Accueil A LA UNE Africa2020 au Mrac Occitanie : interview Clément Nouet, directeur par interim

Africa2020 au Mrac Occitanie : interview Clément Nouet, directeur par interim

Mustapha Akrim, exposition Distante Ardente, Mrac Occitanie-Africa2020

« Concevoir une exposition avec des artistes africains et des productions in situ a été un vrai défi dans la période que nous connaissons » Clément Nouet

Organisée dans le cadre de la Saison Africa2020 l’exposition « Distante ardente » proposée par le MRAC Occitanie, aurait dû être inaugurée en juin, puis le 7 novembre. Elle a dû être décalée tout comme l’ensemble de la saison avec ce nouveau confinement, ce qui la prive à présent de visibilité. Une exposition devenue fantôme initiée par Sandra Patron, dont Clément Nouet directeur par intérim du MRAC nous retrace le défi lié au déplacement du commissaire, Hicham Daoudi, de plusieurs artistes et des œuvres depuis l’Afrique dans un tel contexte, en concertation avec les services culturels et diplomatiques des différents gouvernements. « Distante Ardente » entend dessiner un territoire commun renouvelé à partir de ce qui nous enrichit : la mixité. Clément Nouet nous présente également le nouvel accrochage des collections par la commissaire Jill Gasparina. A l’horizon du printemps 2021, Clément Nouet orchestre deux expositions avec les artistes Laurent Le Deunff et Anne et Patrick Poirier, en résonance avec l’ouverture du futur musée de la romanité à Narbonne, très ambitieux projet de Norman Forster, ces artistes développant des enjeux proches autour de l’archéologie, sa mémoire et ses traces.  

Mariam Abouzid Souali, « Mare Nostrum », 2018. Acrylique sur toile, 491 x 716 cm, Distante Ardente Mrac Occitanie

L’exposition « Distance Ardente » dans le cadre de la saison Africa2020 : genèse

L’exposition a été engagée par Sandra Patron avant son départ pour le CAPC et a demandé trois ans de préparation. Elle s’inscrit dans la saison Africa2020 initié par le Président de la République Emmanuel Macron avec comme commissaire générale N’Goné Fall que Sandra Patron avait rencontrée à la Biennale de Venise. Sandra Patron a rencontré Hicham Daoudi lors d’un déplacement au Maroc puis l’avait revu à d’autres reprises. J’ai repris leurs échanges après le départ de Sandra.

Le titre « Distante Ardente », appelle d’une certaine façon « à mesurer la distance » qui sépare la France et les populations du continent africain. Dans la littérature et la poésie, le terme ardent renvoie au brasier amoureux, celui qui consume les amants, tandis que dans d’autres expressions populaires, il témoigne de l’impatience et parfois même des violences qui régissent certaines situations. Pour le commissaire, Hicham Daoudi qui vit au Maroc il était important que l’exposition prenne vie dans le sud de la France, proche de la méditerranée, face au continent Africain. Il revendique un appel au dialogue entre ce qui nous éloigne, nous rapproche et nous unit par le biais de la mixité. L’exposition propose un cheminement avec plusieurs étapes à franchir comme de possibles réparations vers un futur commun.

Hassan Bourkia, « Ces inconnus ont un nom… », 2018. Installation. Cages, valises et photographies, dimensions variables. Courtesy de l’artiste et du Comptoir des Mines Galerie. Crédit : B.Bost / Comptoir des Mines Galerie

Comment avez-vous organisé le parcours avec le commissaire Hicham Daoudi ?

L’exposition aborde plusieurs notions importantes à travers trois temps forts.

Le premier est la notion des corps invisibles avec plusieurs artistes tels Diadji Diop, Simohammed Fettaka ou Mustapha Akrim qui réactivent les traces des corps à travers des uniformes militaires des soldats des anciennes colonies, le vêtement de l’ouvrier ou encore l’uniforme du corps médical, autant de témoignages des migrations d’Afrique vers l’Europe à différentes périodes de notre histoire commune.

