-même un peu éloignée et éteinte pour diverses raisons – le territoire n’étant pas toujours égalitaire – s’est mesuré à la bonne réception des publics. De plus, Les Tanneries sont – en temps normal – un espace ouvert tout au long de la semaine et de l’année avec seulement 2 ou 3 jours de fermeture annuels, ce qui est important pour les familles, les amis, qui viennent se promener dans le Parc de Sculptures et découvrir nos expositions. Notre fréquentation a peu à peu évolué pour passer de 5 à 20 % de publics venant d’Île-de-France avec une plus grande diversité des profils de visiteurs. Nous accueillons à la fois les amoureux de l’art contemporain, un public averti sur ses enjeux et aussi des personnes qui ont plaisir à découvrir, à proximité de Paris, des espaces paysagers ainsi que l’aménagement architectural de Bruno Gaudin qui comptent beaucoup dans ce succès.


Pierre Tual Renouée du Japon, 2012,
Vue exposition Presqu’île Parc de Sculptures photo Simon Castelli-Kérec courtesy de l’artiste et des Tanneries-CAC, Amilly

Affirmation également de l’identification du site à travers les 5 saisons qui ont marqué le lancement du centre d’art et le rôle que pouvait tenir Les Tanneries sur la scène de l’art contemporain. Cette valorisation concerne aussi bien la professionnalisation d’artistes émergents que l’accompagnement d’artistes plus confirmés au niveau national et international tout en étant attentif à porter un regard spécifique sur la scène régionale. Chaque saison permet de porter à la connaissance du public les travaux d’artistes inscrits en région, ce qui est aussi, à mes yeux, très important car constructeur d’une réalité de proximité avec la diversité et la richesse de la création contemporaine.

Du côté des artistes, leur réception du projet, que traduisent leurs propositions spécifiques à chaque espace, nous a également fait évoluer dans nos approches techniques, logistiques et en termes de régie d’œuvres.

Le bilan est donc positif sur l’ensemble de ces points mais également aussi en ce qui concerne le développement de notre jeune équipe qui se modélise et se structure en même temps que le projet, avec des renforts successifs nous permettant aujourd’hui d’avoir une capacité de mise en œuvre importante que requiert un lieu aussi grand. Pour pouvoir animer chacun des espaces d’exposition de 3 ou 4 propositions annuelles, cela n’implique pas moins de 15 expositions par an. Ce renouvellement quasiment constant des espaces et des volumes est nécessairement porté par une communication, une médiation et un accompagnement pédagogique spécifiques.

Petit rappel : Partenaires et modes de financement des Tanneries – Centre d’art contemporain

Le porteur du projet est la Ville d’Amilly et, en cela, son premier financeur. L’Agglomération montargoise devrait – sous réserve d’une confirmation à venir dans les prochaines semaines – en devenir un financeur à part égale. Cette évolution souhaitée repose sur la prise en considération d’une réalité d’usage du territoire des Tanneries : sa dimension communautaire. Puis par ordre d’importance le Ministère de la Culture-DRAC Centre-Val de Loire, le Conseil Régional et le Département du Loiret.

Osman Dinc, La Fontaine à la pluie 2013
Vue exposition Presqu’île Parc de Sculptures photo ville d’Amilly courtesy de l’artiste et des Tanneries-CAC, Amilly

Choix du titre de la 5ème saison de programmation : Dis] Play Off [Line

Ce choix est né de façon très pragmatique, la saison dernière ayant été assez mouvementée suite à une crise qui a montré la fragilité de nos habitudes de pensée, de projection et nous a confrontés brutalement à une autre réalité que nous n’avions pas préméditée. Ces enjeux de nécessité de continuité sont alors apparus dans un contexte qui était déstructurant et peu favorable à la permanence. Aujourd’hui nous sommes dans ces ruptures de registres (le fameux « Stop and Go ») suggérées par la notion de display du titre mais aussi par la structuration artistique des Tanneries. Je reste attentif à des productions qui s’appuient sur ces nécessités de construire des dispositifs à partir de la réalité du geste et sa diffusion dans un temps cumulé et non différencié. Ces principes de continuité, discontinuité, induits par ce jeu de display, de dispositifs, sont les clés de voûte d’implication des artistes invités, dans la relation à leurs pratiques, au champ de l’art et au monde qui nous environne.

