Jérémie Setton, Deuxième Génération, Saut en hauteur 2023 Dessins à l’eau et savon d’Alep sur panneau de placoplatre et hydrofuge courtesy l’artiste
La prochaine édition de PARÉIDOLIE, réunissant 17 galeries française et internationales du 29 au 31 août, véritable temps fort de la rentrée de l’art à Marseille suivi de la Saison du Dessin, a comme artiste invité Jérémie Setton. Révélé en 2010 lors de l’exposition que lui consacre Martine Robin au Château de Servières, il a depuis développé un ancrage à Marseille et dans la région autour d’un travail entre peinture et dessin, mémoire, apparition et disparition, la lumière jouant un rôle de révélateur. Il nous détaille les séries exposées à cette occasion, d’une part autour de fragments d’images d’archives familiales et d’autre part d’empreintes réalisés à partir de pâte à papier, toujours dans une même recherche de ce qu’il peut y avoir de graphique dans des gestes périphériques. La matérialité du support et les phénomènes de perception sont au cœur de sa démarche volontairement hybride. Jérémie revient sur les différentes étapes de son parcours et le dynamisme de la scène marseillaise alors qu’il prépare une prochaine exposition au centre d’art la Halle des Bouchers (Vienne). Autre projet marquant : sa première monographie à paraître chez Manuela Éditions. Il a répondu à mes questions.
Jérémie Setton est titulaire des ateliers de la Ville de Marseille en 2012, puis lauréat du prix Résidence de l’exposition Jeune Création au Cenquatre à Paris. En 2013 il est présenté au showroom d’Art-o-rama à Marseille, puis part en 2014 en résidence de recherche à la Fondation Josef et Anni Albers aux Etats-Unis ainsi qu’en résidence de création à Ho Chi Minh Ville au Vietnam. Deux ans plus tard il réside plusieurs mois à Essen en Allemagne où une importante exposition personnelle lui est consacrée
Ses œuvres font partie de différentes collections publiques et privées. Son travail a été présenté dans différentes galeries, centres d’art, musées et institutions en France et à l’international. Depuis 2019 il est professeur d’enseignement artistique à l’Ecole Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence.

Jérémie Setton, Sans-titre, 2025 série Migrations Pierre noire sur papier torchon, courtesy de l’artiste
Marie de la Fresnaye. Vous êtes l’artiste invité de PARÉIDOLIE 2025 : comment avez-vous accueilli cette proposition ? quel projet présentez-vous à cette occasion ?
Jérémie Setton. J’ai été très heureux de cette invitation qui me permettait de travailler à nouveau avec Martine Robin que je connais bien depuis l’exposition au Château de Servières en 2010 suivi par les Ateliers de la Ville de Marseille en 2013. Cela faisait un moment que nous n’avions pas développé de projet ensemble et cette invitation nouvelle permettait de renouveler ce partenariat très fort et impactant à l’époque, Martine ayant été à l’origine de la première visibilité et révélation de mon travail. C’est ce qui a enclenché la suite de mes projets à Marseille.
