Les 15 ans du Centre Pompidou-Metz « Copistes » avec le musée du Louvre, « Dimanche sans fin », Maurizio Cattelan : Interview Chiara Parisi, directrice 

Claire Tabouret, « Le Voeu à l’amour », 2025 Acrylique sur tissu, 260 x 399 cm (3 panneaux de 260 x 133 cm) Copyright © Claire Tabouret

A l’ère des phénomènes de la reproductibilité de l’œuvre d’art, la notion de copie est devenue un totem de la culture visuelle. Interrogeant ses mécanismes de création et de diffusion, le Centre Pompidou-Metz en collaboration exceptionnelle avec le musée du Louvre, dernier musée titulaire d’un bureau des copistes, invite les artistes de notre temps à s’emparer de l’ensemble de ces collections patrimoniales uniques au monde pour aller puiser dans ces images sources, opérant non plus un acte de prédation mais de métamorphose. Chiara Parisi, directrice du Centre Pompidou Metz et Donation Grau, conseiller pour les programmes contemporains au musée du Louvre, à travers ce projet hors-norme à la fois subversif et radical, soulignent la très grande vitalité et puissance de la peinture dans ce qui ressemble à une traversée transhistorique, agissante et silencieuse, « una cosa mentale » pour rependre la célèbre citation de Leonard de Vinci, l’un des artistes fréquemment convoqués au même titre que Chardin, Ingres ou Delacroix. La scénographie volontairement flottante laisse libre cours à l’imaginaire du visiteur qui compose et décompose sa grille de lecture à l’infini. 

Chiara Parisi au sommet de son art, propose en parallèle à l’occasion des 15 ans du Centre Pompidou Metz, une carte blanche à l’artiste Italien Maurizio Cattelan qui signe « Un dimanche sans fin » à partir d’un dialogue avec les collections du Centre Pompidou Paris, bientôt fermé pour d’importants travaux. Des œuvres iconiques comme le jeu d’échec de Duchamp ou l’atelier d’André Breton dessinent des constellations avec d’autres installations emblématiques de Cattelan comme cette main géante aux doigts coupés à l’exception du majeur « L.O.V.E. », le grand squelette de chat  façon Diplodocus « Félix », la série des chevaux naturalisés et encastrés dans le mur « Kaputt », la « mère de l’artiste » enfermée dans un frigidaire, sans oublier, « Comedian » la banane scotchée au mur, ultime fétiche récupéré par le marché et entré dans la légende. Génie iconoclaste ? Pas seulement souligne Chiara Parisi pour qui cet abécédaire tend un miroir à des obsessions à la fois intimes et universelles, les deux expositions « Copistes » et « Dimanche sans fin » se rejoignant autour d’un dialogue interrompu sur l’autoportrait. Elle a répondu à mes questions. 

Marie de la Fresnaye. Quelle a été votre méthode de travail avec Donatien Grau ?

Chiara Parisi. Cela a été comme une conversation expérimentale ininterrompue. Nous nous connaissons depuis un moment avec Donatien et échangeons souvent même si c’est la première fois que l’on travaille ensemble autour d’une exposition. L’idée première est de réunir le Centre Pompidou-Metz et le musée du Louvre de façon tout à fait exceptionnelle à partir d’œuvres de générations et d’époques différentes selon une approche poreuse et non figée. Nous partageons une même mission avec le musée du Louvre autour du patrimoine et si notre matière reste le présent, il ne vient pas de nulle part. C’est ce double ancrage qui anime nos métiers. Nous avons sollicité Donatien Grau autour de l’idée d’une carte blanche lancée aux artistes de se mettre au défi de copier une œuvre du Louvre, la copie étant envisagée dans un sens positif et non négatif. Pouvoir explorer la collection la plus extraordinaire au monde d’art ancien, parcourir les réserves, traverser le Louvre de jour comme de nuit … a été une proposition très stimulante pour les artistes. 

