Vue de l’exposition Vénus Tour, Madely Schott, Château de Servières 2025, Printemps de l’art contemporain, courtesy de l’artiste © Jean Christophe Lett
Lauréate pour la résidence de la fondation Vacances Bleues 2025, Madely Schott artiste performeuse, propose à l’occasion de la rentrée de l’art contemporain et Saison du Dessin, l’exposition Jouer l’endosymbiose. Sa récente carte blanche au Château de Servières à l’invitation de Martine Robin « Venus Tour » a eu un véritable impact sur son travail avec l’introduction d’une nouvelle technique de feutrage à l’aiguille dans une dimension performative, le dessin gardant toute sa place dans ces nouvelles explorations. Sa relecture des vénus archétypales dans une logique écoféministe pousse loin les limites des possibles. Elle revient sur cette opportunité vécue comme un véritable « parcours initiatique » dans un engagement total et le processus collaboratif au cœur des enjeux qui la traversent. Madely a répondu à mes questions.

Vue de l’exposition Vénus Tour, Madely Schott, Château de Servières 2025, Printemps de l’art contemporain, courtesy de l’artiste © Jean Christophe Lett
Marie de la Fresnaye. Quelle place le dessin occupe-t-il dans votre pratique ?
Madely Schott. Le dessin a toujours été présent dans mon travail. Pas comme une discipline en soi, mais comme un réflexe, une manière de noter des visions qui me traversent. De petits formats, rapides, bruts. C’était une pratique restée discrète, presque intime, qui servait de base à mes projets plastiques ou performatifs. Ce qui m’attire dans le dessin, c’est cette immédiateté, cette liberté qui échappe aux contraintes et aux calculs.
Depuis quelque temps, j’ai eu envie de lui donner une place plus visible. De ne plus le garder seulement en arrière-plan, mais de l’assumer comme un médium en soi. Cela m’a amenée à penser aussi le dialogue avec celles et ceux qui regardent, et la manière dont le dessin peut devenir un espace de rencontre.
Dans mes séries infinies, le processus est méditatif. Je travaille à la fois la composition globale et les détails, en pensant à la manière dont le regard circule entre une vision d’ensemble et une exploration plus fine. Ces dessins demandent du temps, une attention soutenue, et proposent une expérience où l’on peut se perdre dans les détails tout en gardant une lecture d’ensemble.
Plus récemment, j’ai ouvert un autre processus, lié à mes recherches. J’élabore des compositions qui rendent visible ma manière de penser en arborescence. Ici, le geste est plus rapide, plus brut. Il ne s’agit pas de tout maîtriser, mais de laisser apparaître le foisonnement, la vitesse de la pensée, les connexions qui se font librement. Ce travail transmet une autre dimension : celle d’une pensée émancipée, qui se déploie sans contrainte et ouvre l’imaginaire.
C’est pour tout cela que je reviens toujours au dessin : parce qu’il reste une pratique immédiate et intime, mais qui me permet aussi d’ouvrir de nouveaux récits par le geste, la matière et la couleur.

Vue de l’exposition Vénus Tour, Madely Schott, Château de Servières 2025, Printemps de l’art contemporain, courtesy de l’artiste © Jean Christophe Lett
MdF. Vous participez à la Saison du Dessin avec l’exposition résidence Fondation Vacances Bleues : Quelle est l’origine de ce projet ? Qu’allez-vous présenter à cette occasion ?
MS. La Fondation Vacances Bleues, où je suis en résidence depuis février, entretient depuis longtemps des liens étroits avec le salon du Dessin. C’est donc assez naturellement qu’est née l’idée d’organiser une exposition dans mon atelier pour la Saison du Dessin 2025.
J’ai choisi de l’intituler Jouer l’endosymbiose. L’exposition rassemblera des œuvres anciennes, récentes et inédites, en mêlant différentes manières de pratiquer le dessin : sur papier bien sûr, mais aussi à travers ma nouvelle technique de feutrage à l’aiguille.
Ce qui m’intéresse, c’est de montrer comment, d’un projet à l’autre, des liens et des ponts se créent, comme une histoire infinie qui s’enrichit à chaque étape. Ici, l’accent sera mis sur le narratif de l’endosymbiose — cette image de deux organismes vivants, dont l’un est contenu dans l’autre. Pour moi, c’est une belle métaphore du vivant, et une façon d’ouvrir à d’autres formes de physicalité, de ritualité et de relation à l’environnement. C’est aussi une manière de repositionner nos corps dans le vivant.