Ce terme n’a pas de signification en tant que telle mais sa sonorité, par coupures, associations et glissements donne à voir des formes de visibilité qui me semblent être la réalité d’aujourd’hui.

Benoît Maire Vue de l’exposition IN HAWAII Photo Aurélien Mole courtesy de l’artiste et des Tanneries – CAC, Amilly  ©Adagp Paris

Benoît Maire : choix et perspectives, prolongation ?

En ce qui concerne Benoît Maire cette notion de dispositif s’inscrit au cœur de sa pratique. Il est dans le questionnement d’une pratique située. Le geste prend chez lui valeur de détermination d’un possible, à partir de certaines mises en condition (le lieu, le locus). On se focalise souvent sur les formes récurrentes de son œuvre que sont les nuages, le cheval ou l’index figuré, à travers lesquelles il travaille ce rapport de continuité et discontinuité, dans ce qui fait figure d’histoire personnelle autant que d’histoire de l’art. C’est ce que j’apprécie dans sa démarche. À l’occasion de la collaboration tissée autour de cette exposition, nous avons eu à cœur d’apporter un soutien spécifique à la création, à la production d’œuvres nouvelles. Benoît Maire a su prendre ce risque d’engager une nouvelle forme présente sur l’ensemble de ses toiles dans un rapport au texte qui renvoie librement à la présence d’un fait historique, convoquant le lien avec la peinture américaine de Jasper Johns ou Robert Rauschenberg notamment. Ruptures, répétitions, reconfigurations font de Benoît Maire une figure incontournable de cette saison.

J’aurais aimé avoir pu prolonger encore un peu plus la présence de l’artiste mais cela n’était pas possible, d’autres engagements nécessitant les œuvres présentées ici. Nous avons cependant tissé d’autres liens qui dépassent le temps de l’exposition en produisant une vidéo de 5 mns avec Thomas James qui est diffusée sur le site des Tanneries ainsi que sur la chaîne Viméo du centre d’art ( IN HAWAII | Benoît Maire on Vimeo ) ou encore en soutenant la production de la vidéo d’artiste Peindre sous Reicha réalisée par Benoît Maire en 2020 et produite par Jonas Film. Le centre d’art s’inscrit également comme facilitateur de mises en œuvre de projets d’édition. En l’occurrence, nous avons aussi apporté notre soutien aux Éditions Macula dans le cadre de la publication de l’ouvrage de Benoît Maire Un cheval, des silex sorti en septembre 2020 dans la collection « Les Indisciplinés » et introduit par Sally Bonn.

Benoît Maire Vue de l’exposition IN HAWAII Photo Aurélien Mole Courtesy de l’artiste et des Tanneries – CAC, Amilly  ©Adagp Paris

Autre exemple de cette politique éditoriale, de documentation et d’aide à la création au sens large : à l’occasion de l’exposition de Cécile Le Talec présentée dans le cadre du premier cycle de la saison 5, nous avons co-produit avec Archange Productions un film réalisé par Marine de Contes et Cécile Le Talec qui rend compte de la performance de David Drouard venue achever le temps d’exposition (//vimeo.com/lestanneriescacamilly/atlasdespartitionsdansees ) Il sera diffusé au premier semestre 2021. Ces formes de diffusion et de dynamiques collaboratives sont devenues pour nous une nécessité, renforcée par la période que nous traversons.

