Cc. José Castellar
« L’Exhibition[niste] est un titre qui m’est venu assez rapidement. C’est un jeu de mots entre exhibition en anglais qui signifie exposition et le fait de révéler une partie de soi aux autres. S’exhiber c’est se mettre à nu. Une exposition, c’est s’exposer. (..) Christian Louboutin
Temps béni de l’enfance et séquence nostalgie dans le 12ème arrondissement pour Christian Louboutin né tout proche du Palais de la Porte Dorée où il aimait venir voir l’Aquarium et les grandes fresques Art Déco. C’est donc naturellement que le créateur s’est tourné vers ce monument totem, décisif dans son imaginaire et inspiration pour ce projet d’exposition. C’est le Panneau de signalétique et dessin fondateur vu au musée « Défense de marcher avec des hauts talons » qui seront à l’origine de sa vocation !
Une première qu’il confie à Olivier Gabet, directeur du musée des Arts Décoratifs, ouvrant près de trente ans d’une activité prolifique, érudite et joyeuse. « Une immersion qui présente les multiples facettes d’une expression protéiforme » en 10 chapitres.
ANTICHAMBRE
Dès l’entrée de l’exposition, le visiteur est accueilli par l’objet même qui donne la clé de cette exposition au Palais de la Porte Dorée : le panneau de signalétique interdisant de porter des talons dans les espaces de l’ancien Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, et qui a marqué le jeune Christian Louboutin, visiteur assidu et ébloui du musée, passionné fervent des collections qu’il abritait alors, au point qu’il le dessine et le redessine dès l’âge de 11 ans. Cette image première sera plus tard l’inspiration du soulier Pigalle, un des plus connus de son corpus qui en compte aujourd’hui des milliers.
EARLY YEARS
Dans la prolongation de l’introduction, la salle des vitraux fonctionne comme l’antichambre des salles suivantes, pour reprendre le vocabulaire architectural et palatial des lieux. Salle soulignant les premières influences, l’apprentissage du métier, l’univers de l’appartement-studio de création du IXe arrondissement de Paris, cette évocation des débuts du créateur est construite autour de quelques incunables, les Louboutin d’avant la semelle rouge – aujourd’hui devenue iconique – jusqu’aux modèles du début des années 2000. Le créateur dessine, imagine des formes, entreprend de sculpter lui-même certains modèles, et expérimente avec des matériaux inédits ou très rarement utilisés : bois de palmier, peaux de poissons, cuir de Cordoue, etc… Parmi les trois cents premiers modèles dessinés par Christian Louboutin, de nombreux souliers seront présentés, entourés de ses premiers dessins, croquis, travaux, moodboards et dossiers réunis en vue de proposer ses créations à des couturiers, tels Azzedine Alaïa, dont le travail et l’exigence le fascinent, sans qu’il n’aille jamais les solliciter. A travers autant de vitraux spécialement dessinés pour l’exposition et réalisés par les ateliers de la Maison du Vitrail à Paris, cette salle décline les sept éléments constitutifs du travail de Christian Louboutin, en réaffirmant aussi son attachement originel pour les arts décoratifs et les métiers d’art, tout en mettant en abyme cette forme d’adoration du soulier qui, au-delà du simple fétichisme, traverse l’histoire de la mode, non plus simple accessoire, mais objet incontournable. La composition de chacun est minutieusement conçue comme la réunion de détails révélateurs de moments, de lieux, de personnalités, qui ont contribué à nourrir son imaginaire et son enthousiasme. Y sont référencés entres autres les Pensées d’Andy Warhol, les félins égyptiens du cinéma Louxor, les plumes des bacchanales des Folies Bergères et le chapeau haut-de-forme de Marlene Dietrich, la Tour Eiffel et la galerie VéroDodat, l’Afrique, l’Amérique du Sud, l’Asie et l’Océanie.