La seconde partie de l’exposition explore la mémoire des oubliées avec des espaces géographiques aussi bien source de fascination que de drames. Le désert qui est considéré en Europe comme un espace poétique ou bucolique est pour les africains la première frontière et parfois un espace de souffrance et de violence, ce que décrit des artistes comme Fatiha Zemmouri qui reproduit un morceau de désert ou encore Zainab Andalibe qui travaille autour des notions de déplacements et de trajectoires.

La dernière partie de l’exposition convoque la notion de distance et d’avenir commun dans la nécessité de nous rapprocher et de dialoguer. Mariam Abouzid Souali avec ses deux grandes peintures, ou Mohammed Arejdal et son importante installation in situ nous invitent à mesurer la distance à parcourir pour partager un futur commun, tandis qu’Hicham Ayouch à travers sa nouvelle vidéo « Peau Aime » se lance dans une quête identitaire introspective au-delà des marqueurs sociétaux qui enferment.

Diadji Diop, « … dans le bonheur », 2009. Installation. Résine époxy, 900 x 200 x 100 cm. Crédit photo : Diadji Diop

« La Vie dans l’espace »  sous le commissariat de Jill Gasparina : nouvelle lecture des collections 

Nous invitons régulièrement des commissaires à travailler autour des expositions temporaires. Cela n’avait jamais été fait autour de la collection, c’est pourquoi j’ai invité Jill Gasparina pour qu’elle réalise ce nouvel accrochage à partir de notre collection très riche. Elle a organisé sa réflexion autour du concept d’espace : notion philosophique, éternel binôme du Temps, terme désignant une étendue, un cadre, une institution, ou, dans un sens scientifique, toute la partie de l’univers située au-delà de l’atmosphère terrestre : le terme « espace » se caractérise, dans la langue française, par une large palette de sens et d’homonymes. Toutes ces notions et histoires croisées sont réunies à travers un certain nombre de thématiques qui traversent l’exposition, que ce soit la gravité zéro, la cabine de l’astronaute, la solitude du Rover sur Mars, les exoplanètes, faisant aussi apparaitre dans chaque salle un mode d’accrochage particulier. Elle a réuni plus de 70 artistes de notre collection, et présentée des œuvres qui n’avaient jamais encore exposées. Le résultat est très dynamique et offre aux visiteurs une nouvelle lecture de nos collections.

Vue de salle « La vie dans l’espace » au Mrac, Sérignan, 2020. Photographie Aurélien Mole

Votre choix en faveur de Jill Gasparina, critique d’art, théoricienne et commissaire, enseignante à la HEAD, Genève

Je connaissais Jill Gasparina depuis plusieurs années et l’avais rencontrée à plusieurs reprises lorsqu’elle dirigerait le centre d’art associatif, la Salle de Bain à Lyon. Je connais aussi son travail d’écriture et de recherche. Nous avons aussi défendu plusieurs artistes en commun comme Ida Tursic et Wilfried Mille, Olivier Mosset, Olivier Vadrot, ou encore Mark Handforth. Jill arrive à faire dialoguer des artistes et des œuvres autour de thématique très originale et elle a un grand talent de display. Son approche curatoriale est toujours très précise tout en offrant aux visiteurs une grande liberté d’interprétation et de projection. Ses expositions arrivent à amener les visiteurs de manière très subtile dans des univers qui dépassent les questions uniquement artistiques, comme ici à Sérignan.

Vue de salle « La vie dans l’espace » au Mrac, Sérignan, 2020. Photographie Aurélien Mole

Au printemps 2021 vous invitez Laurent Le Deunff en dialogue avec Anne et Patrick Poirier, enjeux et perspectives

J’ai souhaité inviter Laurent Le Deunff dont le travail me semble très pertinent, surtout dans le contexte actuel. Je suis le travail de Laurent depuis de nombreuses années et nous l’avions déjà invité en 2017  à participer à l’exposition collective « la vie aquatique ». Son travail de sculpture et de dessin fait souvent écho à des formes ancestrales, archéologiques ou à une écriture vernaculaire. Il crée des formes récurrentes telles que la grotte, le rocher, la pierre, le fossile, l’os qui s’inspirent largement de la nature.