Lucy +Jorge Orta Vue de l’exposition Lucy + Jorge Orta Interrelations Photo Aurélien Mole courtesy des artistes et des Tanneries -CAC, Amilly ©Adagp Paris

La place donnée à Lucy et Jorge Orta

Les Orta font partie de ces artistes confirmés avec un parcours significatif. J’ai découvert leur travail aux débuts des années 1990, au début de leur collaboration. Leur travail m’a toujours intéressé dans cette profusion composite qui permet à chaque fois de se redéployer, se réaffirmer, se questionner. Dans le cadre de cette saison et de ses enjeux de discontinuité, les problématiques sous-jacentes de jeux et d’assemblages me semblaient pertinentes, tout comme la capacité du duo à investir l’espace de 1500 m² que constitue la Grande Halle qui forme le rez-de-chaussée du centre d’art. Les artistes doivent s’en emparer et, comme souvent, le lieu s’est montré très convaincant et à la hauteur de cette invitation qui leur était faite. Très vite ils se sont mis à imaginer des formes d’installations. Ils font partie de ces artistes qui fourmillent d’idées qu’ils notent scrupuleusement avant d’en trouver le contexte de réalisation. Au contact de la Grande Halle , le temps était venu. « Lucy + Jorge Orta : Interrelations » a été pour eux aussi l’occasion de faire un point d’étape sur ce qu’ils appellent des « méta-thèmes » qui ancrent leur réflexion à la fois artistique et politique. La question des bouleversements économiques et climatiques, la pénurie des matières premières comme l’eau, les crises et les exodes, font partie des enjeux qui traversent leur pratique. Ce fut aussi le moment d’un regard plus rétrospectif, Jorge ayant réinvesti des notions à l’origine de son engagement artistique à travers des formes telles que le recouvrement (« immersions ») et les coulures (« derrame ») réalisées en Argentine dans les années 1970.  La coulure ou le recouvrement de peinture venaient masquer la représentation comme une métaphore des occultations engendrées par la junte au pouvoir. Le fait de les convoquer de nouveau et de reprendre dans la toute nouvelle série de toiles exposées cette base d’archives et de documents qu’ils ont générée depuis longtemps permettait aussi de poser un regard renouvelé sur leur pratique et leur engagement. Nous sommes heureux de pouvoir prolonger cette exposition jusqu’au 30 mai prochain.

Minia Biabiany L’orage aux yeux racines vue d’exposition Photo : Simon Castelli-Kérec courtesy de l’artiste et des Tanneries -CAC, Amilly

En quoi la démarche de Minia Bibiany entre-t-elle en résonnance avec les enjeux de cette Saison ?

Minia Biabiany devait intervenir dans la saison précédente (intitulée Figure[s]) mais ses disponibilités étant alors réduites, je lui ai proposé la possibilité d’une double présence.

D’une part en distanciel sur la saison précédente – même si à l’époque on ne savait pas que ce concept allait devenir une réalité –, au cours de laquelle, en tant que commissaire, elle avait proposé une sélection d’œuvres vidéographiques présentées à l’été dernier. Elles avaient pour point commun de faire émerger des récits et des figures de l’ailleurs qui résonnaient pourtant de manière familière et ne semblaient plus si étrangères à l’heure où les enjeux identitaires, migratoires et paysagers – sur fond de post-colonialisme, de capitalisme et de changement climatique – sont plus que jamais mondialisés et de mise : des Paroles de lieux, de Puerto Rico jusqu’aux Caraïbes en passant par le Mexique.

D’autre part je m’étais engagé à la recevoir de nouveau dans l’un des espaces du centre d’art, l’invitant à y concevoir une installation in situ. Le centre d’art étant actuellement fermé, cette exposition n’a pas encore trouvé son public. Conscients de ce risque, Minia et moi avons réalisé un certain nombre d’entretiens et d’échanges pour favoriser malgré tout une forme de visibilité de cette présence très intimiste. Ils seront mis en ligne dès que possible. Nous allons aussi prolonger le calendrier de cette exposition jusqu’au 30 mai prochain pour que le public puisse venir la découvrir dès lors que nos lieux seront à nouveau ouverts. Minia fait partie des jeunes artistes qui ont une pratique avec un fort potentiel et je tenais à lui donner les meilleures conditions pour poursuivre cette démarche assez exceptionnelle en ce qu’elle relève d’une forme douce mais déterminée.  