A l’occasion de PARÉIDOLIE cette année, j’ai choisi de montrer deux séries et un grand dessin plus indépendant. Je suis encore en phase de simulation de l’accrochage avec une maquette à l’échelle 1 dans l’atelier pour voir comment l’ensemble va cohabiter. La première série est rigoureusement du dessin c’est-à-dire de la pierre noire sur un papier très granuleux. Un clair-obscur au sens classique du terme grâce au noir de la pierre. Intitulée Migration, elle est constituée à partir de fragments de documents d’identité, des photos qui avaient été arrachées et que j’ai retrouvées dans des archives familiales. J’ai été fasciné par ces lambeaux de papier qui gardaient la trace de certificats de réfugiés de mes grands-parents qui ont quitté l’Égypte en 1956 pour se retrouver apatrides en France, mon père étant enfant à l’époque. C’est par hasard que je suis tombé sur ces enveloppes de photos relativement anodines mais de différentes périodes. Comme je travaille autour des notions de mémoire du XXème siècle venant d’une famille éclatée de plusieurs pays de la Méditerranée, ces photos m’importaient particulièrement et ce qui m’a intéressé et a joué un élément déclencheur est le gaufrage du papier de ces photographies par des tampons qui créent des micro- volumes, des micro-reliefs que j’ai décidé de regarder à une lumière rasante très forte. En mettant en relief ces tampons, cela fait disparaitre légèrement l’image. C’est la même méthode d’analyse que j’utilisais dans ma première vie de restaurateur de tableaux. Cette lumière rasante permettant de faire ressortir non plus l’image ou la peinture mais la matérialité, la physicalité du support et de la couche picturale. Tous les défauts, les micro-épaisseurs ressortent, les craquelures, les déformations .. Un petit pas de côté qui permet de regarder une image non plus pour ce qu’elle est mais pour ce qu’elle devient comme le ferait un enquêteur qui révèle l’identité du document lui-même, son histoire physique. Le tampon en l’occurrence se met en relief très fortement et apparaissent alors les aspérités… Je suis intéressé autour des liens entre dessin et peinture par le biais de la question du réel et de sa représentation. Il y a souvent des va-et-vient entre des choses très planes et des micro-épaisseurs comme si l’image sortait de sa planéité pour aller vers l’épaisseur du réel.
Ce que j’aime avec le dessin est de chercher sa grammaire, chercher ce qui reste du dessin quand cela ne donne plus l’impression d’en être, ce qu’il y a de graphique dans des gestes périphériques.
L’autre série est plus expérimentale et récente tout en faisant écho à la première sans être une figuration dessinée avec les outils traditionnels du dessin. J’ai réalisé des empreintes dans de la pâte à papier de micro-éléments architecturaux (sols, murs, façades) à des endroits que j’estime être du dessin : un trou, une bosse, un creux, une fissure. Une fois sec je me retrouve avec cette forme étrange que l’on distingue mal à l’œil nu sur ce blanc uniforme que je viens recouvrir d’une couche de peinture ombre, colorée, foncée. Je cherche ensuite la valeur de lumière de cette ombre que je viens saupoudrer en pigments sur mes papiers à empreintes. Le saupoudrage avec la verticalité et la gravité devient une sorte de puits de lumière qui vient s’accrocher aux aspérités. Un peu comme avec la lumière rasante des images d’archives. Ce sont des dessins que j’appelle corpusculaires, ces grains de pigments qui viennent accrocher la surface et agissent comme des photons à partir de la nature à la fois corpusculaire et ondulatoire de la lumière. La lumière est pour moi en tant que peintre et dessinateur comme de la matière. Un phénomène beau et troublant : des apérités éclairées alors que la lumière vient de l’intérieur. En termes d’accrochage, je cherche à les faire pivoter sur le mur jusqu’ à trouver le meilleur endroit où ils réagissent avec la lumière réelle de l’espace d’exposition dans un jeu avec la lumière saupoudrée.
Jérémie Setton, Le Bureau, Acrylique et pastel sur mur et moquette, objets, ampoule halogène, Exposition Château de Servières 2010
MdF. Si votre exposition au château de Servières en 2010 à l’invitation de Martine Robin a été un élément déclencheur dans votre parcours, il s’y jouait aussi des phénomènes d’effacement, d’apparition et de disparition, comment cela résonne-t-il ?
JS. En effet car c’est à l’occasion de cette exposition au Château de Servières fin 2009, début 2010 que j’ai réalisé l’installation intitulée le Bureau dans laquelle des objets du quotidien réagissaient à une seule grande ampoule dans une pièce entièrement peinte en rouge. J’avais passé le temps de l’exposition à effacer les ombres portées de tous les objets en cherchant ce que j’appelais alors l’anti-couleur, c’est-à-dire l’ombre éclaircie jusqu’à sa propre disparition du regard. La conséquence pour le public était lors de son déplacement dans l’espace, de révéler toutes les ombres manquantes par sa propre ombre. Ce travail était très important pour moi dans l’ambition de déplacer la peinture de l’espace réel et fantasmatiquement entrer dans le tableau en quelque sorte. Les objets semblaient flotter en annulant la profondeur de l’espace.