SALLE DES TRÉSORS
Composée comme une rotonde pyramidale, la salle des Trésors réunit les créations les plus emblématiques de Christian Louboutin, autour de thèmes d’une extrême variété, dont l’éclectisme est cependant atténué par le fait que chacune de ces créations exprime leur caractère unique et une forme d’excellence dans la réalisation. Chaque soulier incarne une
forme d’accomplissement, qu’il s’agisse de la forme imaginée, de l’utilisation de certains matériaux ou du contexte original voire historique de la commande ou de l’idée qui l’a inspirée. Dans cette salle, dégagé de toute référence d’ordre religieux, et au-delà du simple accessoire ou de l’objet fétiche, un soulier de cristal créé par des artisans français prend place sur un palanquin fabriqué par des orfèvres dinandiers de Séville, décoré de broderies à la riche iconographie dédiée au soulier et réalisées en Inde par les ateliers du créateur Sabyasachi Mukherjee. Tout est dessiné par Christian Louboutin qui affirme ainsi sa complicité et son respect pour les artisans du monde entier avec lesquels il a pris l’habitude depuis longtemps d’inventer ses collections. Mêlant iconographie populaire et artisanat de luxe, cette salle évoque aussi le lien étroit que le soulier entretient toujours chez Christian Louboutin avec un contexte polysémique, brassant généralement des références construites, si ce n’est diverses, l’histoire de la Mode quand Lady Grès s’amuse à citer les turbans et les plissés de Madame Grès, l’histoire des Arts premiers nourris de sa fascination pour l’Afrique, l’Océanie et l’Amérique, comme le soulier Puebla est un hommage à l’art des poupées Kachinas. Ces univers, déjà très riches, s’élargissent à ceux de l’architecture et du design, avec des hommages à Ettore Sottsass ou Oscar Niemeyer, comme à celui du sport, la Boltinanée d’un dessin aussi souple et rapide que la course d’un Usain Bolt. Enfin, certains de ces souliers, moins connus du grand public, soulignent la singularité du travail de Christian Louboutin dans l’univers de la mode, comme ce soulier YSL porté par le dernier mannequin apparaissant dans le dernier défilé haute couture du maître en 2002, devenu depuis un moment iconique dans l’histoire de la mode.
La Salle des trésors présentera également une œuvre de l’artiste pakistanais Imran Qureshi spécialement conçue pour l’exposition.
NUDES
Initiée en 2006, la série des Nudes est aujourd’hui considérée dans le domaine de la mode comme un acte créatif et sociétal puissant, et là encore pionnier. En imaginant un soulier couleur chair pour affirmer une forme de transparence et donner à voir une sorte de prolongation comme infinie de la jambe, Christian Louboutin joue de l’effet visuel qui naît d’une unité chromatique entre le pied chaussé et la jambe, comme on le voit notamment dans un portrait ancien d’un membre de la famille de Beauvau en Lorraine, attribué au peintre François Quesnel (1543-1619).
Pour mettre en scène cette série, Christian Louboutin a invité le duo d’artistes anglais Whitaker/Malem à réaliser neuf scultpures gainées de cuir déclinées selon les neuf couleurs de la collection des Nudes.
L’ATELIER
Un soulier est le fruit de près d’une centaine d’étapes qui concourent toutes à sa fabrication et d’autant de gestes qui permettent son achèvement. Dans ce contexte, la salle consacrée à la fabrication d’un soulier allie deux aspects différents et complémentaires : un certain nombre d’œuvres et d’objets qui incarnent le processus créatif (pieds, formes, outils, matières) mais surtout une suite de films qui permettent de visualiser de manière plus claire et plus vivante les étapes de la création d’un soulier qui sont, chacune, une réalité répondant à une définition précise, « patronage », « piquage », etc.