Minia Biabiany L’orage aux yeux racines vue d’exposition Photo : Simon Castelli-Kérec courtesy de l’artiste et des Tanneries -CAC, Amilly

Pour conclure, cette force dans la simplicité des moyens qu’elle convoque, la recherche d’équilibre des formes (nées des assemblages et de leur poésie ou par un recours à des variations dessinées qu’elle avait encore peu exposées jusqu’à présent) et d’installations très sensibles (entre disposition et position), témoignent de la manifestation d’un ensemble qui répond parfaitement selon moi à cet enjeu de display de la saison.

Minia Biabiany L’orage aux yeux racines Vue de l’exposition Photo Simon Castelli-Kérec courtesy de l’artiste et des Tanneries -CAC, Amilly

La présence particulière des diplômé.e.s 2020 l’ÉSAD Orléans en réponse au contexte de la crise

La présence des diplômé.e.s 2020 de l’ÉSAD Orléans fait partie de notre politique de partenariats et de notre volonté d’inscription en réseau construite par le centre d’art depuis 5 ans. Nous travaillons avec l’École Supérieure d’Art de Bourges comme avec l’École Supérieure d’Art et de Design d’Orléans. La question de la visibilité de leurs créations, de leurs projets de fin de fin de diplômes, a été cruciale pour ces étudiants en fin d’année universitaire, les diplômé.e.s 2020 ne pouvant donner à voir leurs travaux, se trouvant privés de l’achèvement attendu d’un processus de formation sur 5 ans. L’arrivée d’Emmanuel Guez comme nouveau directeur et nos échanges nous ont permis de valider la pertinence des Tanneries comme espace de révélation de ce temps non abouti en juin dernier. Nous ne savions pas à l’époque la suite que prendraient les événements, mais l’enjeu de ce travail de collaboration a été pertinent dans cette volonté partagée d’inscrire le temps d’exposition comme un temps de finalisation de cursus. C’était aussi pour ces jeunes diplômé.e.s la possibilité de revenir sur ce qu’ils avaient proposé et de se confronter à une mise en œuvre effective dans les espaces. Nous sommes dans l’expression immédiate d’une vraie complémentarité entre un centre d’art et sa logique d’exposition et une école d’art et son projet éducatif professionnalisant.

Cet  accompagnement en vue d’une professionnalisation prend des formes diverses, et ici c’est à travers un processus de production et de monstration considéré dans l’approche des questions techniques inhérentes à la singularité de nos espaces qu’il leur est permis de commencer à appréhender des territoires potentiels de diffusions, d’interventions, de résidences et de rencontres avec le public (médiation).

Cette collaboration donne à comprendre la position des Tanneries quant aux parcours de formation liés au champ des arts plastiques ; une position à travers laquelle le centre d’art intervient de manière complémentaire avec l’ensemble des acteurs qui animent ces itinérances formatrices, depuis le temps de l’éducation artistiques et culturelle (élémentaire, collège, lycée), en passant par l’enseignement supérieur (et ses classe préparatoires) et la pratique universitaire (recherche). Sans jamais oublier la la pratique amateur.

La pratique amateur

C’est une chance liée à l’engagement de la Ville d’Amilly – Ville des Arts – en direction des formes artistiques telles que la musique, le théâtre, le spectacle, et les arts plastiques… La ville s’est dotée depuis une vingtaine d’années d’ateliers de pratique amateur et l’aménagement du site des Tanneries a laissé une place dans ses bâtiments pour que l’école municipale d’art puisse venir nous rejoindre. Cela a créé un sas de porosité et d’échanges forts entre pratiques amateur et pratiques professionnelles.