Notre méthode de travail a consisté à composer une liste idéale puis à partir d’un jeu de ping-pong et d’aller et retour entre nous, de circonscrire à une centaine d’artiste à partir de découvertes réciproques.  Afin de garder une totale liberté, nous avons éliminé le principe de présenter simultanément l’œuvre copiée aux côtés de l’œuvre source. Sinon cela aurait enfermé la créativité et l’imaginaire. Il s’agit au contraire d’entrer dans le parcours créatif d’un artiste, comme de traduire une œuvre littéraire, pour laisser une individualité s’exprimer. 

Georges Adéagbo, « Louvre Remix », 2025
© Adagp, Paris, 2025 / Courtesy the artist and Mennour, Paris / Photo : © Archives Mennour, Paris

MdF. La copie soulève un certain nombre de questions autour de la valeur de l’œuvre, sa nature, sa circulation mais également dans le domaine politique et géopolitique 

ChP. En effet. On considère qu’une copie a moins de valeur qu’un original même si la transformation opérée lui confère un nouveau statut, une autre valeur et d’ailleurs les artistes contemporains peuvent avoir une côte bien plus importante que ceux qui les précède. La copie devient également un objet politique. Par exemple la Vierge Marie  revêt une autre attitude, la figure de l’Ange n’a plus la même mission, le Bain Turc prend une connotation émancipatrice. La copie est un processus actif. Au-delà d’une exploration de la technique, il s’agit d’intervenir dans l’histoire dans un processus à rebours.

MdF. L’œuvre de Jeff Koons, « Sleeping Hermaphrodite » ouvre le parcours, un archétype qui renvoie au désir et à votre exposition sur Lacan 

ChP. Elle incarne la puissance du désir. On imagine très bien Jeff Koons allant au musée du Louvre et s’approchant de l’Hermaphrodite endormi, œuvre extraordinaire, elle-même copie romaine d’un original grec sur l’intervention du grand sculpteur Bernin qui, à la demande du cardinal Borghèse, conçoit le matelas sur lequel repose la sculpture, soulignant toute la complexité du Vatican, commanditaire. Si l’Hermaphrodite est intacte et réalisé faussement à l’identique, Jeff Koons y appose ces sphères colorées autour de la sensualité. Par des effets de scénographie voulus, un regard oblique se joue avec l’artiste japonais Takesada Matsutani qui offre une autre réponse à l’Hermaphrodite dans un geste essentiel de peinture.  Se dessine alors la position occidentale vis-à-vis de l’érotisme et du mythe gréco-romain face à la position orientale plus dans la contemplation. L’artiste Bracha L. Ettinger d’après la Vierge aux rochers est également passionnante dans une vision de l’ange réparatrice. A l’arrivée de cette boite violette en soie, nous étions émus face à ce paysage de Leonardo de Vinci. 

C’est ce que réussit à montrer cette exposition je trouve : l’histoire de l’art est une réinterprétation, une façon de créer un autre monde. 

Nina Childress, "Dame after Clouet", 2025  Acrylique, pigments iridescents et phosphorescents, peinture aérosol, huile, huile interférence sur toile, cabochons plastique et cristal, colle époxy, 210 × 150 cm Nina Childress

MdF. Ce qui se joue également est cette pluralité d’écritures autour de la peinture 

ChP. C’est toute la vitalité de l’art contemporain avec des artistes peintres qui osent autre chose que la peinture, se libèrent en choisissant la sculpture, d’autres se lancent dans des techniques nouvelles, les fresques. Il y a une grande liberté de réponse. On doit tout aux artistes, nous le savons et encore plus dans les musées où nous avons ce privilège de cheminer avec eux.

MdF. Penchons nous sur l’artiste Nathanaëlle Herbelin et les Portraits du Fayoum 

ChP. Nous voyons comme une petite table qui ressemble à une sorte de lit funéraire avec des figures masculines et féminines et ce l’on peut remarquer ou non, le geste qui n’était pas prémédité et qui est plus fort que l’artiste, un écart face à la copie originelle. 

MdF. Agnès b est également copiste !