SUGGESTION & PROJECTION
Déjà sensible dans les salles précédentes, l’exploration de l’imaginaire et du système de représentation, dans lesquels le soulier évolue, continue dans cet espace qui, de prime abord, se présente comme un inoffensif salon digne d’une granny anglaise, malicieuse mais conservatrice. En composant cet intérieur comme le ferait un ensemblier, Christian Louboutin se joue de l’art décoratif et de l’ornement : de loin semble se déployer des répertoires relativement abstraits, nourri du vocabulaire floral ou végétal ou d’une calligraphie délicate, le tout dégageant
une sérénité joyeuse. De près, la réalité est toute autre : chacun de ces éléments décoratifs est en réalité formé de combinaisons de corps transformés, celui de Pierre Molinier en femme super-sexualisée, réagençant des formes nouvelles à partir de jam- bes, de pieds chaussés de soulier à talons, bas et collants de soie, visages offerts ou mains dardées. Lorsqu’il présente ses spikes, souliers recouverts de pointes ou de clous inversés, Christian Louboutin rappelle d’abord que, pour lui, l’alliance du cuir et des clous a toujours évoqué, avant tout autre chose, ce que les amateurs d’art et les historiens nomment la « Haute époque », période allant du Moyen Âge au début du XVIIe siècle, une tonalité médiévale fleurant bon les armures et le mobilier garni de cuir de Cordoue.
C’est ensuite que l’on y a plaqué, commentateurs et usagers, une connotation toute différente, mêlant sexualité et domination, sado-masochisme ou références au hard ou metal rock, qui sont loin de son idée initiale. Pour lui, c’est l’aspect décoratif, intimement attaché à l’histoire des styles, qui a inspiré ce type de créations, mais à l’évidence ces dernières montrent combien la projection fantasmée et la suggestion peuvent remodeler la vision initiale de ces séries de souliers.
THÉÂTRE BHOUTANAIS
Clin d’œil à sa passion pour le Bhoutan, Christian Louboutin évoque ici un aspect important de son travail et de sa carrière, ses créations pour le monde du spectacle sous toutes ses formes, sous l’apparence d’un théâtre bhoutanais aux gigantesques colonnes de bois sculpté. Très tôt, Christian Louboutin s’est inspiré de la scène, une scène protéiforme qui invite autant le cinéma que le théâtre, le cabaret que le cirque, jusqu’au monde des sportifs et des athlètes, qui expriment dans notre monde contemporain une société du spectacle à son paroxysme. Dans ce théâtre, un spectacle prend place autour de deux hologrammes originaux, celui de l’effeuilleuse et danseuse Dita Von Teese, et de l’équilibriste du ballon Iya Traoré. Deux évocations, chorégraphique et gymnastique (voire athlétique), pour lesquelles la présence du soulier ancre la pesanteur des corps et la souplesse du mouvement dans l’espace. Dans cette même salle, sont exposés les modèles les plus emblématiques des créations de Christian Louboutin dans le domaine du spectacle, autant des commandes spéciales (Tina Turner, Michael Jackson) que des pièces conçues avec cet esprit en tête (Grand Rex, Lola Montès).
BIOGRAPHIE
Peu adepte des évocations souvent très académiques de la biographie, Christian Louboutin a choisi de confier cette tâche à l’artiste néozélandaise Lisa Reihana, qu’il a découverte à la biennale de Venise en 2017. A travers une œuvre monumentale spécialement conçue pour l’exposition – une fresque digitale mouvante et hypnotique – elle retrace les moments, les lieux et les personnalités clefs de la vie et de la carrière de Christian Louboutin.
