Lucien Murat : appartement en mode confiné, mai 2020
J’avais découvert Lucien Murat en 2012 à Appartement, initiative de Nathalie Miltat qui a su redéfinir avec style les codes de l’exposition dans un univers confidentiel et repérer de futurs talents comme Thomas Lélu, Baptiste Debombourg, Giulia Andreani… Je retrouve le chaos burlesque et lyrique de Lucien Murat pour sa première exposition à la galerie Suzanne Tarasiève dans un vacarme grandiose et assourdissant où les arts traditionnels de la lisse se mélangent à la pléiade de nos avatars virtuels. La high et la low culture, le mythologique du vernaculaire, les vices et les vertus, le souffle de l’histoire et les turpitudes du présent… Réponse de l’intéressé à mes questions.
Ah les belles résolutions, pour en avoir j’en avais ! Au début du confinement, sautant sur l’occasion, je voulais m’imposer un rythme d’un dessin par jour, créer une sorte de sablier graphique pour mesurer le temps de cette période extraordinaire – historique ? – qui s’écoule.
Au quatrième jour, fort de quatre dessins, j’ai tout remballé.
Non pas que je souhaite tomber dans un quelconque apitoiement – vulgaire au vu des circonstances, mais je dois bien avouer que je serai incapable de me remémorer la dernière fois que je n’ai rien fait, que je n’ai pas été obnubilé par mon travail, l’esprit toujours et encore, du soir au matin, accaparé. J’ai pour la première fois l’occasion de ne rien faire, alors je ne fais rien et c’est absolument divin.
Voilà donc que pour me mettre au repos il fallait, non pas en réalité, que je fuis le monde en arpentant les plages de Bretagne à la recherche de calme et de grand air, comme à l’ordinaire, mais plutôt que le monde s’arrête net dans un silence assourdissant.
C’est étrange comme on ne sait pas se taire, profiter de ce silence, comme si pour certains de mes semblables ne pas exister socialement ou médiatiquement pendant deux mois était insupportable et insurmontable.
L’égotisme artistique, privé de ses expositions, se pique désormais les veines aux flux digitaux : poster pour exister, modéliser en 3d pour exposer, hurler son « je » sous couvert de « nous ».
Le tintamarre du monde physique se tait amplifiant ainsi le brouhaha du monde digital qui abat les frontières entre les cultures et les pays en nous noyant dans un flux d’informations, de photos et de vidéos absorbées et recrachées par des plateformes numériques (Youtube, Facebook, Instagram, etc.) accélérant la mutation et la fragmentation de nos représentations identitaires.
Le bruit partout et tout le temps. Le vacarme qui nous crache au visage notre la soi-disant impossibilité pour notre conscience de se représenter ce monde digital dans sa globalité et sa complexité.
La voix de Macbeth s’élève : « la vie une histoire contée par un idiot, pleine de bruit et de fureur qui ne signifie rien » pour nous rappeler la nécessité du recours au récit pour expliquer ce bruit et cette fureur, l’inexplicable et l’indicible et que seul celui qui est en dehors – l’idiot – peut nous les révéler. Cette créature fragile et singulière, incarnation du antihéros est l’observateur avisé des travers de nos sociétés.
Par son regard décalé, Benjy, enfant handicapé mental, dans le Bruit et la Fureur de Faulkner, parvient à travers des sensations et des flash passés et présents à nous dresser le portrait d’une famille du Sud des États-Unis tombée dans l’abjection et la déchéance.
Dans le Tambour de Günter Grass, Oscar enfant déformé et nain qui refuse de grandir, observe la montée et la chute du nazisme en Allemagne.
Ce roman picaresque nous plonge dans un voyage absurde et grotesque, fantastique et merveilleux où toute lecture objective et rationnelle de la réalité est impossible. Oscar par le recours aux mythes et aux symboles nous offre ainsi une vision élargie du réel.
Nous avons les héros, ou plutôt les antihéros que nous méritons, pétris d’inconstance et de pulsions ; eux seuls peuvent être les décodeurs du chaos de notre monde.
Les artistes comptent-ils assez d’idiots dans leurs rangs ?
Lucien Murat