Ch P. Cela rejoint la présence de la mode dans l’exposition. Elle a choisi « l’Homme au gant » de Titien. Elle décide de transposer le portrait en vêtement qu’elle photographie ensuite. Cela montre une autre originalité de la créatrice qui connait très bien la photographie. Elle s’inscrit dans la démarche d’un jeune designer qui s’inspire de l’histoire de l’art pour ses collections, comme avec Yohji Yamamoto qui s’inspire du « Portrait d’homme au pourpoint entrouvert » de Lucas Franchoys.

MdF. Comment le catalogue se veut-il un prolongement de l’exposition ?

ChP. C’est un outil de travail et de diffusion très important pour nous. Nous nous sommes posé la question de la reproduction de chaque œuvre accompagnée du texte, ce qui n’était pas possible. Nous avons plutôt privilégié le texte de chacun des artistes en regard de l’œuvre choisie. Selon la proposition du duo M/M, son format assez petit et léger permet de le prendre facilement avec soi.

Maurizio Cattelan, « Not Afraid of Love », 2000
Polyester styrene, résine, peinture, tissu, 205 x 312 x 137 cm
Courtesy Maurizio Cattelan’s Archive
Photo : © Attilio Maranzano

MdF. Le projet de Maurizion Catellan à l’occasion des 15 ans du Centre Pompidou 

ChP. Les équipes du Centre Pompidou Paris ont été très généreuses autour de cet artiste fascinant. Non seulement artiste, il est aussi le co-commissaire de l’exposition. Il est venu à plusieurs reprises ici et est resté pendant les 15 jours de préparation de l’exposition, visionnant l’ensemble des 120 000 pièces de la collection. Il a créé son univers à partir de la notion d’abécédaire revisitée. Il a une capacité à recréer son histoire en permanence. Il a parcouru la collection en choisissant les œuvres les plus en phase avec le temps présent et en rapport à son œuvre personnelle, aucun artiste ne pouvant se détacher de lui-même. Ensemble, nous avons composé cette exposition « Dimanche sans fin » que nous adorons et qui attire de nombreux visiteurs régionaux et parisiens, le dimanche étant une journée très paradoxale entre contrainte et liberté. 

Maurizio Cattelan, "The Wrong Gallery", 2025, *Stadium*, 1991 et *Morning*, 2021   
Courtesy Maurizio Cattelan’s Archive
Copyright : Photo : © Centre Pompidou-Metz / Marc Domage / 2025 / Exposition Dimanche sans fin

MdF. En quoi la question de l’autoportrait réunit-elle les deux expositions ? 

ChP. C’est un thème essentiel chez Maurizio Cattelan, même lorsqu’il ne représente pas son visage directement. 

Les deux expositions se parlent en effet comme souvent dans notre programmation même si cela n’apparait pas immédiatement, des dialogues se jouent. L’exposition Copistes déroule un grand autoportrait, celui d’une scène internationale, connue ou non, chaque artiste ayant réalisé un autoportrait de lui-même, quant à Dimanche sans fin c’est comme une série de tiroirs du corps de l’artiste que l’on ouvre avec la section « A comme famille », « Nous les animaux »…, reconstituant ainsi la personnalité de Cattelan, l’un des plus grands artistes du XXIème siècle. 

En écoute Chiara Parisi FOMO_Podcast 🎧

https://soundcloud.com/user-283757576/chiaraparisi

Portrait de Chiara Parisi, directrice du Centre Pompidou-Metz photo Karim Siari

Catalogue Copistes sous la direction de Donatien Grau et Chiara Parisi. Éditions du Centre Pompidou-Metz. 512 pages, 25 €. Ouvrage disponible à la librairie-boutique

Catalogue Maurizio Cattelan : mode d’emploi pour un dimanche sans fin. Éditions du Centre Pompidou-Metz. 304 pages, 39,00 €. Ouvrage disponible à la librairie-boutique.

Infos pratiques :

Copistes, en collaboration exceptionnelle avec le musée du Louvre 

Jusqu’au 2 février 2026 

Dimanche sans fin, Maurizio Cattelan et la collection du Centre Pompidou 

Jusqu’au 2 février 2026 

Centre Pompidou-Metz

1 parvis des Droits de l’Homme, Metz

Fermeture hebdomadaire le mardi

https://www.centrepompidou-metz.fr/fr