Art Basel Paris 2025 : Interview (sans titre) gallery, Marie Madec

Agnès Scherer, Exhibition view, A thousand times yes, 2022, Sans titre, ParisCourtesy of the artist and Sans titre, ParisImage © Aurélien Mole

Après avoir investi des lieux très atypiques, (sans titre) a choisi le marais rue Michel-le-Comte, dans l’hypercentre de l’écosystème parisien en 2022. Marie Madec, fondatrice et co-directrice, retrace les étapes de cette aventure depuis les premières expositions dans son appartement en 2016 jusqu’à intégrer le graal si convoité d’Art Basel.  Après le secteur émergent, le stand de la galerie fait partie cette année de la section principale du Grand Palais, ce qui offre plus de liberté comme le souligne la galeriste. Les artistes présenté.e.s qui ont tous.tes une actualité internationale, notamment Agnes Scherer, s’inscrivent dans une sorte « de dichotomie entre force et fragilité ». Marie revient sur son rôle au sein du comité d’art-o-rama, une foire qui a compté dans l’ADN de la galerie. Elle partage sa vision du métier et le travail de veille mené autour des jeunes artistes diplômé.e.s en France et dans le monde. (Sans titre) est par ailleurs l’une des premières galeries à avoir osé le marché chinois. Une audace visiblement payante. Marie a répondu à mes questions. 

Vous êtes, parmi les galeries françaises présentes à Basel, ce qui est à souligner. Quel va être le concept du stand pour Paris ?

On présente un stand qui est un group show, puisque depuis deux ans, nous avons la chance de faire partie du secteur général après avoir été référencés dans le secteur émergence, ce qui nous permet un peu plus de liberté dans nos propositions. Nous ne faisons plus de solo show. On pourrait le refaire d’ailleurs de manière ponctuelle, mais ce n’était pas la décision que nous avons prise cette année. Nous présentons plusieurs artistes de notre programme, cinq artistes pour être plus précise, qui sont des artistes qui ont tous.tes une actualité assez importante. On présente par exemple le travail d’Aysha E Arar qui fait l’objet d’une grande exposition institutionnelle à Cc Strombeek qui ouvre le 31 octobre. Ou encore, Sequoia Scavullo, qui vient de remporter le prix Matsutani (fonds de dotation Schoen), remis à l’occasion d’ Asia Now, une étape très implorante. 

On présente, également une peinture d’Agnes Scherer, l’artiste ayant un solo show qui vient d’ouvrir à la galerie avec une correspondance entre ces deux projets. Par ailleurs, Agnes a deux expositions institutionnelles importantes qui ouvrent l’année prochaine. D’une part, au Kunstverein Salzburg, ce qui est merveilleux puisque c’est sa ville, là où elle est installée. Elle est très active et influente sur la scène artistique locale, en tant qu’en enseignante à l’Université de Mozart où elle forme les générations de jeunes artistes salzbourgeois.e.s. Quelques mois plus tard, elle aura une exposition à la Fondation Nicoletta Fiorucci à Londres. Plein de bonnes nouvelles dont on se réjouit ! 

Ces artistes qui ont des actualités et qui sont réunis dans cette proposition autour d’une sorte de dichotomie entre force et fragilité, autour de matériaux presque opposés dans leurs propriétés, soit plusieurs pièces en bronze et en marbre qui répondent à des œuvres en papier et en tissu. Et dans leur thématique, il y a des représentations de corps en majesté, de corps très forts, puissants, qui interrogent aussi les représentations des corps dominants et inversement, des choses qui font la part belle à la fragilité, à des corps abîmés ou diminués. Cette sorte d’aller-retour, de va-et-vient entre puissance, force, fragilité construite sur un certain nombre de clichés et de constructions associées est au cœur de notre projet pour Basel Paris. 

Et qu’est-ce qui a fait, selon vous, que vous ayez été retenus, repérés par Basel ?

Il faudrait leur demander ! 

Si l’on reprend la chronologie, Il s’avère que la première fois que nous avons candidaté au secteur émergent, cela s’est fait avec l’artiste Jessy Razafimandimby qui avait alors une belle visibilité à la fois du point de vue du marché, mais aussi du point de vue institutionnel (Musée d’art et d’histoire de Genève), ce qui n’est pas toujours le cas. Cette conjoncture a certainement retenu l’attention d’Art Basel. De plus Jessy avait imaginé une proposition vraiment audacieuse pour ce projet d’Art Basel. Je ne sais pas si vous aviez vu ce portail monumental présenté en lien avec la mémoire coloniale. Il est certain que le jury, le comité d’Art Basel est sensible sans doute à ces propositions un peu ambitieuses avec des œuvres qui demandent énormément de savoir-faire et qui sortent un peu du lot visuellement.

Sequoia Scavullo, Inline, 2025oil on canvas60 x 50cm, unique Courtesy of the artist and Sans titre, ParisImage © Aurélien Mole

Quel est l’ADN de (sans titre) ? 

