Cyrille Sciama, co-commissaire James Tissot musée d’Orsay, directeur musée Impressionnismes : « La possible réouverture des établissements culturels passe par la nécessaire réappropriation du public et le rôle joué par le musée comme garant d’honnêteté et de transparence ».

Alors que l’exposition de James Tissot l’ambigu moderne, n’a pu ouvrir ses portes au musée d’Orsay, Cyrille Sciama à la tête du musée des Impressionnismes à Giverny depuis avril 2019, revendique une nécessaire revalorisation des collections dans une logique éco-responsable, loin de la course à la performance initiée par les expositions phares et leur planning effréné de déplacements superflus. L’appétit du public pour les œuvres, renforcé actuellement sur la toile, peut être maintenu après le confinement par des contenus virtuels de qualité.

Vous lancez en partenariat avec Google Arts & Culture la version virtuelle de l’exposition  » Plein air. De Corot à Monet », pourquoi le choix de cette plateforme ? et quelle est votre ambition face à une offre de contenus déjà très présente ?

Nous avons un long partenariat avec Google Arts & Culture qui remonte à l’exposition d’Hiramatsu Reiji en 2018, suivie d’autres opérations de digitalisation de nos expositions, la dernière étant celle de Ker Xavier Roussel. Il était donc naturel pour nous de rependre cette opportunité dans la confiance, sachant que nous avions tous les documents disponibles. Ceci dit la stratégie numérique de notre établissement est plus large et nous essayons de diversifier notre offre. Google est l’un de nos partenaires mais non exclusif. L’on constate que les musées français sont assez en retard vis à vis du numérique si l’on compare ave les musées anglo-saxons. Je remarque en ce moment les efforts déployés par le musée Thyssen- Bornemisza à Madrid par exemple ou le Städel museum à Francfort et comment des expositions en ligne marchent très bien comme celle du Grand Palais avec Pompéi. Il y a donc un vrai appétit du public pour cette nouvelle forme de culture, ce qui n’est pas concurrentiel à la démarche d’aller visiter une exposition. C’est bien que l’on soit tous embarqués dans cette nouvelle dynamique et au musée des impressionnismes nous allons aussi prendre le train en marche et développer plus de projets dans ce sens !

Alfred Thompson Bricher (1837-1908)Le Fleuve Hudson à West Point, 1864Huile sur toile, 51,1 x 107,3 cm Chicago, 
Terra Foundation for American Art

Que vous inspire la situation des musées et institutions aux Etats-Unis menacés de fermeture et obligés de licencier une bonne partie de leurs équipes ? et Qu’en est-il de la Terra Foundation for American Art, membre fondateur du musée ?

Les musées américains s’inscrivent dans un système très différent du nôtre. Ils fonctionnent sur le mécanisme du fundraising, des fonds privés majoritairement et dans une logique capitaliste et financière assez sauvages. Mais si cette logique est très brutale aux Etats-Unis elle permet aussi de retrouver du travail très facilement, plus facilement parfois qu’en Europe. Il ne faut donc pas voir que le côté négatif de cette situation très exceptionnelle qui a aussi son revers. Aux Etats-Unis on est fréquemment amenés à bouger, changer de métier, évoluer (You have to move on, to move up) alors qu’en France la mobilité est nettement moins encouragée. C’est une vision de Far West assez pionnière chez eux. En ce qui concerne la Terra Foundation nous avons des liens historiques depuis le début du musée et je n’ai pas d’information et d’inquiétude particulière face à leur situation. Ils ont au contraire montré leur soutien à un certain nombre d’institutions américaines frappées par la crise et nommé récemment une nouvelle directrice, Sharon Corwin, selon ce qui était prévu dans les statuts. Nous avions une exposition programmée avec eux cet été que nous allons décaler à l’automne intitulée « L’atelier de la nature. Invitation à la Collection Terra ».

Hiramatsu Reiji (né en 1941) « Impression. Étretat », 2018  Nihonga, 179,9 x 170 cm (diptyque), 2018 
Giverny, musée des impressionnismes, MDIG 2018.1.5  © Hiramatsu Reiji © Giverny, musée des impressionnismes 

Pour faire silence et vous retrouver en cette période de crise, quelle oeuvre de la collection vous semble t-elle la plus apaisante ?

Il est vrai que les œuvres d’art sont là pour nous apaiser, nous faire réfléchir, nous poser. Il y a une œuvre que j’aime beaucoup dans notre musée, c’est une œuvre de l’artiste Hiramatsu une vue d’Etretat, sur un grand paravent japonais, que nous avons présenté lors de la dernière saison. C’est un mélange entre la technique décorative du nihonga et un travail au pinceau des artistes japonais avec l’impressionnisme. Un hommage entre la vision de Claude Monet et un artiste contemporain japonais dans une lumière mordorée très douce sur la mer, avec des vaguelettes d’eau et les oiseaux qui passent. Dans la période que nous traversons nous avons besoin de retrouver des images et physiquement le contact avec l’oeuvre d’art est incomparable avec une transmission numérique. Il y a
une approche de la matière qui est plus subtile et apaisante. Nous allons certainement présenter Hiramatsu prochainement dans nos collections permanentes.