De plus son invitation fait sens avec l’invitation que je lance à Anne et Patrick Poirier à l’étage du musée, qui sont d’une autre génération d’artistes (Anne aura 80 ans en 2021) et qui travaillent également sur l’archéologie, et les sociétés disparues, les traces, la mémoire. De plus cela me permet de créer une dynamique régionale autour d’une actualité forte avec l’ouverture à Narbonne du futur musée de la romanité. Intitulé NarboVia et signé Norman Forster le musée est un projet très ambitieux qui va rassembler un ensemble de vestiges de l’époque où Narbonne était une capitale romaine avec notamment un mur lapidaire qui va être mis en scène. Je voulais donc créer des dynamiques de visites et des croisements de public. 

Anne et Patrick Poirier, une exposition très ambitieuse

Ils n’ont pas eu d’exposition aussi complète depuis leur exposition au MAMC + de Saint-Etienne en 2016.

Nous allons présenter des œuvres historiques qu’ils ont réalisées dans les années 1967-68, et dont certaines n’ont jamais été montré encore au public. Il y aura également une importante installation très impressionnante de 14 mètres de long qui appartient au Mumok à Vienne et qui n’a jamais été exposée en France. D’autres pièces vont sortir des réserves des musées pour la première fois comme La voie des ruines noires appartenant au Centre Pompidou. Aux côtés des œuvres des années 1970 et 1980, seront également exposées des pièces plus récentes et des nouvelles productions. Anne et Patrick auront également d’autres expositions dans le sud de la France à la même période comme à l’Abbaye du Thoronet et au Château La Coste avec des productions récentes.

Les défis de l’exposition Distante Ardente face à cette nouvelle crise 

Lorsque le second confinement a été annoncé nous étions en plein montage d’exposition avec les artistes et le curator. Je m’étais battu pour que l’exposition Distante Ardente soit en place avec toutes les difficultés liées au voyage du commissaire, des artistes et des œuvres, de l’Afrique vers la France pour obtenir les visas et les laissez passer. Concevoir une exposition avec des artistes africains et des productions in situ a été un vrai défi dans la période que nous connaissons

Il fallait donc terminer le montage de l’exposition afin qu’elle soit prête à ouvrir aux publics mais aussi assurer le retour des artistes en toute sécurité à leur domicile en Afrique. A partir de là une autre vie pour le musée a commencé à se mettre en place avec cette exposition prête mais qui n’a pas encore ouverte au public.  

Quelles réflexions vous inspirent ce reconfinement ?

La première fois, la situation était à ce point inédite qu’elle donna lieu à un sentiment collectif très fort. Ce second confinement est plus compliqué à vivre. Même s’il faut essayer de dépasser la situation, la vie culturelle est directement impactée par la crise sanitaire. Au musée toute l’équipe reste mobilisée. Le service des publics prépare des contenus numériques  afin de pouvoir rester en lien avec les visiteurs. C’est essentiel pour nous de pouvoir garder ce contact avec l’ensemble de nos publics, avec des contenus de qualité, vivants et ludiques.  De mon côté je parle beaucoup avec les artistes et certains se sentent seuls ou oubliés. Même si tout semble suspendu, il est très important de réussir à continuer d’être ensemble.

Infos pratiques :

« Distance Ardente », dans le cadre de la saison Africa2020

Réouverture du MRAC le 7 janvier (sous réserve) jusqu’au 9 mai 2021

« La Vie dans l’espace ». Accrochage des collections

Jusqu’au 13 juin 2021

MRAC Occitanie/ / Pyrénées-Méditerranée

146 Avenue de la Plage, 34410 Sérignan

Musée Sérignan d’Art Contemporain OCCITANIE/Pyrénées-Méditerranée – Musée régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon (laregion.fr)

Saison Africa 2020