Vue de l’exposition Vénus Tour, Madely Schott, Château de Servières 2025, Printemps de l’art contemporain, courtesy de l’artiste © Jean Christophe Lett
MdF. L’exposition Venus Tour à l’invitation de Martine Robin s’est achevée à Château Servières : en quoi est-elle l’aboutissement de liens profonds avec PAREIDOLIE dont vous étiez l’artiste invitée en 2024 ?
MS. En tant qu’artiste invitée pour Paréidolie 2024, j’ai bénéficié d’une résidence croisée à Amiens, en partenariat avec le Château de Servières, le Frac Picardie, la Galerie Totem et la Briqueterie. C’est au musée de Picardie que j’ai découvert les Vénus paléolithiques. Je les ai redessinées, en y inscrivant un manifeste poétique autour du « nous ».
Lorsque Martine Robin m’a proposé une carte blanche à Château Servières, j’ai eu envie de prolonger cette recherche en la déplaçant vers le volume et l’installation textile. J’expérimente depuis longtemps différentes techniques liées au textile, où le processus lui-même — apprendre un geste, répéter, transformer la matière — prend une dimension performative, presque rituelle. Pour cette exposition, j’ai voulu réaliser des Vénus paléolithiques en volume, à taille humaine, par la technique du feutrage. J’ai été formée par Émilie Olivier (La Fée Capeline, association Va Savoir), feutrière, qui a adapté sa transmission à mon projet. Il me paraissait juste de reprendre une technique ancestrale et d’en exploiter aussi les vertus poétiques et métaphoriques de la laine, protectrice et isolante.
Il y a d’ailleurs dans l’ensemble de mes projets un même fil : travailler l’imaginaire comme un espace de protection et de déplacement, où chaque figure ou matériau devient à la fois une armure et une ouverture vers d’autres possibles.
L’exposition s’est construite comme un parcours initiatique. J’ai voulu donner une fécondité nouvelle à ces Vénus spirituelles, presque comme un vœu pour que la part féminine de notre société puisse enfin trouver sa place. Les thématiques restaient les mêmes : une vision parfois dystopique, mais toujours traversée par des portails vers l’imaginaire. Le spectateur était directement impliqué : les Vénus étaient reliées à des masques clitoridiens, utérins, nuageux ou grotesques, dans lesquels chacun·e pouvait passer la tête et entrer en relation avec elles et leur message.
On retrouvait également mes motifs récurrents, comme la déesse-âne qui traverse mes projets. Enfin, j’ai voulu ramener le dessin dans ces volumes textiles : le feutrage au savon construit le corps, tandis que le feutrage à l’aiguille me permet de dessiner directement sur leur surface, comme un tatouage, inscrivant définitivement le récit sur leur peau.