William Merritt Chase Terra Foundation for American Art

A quels défis le musée doit-il se préparer pour la période post confinement et possible réouverture ?

Les conditions de succès d’une possible reprise reposent tout d’abord sur la confiance du public envers nos institutions que l’on puisse les accueillir dans les meilleures conditions sanitaires possibles afin de leur ôter toute appréhension.
Cela concerne avant tout aussi les membres du personnel qu’ils soient aussi dans des conditions de sécurité sanitaire les plus optimales. A un niveau collectif, nous devons aussi traverser ensemble et solidairement cet épisode dramatique et quitter cette vision souvent excessive de l’art où l’on multiplie les expositions et les projets sans prendre du recul. Les expositions et œuvres présentés doivent aussi amener le public à réfléchir, à rêver et à stopper cette course effrénée à la performance. Ce confinement a remis l’humain au centre : les relations inter personnelles, la solidarité et le rapport à la nature et le musée est un lieu d’accueil du public mais aussi un espace de pensée. Notre musée comme d’autres sera amené à réfléchir davantage sur l’éco-responsabilité, la transmission, la transformation des éléments que l’on fabrique. La culture a un rôle à jouer pour faire passer ce cap difficile et cela va prendre un moment avant que les visiteurs se réapproprient les établissements culturels de même que les théâtres, les cinémas ou l’opéra mais on en a besoin comme de repères. On réalise que les musées sont encore des lieux qui jouissent d’une grande réputation d’honnêteté et de transparence avec un rôle important à jouer dans la société.

Quelle sera l’empreinte durable d’une telle alerte sur nos comportements face à l’art ?

Nous serons incapables d’accueillir comme précédemment de grandes foules pour des vernissages, des fêtes, pour l’instant mises à l’arrêt comme on le voit avec les foires. C’était sans doute un modèle devenu obsolète qui allait avec l’air du temps où l’on prenait beaucoup l’avion et les transports. On va devoir revenir et s’intéresser davantage à un public plus local et fidèle car plus proche de nous et revoir notre organisation interne pour privilégier plus le télétravail ou les visio-conférences et en termes d’expositions privilégier des logiques plus responsables. Arrêter de faire voyager les œuvres, faire venir des tableaux de l’autre bout du monde à des rythmes effrénés ce dont le public ne se rend pas toujours compte. Notre responsabilité de musées est engagée face à ce monde capitaliste afin que les expositions restent à une échelle humaine et non dans une course à la visibilité. Les musées auront une vraie responsabilité par la suite, même si des travaux étaient déjà en cours à l’ICOM (conseil international des musées) avec des réflexions communes autour des circuits courts notamment. Nous évoluons dans un petit milieu avec beaucoup d’amitié et de solidarité alors que l’on parle toujours de rivalité autour des expositions, mais quand on discute avec nos collègues nous réalisons que nous partageons les mêmes problématiques. Une plus grande interconnectivité avec le monde des galeries sera nécessaire. Nous cherchons à acquérir des œuvres, ce qui renforcera sans doute plus encore le rôle prescripteur des galeries pour éviter les déplacements superflus. En termes d’attentes du public, le challenge à présent est de faire rêver un public qui a été formaté à des expositions phares à partir de nos expositions permanentes qu’il faut donc valoriser. A mon arrivée à Giverny j’ai demandé dans ce sens, la publication de notre guide des collections qui est en cours et nous
avons également numérisé toutes nos œuvres à l’occasion de la refonte de notre site internet. Cela incitera plus les gens à venir voir nos collections plutôt que de courir après la dernière exposition à la mode. Les deux restent complémentaires. Le musée est bien ce lieu d’accueil entre le public, un bâtiment, des collections et des évènements. Ces derniers vont être repensés dans des formats plus restreints et des règles sanitaires strictes mais aussi conviviales pour pouvoir vivre un moment privilégié au milieu des œuvres et avec des amis dans un établissement qui nous fera rêver et réfléchir !

En écoute :🎧

FOMO Podcast Cyrille Sciama, directeur Musée des impressionnismes, Giverny

Découvrir le musée avec Google Arts & Culture :
https://artsandculture.google.com/partner/museum-of-impressionism-giverny

> L’Atelier de la nature, 1860-1910. Invitation à la Collection Terra du 10 juillet au 1er novembre
https://www.mdig.fr

On a hâte de savoir quand l’exceptionnelle exposition de James Tissot pourra ouvrir (initialement prévue le 24 mars) dont Cyrille Sciama est un brillant spécialiste, à l’origine de plusieurs catalogues.