Jérémie Setton Dessins après Facing Traces 2014, Fusain sur papier courtesy de l’artiste
MdF. Ce projet vous a permis une véritable visibilité à Marseille, comment définirez-vous cette scène, cette dynamique, cet écosystème ?
JS. En termes de visibilité en effet cette exposition a été un jalon essentiel pour faire connaitre mon travail. Cela a été un détonateur pour toute la suite de mon parcours et aujourd’hui j’enseigne à l’École Supérieure d’art d’Aix.
En ce qui concerne la scène artistique de manière plus globale, elle se développe et se bonifie avec les années, à partir notamment de 2013, période où j’ai eu la chance d’être titulaire des Ateliers de la Ville. Grâce à Marseille Capitale la ville s’est transformée. Art-o-rama a aussi été un élément impactant et j’ai pu être exposé avec le Show Room en 2012 alors que la foire démarrait. Chaque année cela prend de l’ampleur et les deux salons art-o-rama et Paréidolie attirent de plus en plus de collectionneurs et d’institutionnels. En tant qu’artiste, il est assez génial de vivre à Marseille et j’ai la chance d’avoir un bel atelier, les prix le permettant même si c’est en train de changer. Le revers de la médaille est une situation devenue plus compliquée, les jeunes artistes ont plus de difficulté à trouver des ateliers. Il y a eu Berlin à une époque, Bruxelles et Marseille, à présent, deux villes très attractives.
MdF. Vous préparez une exposition au centre d’art La Halles des Bouchers, pouvez-vous nous en dévoiler les contours ?
JS. Elle se tiendra en décembre 2025. J’ai été invité par la commissaire indépendante Anne Favier plutôt liée au départ à la scène de Saint-Etienne. C’est un lieu que je connaissais de réputation sans l’avoir jamais visité et lors de ma découverte j’ai été fasciné par son architecture de voutes et d’arcades. Il n’est pas forcément facile mais intéressant à aborder. J’ai d’ailleurs développé cette question de la lumière rasante à partir de ce projet d’exposition qui s’appellera vraisemblablement grazing light, la traduction anglaise ajoutant des nuances intéressantes. Ces nouvelles séries inaugurées à PARÉIDOLIE trouveront ainsi un prolongement à la Halle des Bouchers. Les notions de lumière et de temporalité vont être très présentes.
MdF. Vous avez comme autre projet, une monographie, quels enjeux ?
JS. Je prépare cette monographie qui sera publiée chez Manuela éditions, éditrice parisienne que j’apprécie. Cet ouvrage de 250 pages environ retracera la majeure partie de mon travail depuis ces 15 dernières années, depuis le Bureau précisément. Une exposition qui reste inaugurale et décisive, 2010 étant ce passage du tableau vers le réel marquant la maturité de mon travail. C’est ce que je souhaite transposer dans ce livre. En termes de contribution, elles sont assurées par la commissaire Anne Favier, le philosophe Florian Gaité et l’historienne Anne Bernou.
Jérémie Setton en écoute FOMO_Podcast 🎧
Jérémie Setton, Sans-titre, 2025 série Migrations Pierre noire sur papier torchon, courtesy de l’artiste
Infos pratiques :
PARÉIDOLIE
Salon international du dessin contemporain
29, 30 et 31 août
HORAIRES D’OUVERTURE
VENDREDI 14h > 21h
SAMEDI 11h > 19h
DIMANCHE 11h > 19h
Entrée 5€
Salson du Dessin
Marseille et arc méditerranéen
https://pareidolie.net/La-Saison-du-Dessin
Site de Jérémie Setton :