C’est une galerie d’art contemporain qui a embrassé un modèle relativement classique de représentation d’artistes, après avoir été nomade pendant quelques années et avoir suivi un modèle de project space. Il n’y avait pas vraiment d’ambition commerciale dans les premières années du projet. Par ailleurs, un certain nombre de marqueurs qui définissent aujourd’hui ce qu’est une galerie, à savoir une adresse fixe, une liste d’artistes représentée, la production d’œuvres d’art…, étaient des choses qui ne faisaient pas partie de notre ADN de départ, ce qui a changé aujourd’hui. Nous avons d’abord eu une première adresse dans le 10ᵉ arrondissement de Paris, qui a été très importante dans la construction de l’identité à la fois esthétique et conceptuelle de la galerie, puisque ce local faisait face à l’entrée des artistes du Théâtre Antoine. Et cet univers du théâtre, de la mise en scène, finalement d’installation assez holistique, a vraiment marqué les premières expositions que l’on a organisées. C’était aussi un local en fond de cour, l’ancien bureau de la costumière, dégageant une atmosphère assez domestique, qui, finalement, a aussi orienté de manière assez significative l’ADN de la galerie. Depuis maintenant trois ans, nous sommes dans le Marais, rue Michel-le-Comte à quelques encablures du Centre Pompidou, ce qui était merveilleux même si ce dernier va fermer quelques années pour travaux comme vous le savez. Cela reste quand même un atout considérable, en termes de foot traffic et de visibilité.

Agnès Scherer,  Vue d’exposition « Stargazing Masks » courtesy de l’artiste et (sans titre)

Comment est-ce que vous sourcez, vous repérez les artistes ? Est-ce que ça se fait par une sorte de communauté autour de vous ?

Nous avons beaucoup de discussions avec nos artistes sur le sujet et assez peu d’artistes de notre programme sont basés en France à l’exception de deux, installé.e.s à Paris. Dès lors et systématiquement quand je me rends dans une ville dont l’un ou l’une de mes artistes est originaire ou a vécu, je leur demande toujours s’ils ont des idées de personnes que je pourrais aller visiter pendant mon séjour. Un processus assez intuitif. De plus nous travaillons de manière assez majoritaire avec des artistes émergent.e.s et beaucoup d’entre eux.elles sont dans leurs premières années post-diplôme. C’est pourquoi on fréquente beaucoup les écoles à commencer par les Beaux-Arts de Paris, qui sont à 12 minutes à pied de la galerie, mais également dans l’Europe entière. Nous allons dans les écoles au moment des diplômes de fin d’année, des portes ouvertes… On suit aussi ces écoles via les réseaux sociaux ou leur newsletter afin d’être bien informés des actualités. Et puis il y a des rencontres qui se font un peu par hasard. Je pense qu’il y a beaucoup d’instinct quand même dans ce que l’on fait. 

Venons-en au bilan d’art-o-rama et votre engagement au sein du comité 

Cela faisait quatre ans que j’étais dans le comité d’art-o-rama. Pour nous, art-o-rama, c’est une foire qui est importante et qui nous permettait souvent de faire des premières présentations d’artistes. Mais aussi une foire importante pour son aspect relationnel, retrouver des gens avec qui on travaille depuis plusieurs années. Ce job de committe member, est quelque chose qui m’a énormément appris, qui m’a permis de créer des liens profonds avec des confrères et des consœurs et que j’ai adoré faire. C’était la dernière année de mon implication, j’ai rendu mon tablier ! Donc le bilan, est forcément exceptionnel puisque c’est la fin d’une magnifique histoire qu’on a avec cette foire où nous avons participé pendant sept ans, il me semble. C’est assez rare pour art-o-rama, qui est une foire plutôt considérée comme une rampe de lancement. Notre longévité avec cette foire nous a permis de voir évoluer plusieurs générations de jeunes galeristes le long de ces années et de renforcer des liens intergénérationnels.  De plus, c’est toujours un bonheur et un plaisir de partager avec le public marseillais, que l’on connaît bien parce qu’on a organisé plusieurs évènements à Marseille en dehors de la foire. Je me suis impliquée personnellement dans l’aventure du project space intitulé, Belsunce Projects il y a quelques années.

Quelle vision vous avez de votre métier ? Comment a-t-il évolué ? Le confinement a-t-il eu un impact ? 

En ce qui concerne le confinement, la galerie a ouvert sous sa forme actuelle six mois avant seulement, donc je ne pourrais pas vraiment comparer l’avant / après, le new normal est notre seul normal. Cela dit, c’est finalement pendant cette période que la galerie a commencé à avoir de la visibilité, parce qu’on a été très actifs en ligne. J’ai participé à l’organisation d’une plateforme, foire en ligne, qui s’appelait NOT CANCELLED qui avait réuni toutes les galeries parisiennes, Du coup, je pense que le confinement a été notre rampe de lancement, en fait et paradoxalement parce que nous avions une bonne visibilité en ligne, beaucoup d’envies et d’idées. Par ailleurs nos frais fixes étaient quasiment inexistants. Donc, je ne saurais pas vous dire s’il y a eu un avant et après le confinement. En revanche, je pense que la bulle dont on a tous profité, cette espèce de boulimie d’art contemporain a commencé pendant le confinement.