Dès lors tous les enjeux de notre programmation artistique sont communiqués aux enseignants de l’école municipale d’art pour pouvoir les inclure dans leur projet pédagogique chaque année. Les élèves participent, à travers leurs ateliers, à une de mise en éveil par rapport à des formes artistiques qu’ils vont percevoir au long de l’année. Pour les plus jeunes, notamment, c’est une réalité très efficace car, à défaut de pouvoir formellement exprimer une analyse critique de l’œuvre, le fait d’avoir approché les gestes qui l’induisent leur donnent des clés de lecture très fortes.

Ce sentiment est aussi très prégnant chez les publics dits « éloignés » dans le cadre de nos visites-ateliers qui sont à l’opposé d’une médiation magistrale qui a tendance à mettre à distance. La visite-atelier a cet avantage d’associer le public à une mise en œuvre qui vient interroger et prolonger sa visite d’une exposition et sa perception d’une pratique.

Le site des Tanneries devient pour toutes ces raisons un pôle de ressources qui oriente aussi bien ses visiteurs et ses usagers vers des formes de pratiques individuelles et collectives, artistiques et culturelles, par le biais des expositions mais aussi par le biais d’échanges, de rencontres, de visites-ateliers qui sont des formes de médiation en soi.

Philippe Ramette Funambule 2011 Vue exposition Presqu’île Parc de Sculptures photo Simon Castelli-Kérec courtesy de l’artiste et galerie Xippas et des Tanneries-CAC, Amilly

Enjeux et résultats de la stratégie digitale mise en place pendant cette période

Cette stratégie s’est révélée probante. Nous avons par exemple développé des Ateliers à la maison en ligne très rapidement pour l’école de pratiques amateur, portés par le développement d’un site internet attitré qui s’inscrit dans la continuité du projet de l’école. Ces initiatives ont très bien fonctionné et nous les poursuivons, dans le cas du centre d’art, sous d’autres formes de captation sonores ou visuelles, de « dimensions de vie », comme les entretiens réalisés avec Minia Biabiany (cf. plus haut). En temps normal, nous ne donnons pas forcément à voir ces moments en amont dans nos logiques de diffusion. Nous avons pris le temps de capter ces instants de préparation, d’échanges, d’incertitudes, de discussion entre l’artiste et le commissaire… Cette densité d’informations est désormais disponible et en cours de diffusion.

Je pense que ce sont des outils qui apportent un plus, mais ne remplacent en aucun cas le rapport direct, l’émotion face à l’œuvre. Notre prochain défi, dès lors que nous allons retrouver notre fonctionnement normal sera notre capacité à maintenir ces nouvelles formes dans leur faisabilité. Une certaine saturation va aussi nous conduire à imaginer des formats nouveaux, notamment dans le cadre des enjeux de visibilité du territoire. Nous sommes en train de réfléchir à partir du réseau « devenir.art » à un outil de visibilité digital commun autour de l’actualité des artistes mais aussi des calendriers de programmation des lieux. Si des réalités existent sur d’autres territoires, il faut aussi savoir s’en inspirer et les adapter. Encore une fois ces nouveaux projets nécessitent moyens et compétences, et sans doute des rééquilibrages sur les budgets qui nous sont nécessaires.

Bernhard Rüdiger Siècle XXI ! 2007 Vue exposition Presqu’île Parc de Sculptures photo Simon Castelli Kérec courtesy de l’artiste et des Tanneries-CAC, Amilly ©Adagp Paris

Quels sont vos prochains projets ?