Vue de l’exposition Vénus Tour, Madely Schott, Château de Servières 2025, Printemps de l’art contemporain, courtesy de l’artiste © Jean Christophe Lett
MdF. Quel bilan faîtes-vous de cette expérience ?
MS. Cette expérience a été à la fois un défi et une source d’excitation. J’ai beaucoup aimé le processus, l’exigence constante, et le rythme intense de ces cinq mois de création. C’était aussi une réelle chance d’avoir un solo show dans un lieu que je fréquente depuis mon arrivée à Marseille il y a neuf ans, où j’ai toujours vu des expositions de grande qualité.
La confiance de Martine Robin a été essentielle : elle m’a permis de déployer mon travail dans toute sa diversité de médiums, avec des échanges constructifs et une véritable osmose autour de la scénographie. C’était une manière très valorisante de voir mon travail pris en compte dans sa globalité.
J’ai aussi appris une nouvelle technique, approfondi le narratif, cherché une cohérence dans le parcours qui résonne avec ce que je voulais transmettre. Réaliser tout cela en cinq mois a demandé un engagement total, mais c’est exactement ce que je recherche dans ma pratique : être en évolution constante, continuer à apprendre, creuser plus loin, et trouver ce dépassement qui ouvre sur d’autres horizons — absurdes parfois, poétiques, teintés d’humour mais portés par un grand sérieux, sur l’ouverture de l’ailleurs.
MdF. Comment avez-vous transposé ces vénus millénaires dans une perspective d’émancipation ?
MS. En découvrant les Vénus paléolithiques à Amiens, je n’ai pas voulu les traiter comme des icônes figées de la fertilité, mais comme des figures actives, capables de porter encore aujourd’hui des récits d’émancipation. Elles sont anthropomorphiques, ambiguës : à la fois féminines, parfois phalliques, elles brouillent les assignations. C’est cette tension qui m’intéresse, parce qu’elle permet de sortir d’une lecture réductrice et de les envisager comme des corps-énergies.
J’ai cherché à les transposer dans un autre médium, le feutrage. Le processus est en deux temps. D’abord le feutrage au savon, qui compacte et construit le volume, presque comme si le corps de la Vénus se formait dans mes mains. Ensuite le feutrage à l’aiguille, qui vient inscrire le dessin à même la fibre, comme un tatouage. Masser, tatouer : ce double geste m’a paru essentiel. C’est à la fois un soin et une trace, une manière de donner au corps une peau qui porte le récit.
Cette transposition m’a permis de déplacer le sens. Au lieu de rester sur l’idée de fécondité biologique, je propose une autre fécondité : spirituelle. Celle d’un pouvoir de donner naissance à une pensée différente, libre, émancipée, qui accueille les émotions et les contradictions. C’est aussi une manière de relier ces figures à nos questionnements contemporains : comment repenser nos fondements dans un monde anthropocène, comment se donner la possibilité d’être autre.
Je joue volontairement des formes ambivalentes. Certaines Vénus paraissent proches de celles que l’on connaît, d’autres s’en éloignent, deviennent hybrides, instables. L’enjeu n’est pas de reproduire une icône mais de les faire glisser vers un autre espace de sens, où elles agissent comme des présences. Des présences qui engagent le regard, mais aussi le corps du spectateur, par des dispositifs qui sollicitent physiquement.
C’est là que se joue pour moi l’émancipation : dans la possibilité de traverser ces figures non pas comme des objets du passé, mais comme des catalyseurs qui déplacent, qui secouent, et qui ouvrent la voie à d’autres formes de pensée et d’expérience.

Madely Schott, les ateliers Lautard, Espaces Hybrides, Hangar Belle de Mai
MdF. La collaboration est au cœur de votre processus créatif, notamment avec des artisanes : pouvez-vous nous dire comment cela se traduit ?
MS. J’ai longtemps travaillé en collectif ou en duo, avec des projets solo ponctuels. C’était une manière de questionner l’identité de l’artiste, de réfléchir à la création comme espace possible d’utopie, et de tester d’autres façons de faire communauté. Ces expériences ont été très riches, mais elles ont aussi montré les difficultés et les limites du collectif. Elles m’ont amenée à interroger les raisons de ces échecs répétés.Depuis trois ans, je poursuis mon travail en solo, en approfondissant ma pratique plastique, notamment autour du dessin et du textile, tout en développant des installations qui engagent aussi le corps du spectateur comme acteur de la performance. Mais mon désir de collaboration est resté fort. Aujourd’hui, je l’oriente vers la rencontre avec des artisan·es, comme Hélène, teinturière en bleu d’Amiens, ou Émilie Olivier, feutrière. Avec elles, il s’agit moins de “faire collectif” que d’inventer une autre manière de faire ensemble, dans l’échange, l’apprentissage, et la mise en valeur d’un savoir-faire précieux.
MdF. Implantée à Marseille, que représente pour vous cette ville ?
MS. J’aime vivre à Marseille. La scène artistique y reste accessible, ouverte, avec une vraie confiance et une capacité à prendre des risques. C’est une ville que je ressens comme très cousine de Bruxelles, où j’ai vécu sept ans. Je suis addicte aussi la vision de l’horizon, au bleu et au nettoyage interne du zef , les baignades qui me permettent de décompresser.
Mais aujourd’hui j’ai un désir intense d’aller nager vers cet horizon, et pour repousser ses limites.
Infos pratiques :
Jouer l’endosymbiose
Atelier-résidence
du 29 Août au 15 Septembre 2025,
Fondation Vacances Bleues
(parcours VIP art-o-rama et Paréidolie)
32 Rue Edmond Rostand, 13006 Marseille
https://www.instagram.com/fondationvacancesbleues
https://www.vacancesbleues.fr/fr/nous-connaitre/la-fondation-vacances-bleues/le-mecenat-artistique
PARÉIDOLIE –
Salon international du dessin contemporain
29, 30 et 31 août
Salson du Dessin
Marseille et arc méditerranéen
https://pareidolie.net/La-Saison-du-Dessin
Site de Madely Schott :
Relire mon interview avec Martine Robin, directrice Château de Servières (lien vers)
Relire mon interview avec Hélène Arnaud Rouèche, présidente Fondation Vacances Bleues (lien vers)