LE POP CORRIDOR
Cette salle témoigne de la place forte et singulière qu’occupent aujourd’hui les créations de Christian Louboutin dans la culture populaire, juste miroir à la place qu’occupe cette culture populaire dans ses inspirations et le contexte de conception de maints de ses souliers. Par métonymie, dans le cinéma, la musique, pop comme rap, les Louboutins sont dorénavant les souliers par excellence, proches de tous les sexes, de tous les genres et de toutes les origines. Enfant du Palace, Christian Louboutin a très tôt associé son travail à des figures du monde du spectacle, du cinéma, mais aussi du sport. Si le monde de la mode laisse refléter trop souvent les aspects les plus critiquables du consumérisme et du cynisme, force est de constater que le nom de Louboutin est aujourd’hui plus associé à un élément d’intégration et de distinction qu’à une discrimination – il peut être même synonyme d’émancipation. C’est aussi le nom associé à des figures rassembleuses et positives, sportives ou musicales comme J-Lo, Tina Turner, Beyoncé, Leonardo Di Caprio, Kobe Bryant, Zendaya ou encore Blake Lively.
FETISH
Collaboration entre Christian Louboutin et le cinéaste et photographe David Lynch, dévoilée au public pour la première fois en 2007, l’idée de cette salle est de montrer à nouveau l’ensemble formé de ces souliers imaginés pour ne pas marcher et les photographies que Lynch en a données. Le soulier devient une manière exacerbée de raconter d’autres histoires, invoquant la question du fétichisme et de la sexualité. Plusieurs souliers ainsi conçus rappellent, dans leur utilisation scénographique et photographique, que c’est moins le talon que la cambrure du pied qui est objet de fétichisme et de fantasme, la ligne de la jambe qui s’en dégage naturellement ou de manière artificielle. La série des souliers exposés expriment les différentes formes d’attachement fétichiste, semelles en voile qui imposent ne pouvoir marcher mais d’être allongée ou assise, talons siamois des relations fusionnelles, pointe au sens chorégraphique comme un élancement irréalisable de torture et de grâce absolue, pointe au sens littéral du terme avec ces pointes dardées à même la semelle intérieure rendant impossible le fait de porter le soulier, le soulier devenant un objet sans usage que la valeur artistique transforme un objet d’art ou une sculpture.
UN MUSEE IMAGINAIRE
Dernière partie du parcours de l’exposition, volontairement détachée des créations de Christian Louboutin pour éviter des dialogues souvent réducteurs et trop littéraux où les œuvres d’art sont trop souvent invitées comme des faire-valoir ou de simples illustrations, le « musée imaginaire » offre ce qui est autant une conclusion qu’une invitation au voyage. Cette dernière section réunit l’expérience de la visite qui vient de se dérouler à celle d’un rassemblement inédit d’œuvres et d’objets d’art provenant de civilisations et de cultures d’un extrême éclectisme, soulignant combien l’imaginaire à l’œuvre dans toute création de mode cristallise des répertoires visuels et artistiques variés. Cet espace est une déambulation parmi les sources d’inspiration et les références de Christian Louboutin, reliant aussi l’exposition présente à l’histoire même des lieux où elle se déploie, comme un lieu de mémoire, souvenir du Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie où, enfant et adolescent, il a connu ses premières émotions esthétiques, et qui lui a donné envie de voyager, de découvrir d’autres cultures, de rêver aussi. Certaines sources sont façonnées plus étroitement par une certaine histoire de la mode, là où d’autres sont pleinement picturales. Le monde de l’objet d’art, classique ou surréaliste, entre porcelaines bleu et blanc de Wedgwood, surtout égyptien dessiné par Vivant Denon et boîtes de Joseph Cornell, est puissamment présent, rappelant combien l’art du soulier dit aussi la maîtrise de la forme. L’art populaire n’est jamais oublié car son inventivité et son ingéniosité le séduisent et suscitent une forme d’émulation à la fois plastique, technique et morale.
Infos pratiques :
Du 26 février au 26 juillet 2020.
Horaires d’ouverture :
- Mardi – vendredi de 10h à 17h30
- Samedi et dimanche de 10h à 19h
(Dernier accès 45 min avant la fermeture) - Fermé le lundi et le 1er mai.
Tarifs :
- Plein tarif : 12 €
- Tarif réduit : 9 €