Nous allons proposer un projet amorcé depuis deux ans, une grande monographie de Bernhard Rüdiger en Grande Halle dans le prolongement de l’arrivée de sa sculpture Siècle XXI ! au sein de l’exposition évolutive « Presqu’Île » présentée dans le Parc de Sculptures. Il a de nombreux points de connexion avec la région Centre-Val de Loire. Ayant quitté l’Italie pour s’installer en France, il s’est arrêté dans un premier temps dans la région avant de partir ensuite sur Paris pour enseigner aujourd’hui à Lyon. Bernhard Rüdiger comme les Orta m’intéresse depuis de nombreuses années. Il n’a pas encore eu de moment fort de rétrospective de son travail. L’exposition aux Tanneries sera l’occasion de revenir sur son parcours, de proposer de nouvelles productions dans la Grande Halle. Son ouverture est prévue le 26 juin prochain en même temps que le lancement de nos (F)estivales annuelles qui constituent toujours un temps fort d’échanges, de performances, de projection de films et de vidéos d’artistes. Dans le cadre de son projet d’exposition intitulé Chambre Double, Bernhard Rüdiger est aussi mandaté comme commissaire délégué puisqu’il va inviter quatre jeunes artistes (Francesco Fonassi, Michala Julinyova, Florence Schmitt et Leander Schönweger) à investir les espaces de l’étage. Je lui offre une appréhension globale du site qui correspond à un signal récurrent que j’ai lancé depuis l’ouverture du lieu : celui d’une programmation déléguée que je propose à d’autres commissaires et intervenants extérieurs, donnant une diversité d’approches et de points de vue.

Cécile Le Talec, Folies mélodiques, 2019 Vue de l’exposition Presqu’île Parc de Sculptures
Photo : Simon Castelli-Kérec Courtesy de l’artiste et des Tanneries — CAC, Amilly

Perspective d’une programmation commune des acteurs de la Région Centre-Val de Loire

La Région Centre-Val de Loire est une région avec une histoire très inscrite dans les réalités de l’art contemporain depuis les années 1970, que ce soit à Tours avec la création du CCC OD, à Orléans avec le Frac Turbulences et son renouvellement en 2014, à Bourges avec le Transpalette, à Chaumont avec son domaine, ou encore le Musée d’Issoudun, des institutions importantes qui ont marqué cette histoire ; rejointes plus récemment par Les Tanneries – Centre d’art contemporain ou l’Ar[t]senal à Dreux. Pour autant et paradoxalement, cette région était structurellement dénuée de tout réseau d’acteurs et d’artistes. Cela commence à se mettre en place par le biais du réseau devenir.art et de ses « chantiers ouverts » auxquels j’ai contribué depuis 3 ans. Non seulement porteur des enjeux du Sodavi il est à présent porteur d’une parole publique construite qui peut interpeller les collectivités ou l’État sur des réalités très difficiles pour les artistes auteurs dans la crise que nous connaissons.

Parallèlement à cette structuration sur le territoire, se met en place un projet de structuration artistique portée par certains lieux de diffusion sans caractère obligatoire. L’idée serait de lancer dès octobre prochain une saison de programmation partagée à l’échelle de la région. Cette saison couvrirait la période allant du mois d’octobre jusqu’à la fin de l’été suivant, invitant chaque lieu impliqué à devenir le porteur de cette identité commune, le temps d’une proposition liée à sa propre programmation.  Ce principe très simple et fondé sur l’immédiateté des engagements des acteurs est une première forme d’action de coopération et de collaboration et une façon de donner à voir une cartographie des lieux. C’est aussi un signal d’appartenance, et l’on retrouve dans cette dynamique ce qui a fait le sel, par exemple, du réseau Tram en Île-de-France dans lequel j’avais été très impliqué. Il reflète une diversité des pratiques et des acteurs, quels que soit leur taille et leurs enjeux. Ce travail en commun me semble très positif.

Quels enseignements et enjeux de cette crise ?

Je pense qu’il est important de signifier un principe d’espoir et de souligner une évolution qui sera profitable, même s’il faut garder en mémoire que la crise ne nous a rien appris que l’on ne savait déjà : la fragilité du secteur des arts visuels pour diverses raisons et notamment par un manque d’infrastructures propres à la filière qui nous prive et prive les artistes d’une parole publique. Cet enjeu primordial concerne aussi le Ministère de la Culture, même si, grâce à l’émergence des Sodavi lié à son initiative, au travail de fond entrepris par le Cipac et à celui de tous les réseaux en région, les choses évoluent petit à petit, mais à une vitesse encore trop faible.