Dans un contexte actuel qui est particulièrement tendu, comment est-ce que vous vous projetez ? 

Je ne suis pas sûre d’avoir tout à fait la réponse à cette question. Je pense que nous, ce qu’on essaye de faire, c’est de garder notre sérieux, d’essayer de proposer des expositions de qualité, de ne pas renier sur la qualité sous prétexte de difficulté, de ne pas aller vers la facilité de choses plus commerciales. C’est vraiment une question que l’on se pose tous les jours. Par ailleurs une petite structure comme la nôtre à des frais fixes assez modérés. De plus nous pouvons nous appuyer sur une base de collectionneur.euse.s qui sont des passionné.e.s, qui ne s’souscrivent pas à des pratiques spéculatives. Finalement, je ne suis pas sûre que notre base de collectionneurs, ait vraiment tant évolué depuis quelques mois. Je pense même qu’elle est restée relativement similaire.

Et puis vous êtes très internationaux, ce qui joue aussi sur l’impact et de développement de la galerie 

Oui, tout à fait. La plupart des artistes que nous représentons sont des personnes qui ne sont pas français.es et peu basé.e.s en France. Cela nous permet de toucher un public plus large qui vient des zones géographiques dont ces artistes sont originaires. On a aussi fait le choix assez rapidement de participer à des foires à l’étrange comme en Chine par exemple alors que peu de galeries émergentes s’aventuraient là-bas. Donc c’est vrai qu’on essaye d’avoir cette approche assez internationale.

Dernière question par rapport à votre parcours personnel À quel moment avez-vous décidé de vous consacrer entièrement à l’art ?  Un déclic, des rencontres décisives ?

C’est arrivé un petit peu par hasard, je dois dire, parce que j’ai commencé à faire des expositions de manière empirique, d’abord dans mon salon, alors que j’étais un peu en jachère dans un entre-deux universitaire, sans trop savoir quoi faire. J’ai proposé à plusieurs ami.e.s qui étaient de jeunes artistes qui souffraient d’un manque de visibilité de participer à cette première exposition de manière très spontanée, sans aucune vision ni volonté que ça devienne un métier. Par ailleurs, comme je vous le disais au départ, la volonté commerciale du projet était excessivement limitée. Nous vendions des œuvres mais dans l’optique de pouvoir financer l’exposition suivante. Il n’y avait pas pression financière ni d’optique professionnalisante en ce qui me concerne. Je me suis alors prise au jeu et je me suis rendu compte que je préférais être au contact des artistes de ma génération plutôt qu’être dans une bibliothèque, mon projet premier étant plus orienté vers de la recherche et de l’enseignement, même s’il y a beaucoup d’appelé.e.s et peu d’élu.e.s. L’idée de la galerie a germé au fur et à mesure de mes échanges avec les artistes, les projets d’exposition, les histoires que nous racontions.

Un programme, c’est un livre et les expositions forment l’ensemble des chapitres d’une histoire que l’on raconte à notre public, plus ou moins sensible à une histoire ou à une autre. Du coup on essaye d’avoir suffisamment de variété, d’avoir de temps en temps un peu d’action, beaucoup de poésie, d’interroger les choses de manière plus politique, même si on raconte toujours une histoire. La galerie a évolué de manière assez organique tout d’abord dans mon salon, puis de façon nomade, même si changer de lieu à chaque fois, condamnait à quelque chose de l’ordre de l’urgence, peu confortable pour les artistes qui ne pouvaient pas anticiper et donner lieu à leur créativité. Ils se trouvaient enfermés en quelque sorte pour répondre à plusieurs types d’espaces et toujours à la dernière minute. De plus financièrement ce modèle ne tenait pas la route vis-à-vis des collectionneurs qui ne nous prenaient pas vraiment au sérieux. 

Pour pouvoir accompagner les artistes dans la production d’œuvres, dans des projets institutionnels, dans les étapes impactantees de leur carrière et élargir notre base de collectionneur.euse.s, nous avons décidé d’ouvrir une véritable galerie en 2019 avec une adresse fixe, des horaires d’ouverture… Il n’y a donc pas eu d’évènements marquants ou de rencontres décisives en ce qui me concerne et je n’avais pas d’expérience en galerie avant de commencer à organiser des expositions. Au final (sans titre), s’est construit, un peu en marge du monde des galeries pour finir par le rejoindre. 

Infos pratiques :

Art Basel Paris 

Du 23 au 26 octobre 2025 

https://www.artbasel.com/paris

Actuellement à la galerie : 

« Stargazing Masks »
a solo show by Agnes Scherer

(sans titre)

13 rue Michel Le Comte
75003 Paris, France

https://sanstitre.gallery/exhibitions/agnes-scherer-stargazing-masks-paris