Cette crise est l’enseignement d’un changement de paradigme. Si l’on parle aujourd’hui de bonnes pratiques, il est clair que le rapport économique n’est pas à la hauteur des réalités de l’engagement des artistes auteurs.

Les Tanneries – Centre d’art contemporain comme les Églises de Chelles en leur temps ont toujours été très impliquées dans la reconnaissance du temps de travail, du temps de présence des artistes etc. Cela fait partie d’une réalité de vie qui me semble incontournable mais pas encore admise par le plus grand nombre. Il faudrait donc commencer par là et rompre avec ces principes de plafonds de verre qui sont les nôtres. Même si l’État nous invite à prendre en compte de plus en plus les réalités économiques des temps de recherche, de production, d’installation, de présence en public et droits de diffusion, pour autant les modalités et les périmètres de financement du secteur des arts plastiques restent quasiment inchangés. On ne peut pas changer le logiciel sans changer les conditions de mise en œuvre de ces réalités. Cela me semble être l’un des enseignements majeurs de cette crise qui permettra peut-être d’affirmer ces principes de manière plus effective.

Programmation :

1er cycle d’expositions et renouvellement du Parc de Sculptures

Lucy + Jorge Orta : Interrelations, Lucy + Jorge Orta, Grande Halle, visible jusqu’au 30 mai 2021 (prolongation)
IN HAWAII, Benoît Maire, Galerie Haute, visible jusqu’au 7 février 2021 (prolongation)
Atlas / Partitions silencieuses, Cécile Le Talec, Verrière, visible jusqu’au 13 décembre 2020
La Capitale, Tomes I & II, vol. II, Camille Besson, Raphaël Rossi, Maxime Testu, Victor Vaysse, Petite Galerie, visible jusqu’au 13 décembre 2020
* Ludovic, Ludovic Chemarin©, Parc de sculptures, visible jusqu’au 3 janvier 2021 (prolongation)
Presqu’île #5, renouvellement partiel du Parc de Sculptures avec Siècle XXI ! de Bernhard Rüdiger

2e cycle d’expositions

L’orage aux yeux racines, Minia Biabiany, Petite Galerie, visible jusqu’au 30 mai 2021
Uncool Memories #1, les diplômé.e.s 2020 de l’ÉSAD Orléans, Verrière, visible jusqu’au 14 mars 2021. En partenariat avec l’École Supérieure d’Art et de Design d’Orléans. Avec les travaux de Jessy Asselineau, Théo Bonnet, Léa Fernandes, Basile Jesset, Lucie Laval, Chloé Lesseur, Antoine Souvent, Natacha Varez Herblot.

avril 2021 : restitution de la résidence de l’artiste Cylixe aux Tanneries débutée en janvier 2021, Grande Halle

26 juin 2021 : lancement des (F)estivales et vernissage du 3e cycle d’expositions

* (F)estivales, les 26 et 27 juin 2021. Week-end estival de rencontres artistiques, de performances, de concerts et de projections.
Chambre double, monographie rétrospective de Bernhard Rüdiger dans la Grande Halle et expositions personnelles commissariées par Bernhard Rüdiger de Francesco Fonassi, Michala Julinyova, Florence Schmitt, Leander Schönweger, Galerie Haute, Petite Galerie et Verrière, visible jusqu’au 29 août 2021

29 août 2021 : finissage de la saison #5 et restitution de la résidence d’auteur

Les Tanneries -centre d’art contemporain

234 Rue des Ponts, 45200 Amilly

Chaîne Viméo du centre d’art :

Les Tanneries – CAC, Amilly (vimeo.com)

Site internet :

www.lestanneries.fr