Silvana Mc Nulty, photo Aurélien Mole
Dans le prolongement de l’exposition emblématique du Crédac dédiée à l’artiste britannique Derek Jarman, « Nature moderne » réunit des artistes dont la pratique est guidée par une pensée agissante et curatrice de la nature, des jardiniers de l’âme et de l’esprit qui prônent une forme de résistance, de résilience. Que ce soit à Prospect Cottage, ultime refuge de Jarman face à la maladie, à Los Angeles avec David Horvitz à partir des détritus de la ville, au sud de Rennes avec la forêt de Léa Muller, à Tanger avec le centre de recherche dédié aux plantes tinctoriales d’Yto Barrada ou en Sicile sur l’île de Vulcano dont la survie est rythmée par les semences de la lave avec les collectes de Noémie Sauve, entre autres formes d’expérimentations poreuses et fertiles. Les installations-assemblages de l’artiste Silvana Mc Nulty se détachent de l’ensemble en offrant une interprétation de la « Modern nature » (titre du journal intime de Jarman) sous le prisme du hasard, de la profusion, de la répétition du geste jusqu’à épuisement dans des mises en tension. L’envie d’en savoir plus sur son parcours entre Amsterdam et la France, ayant commencé par l’apprentissage de l’art du bijou. À partir de l’opportunité offerte par l’exposition et ses échanges structurants avec Claire Le Restif, Silvana revient sur les déclics et moments décisifs qui l’ont guidée comme le Salon de Montrouge et sa rencontre avec Florence Loewy. Elle a répondu à mes questions.
Comment avez-vous accueilli l’invitation de Claire Le Restif et quelles résonnances avec les autres œuvres ?
Claire Le Restif a découvert mon travail à la galerie Florence Loewy lors de l’exposition Déborder de ses bords en septembre 2023, ensuite nous avons fait une visite d’atelier et poursuivi nos échanges jusqu’à ce qu’elle m’invite à participer à l’exposition « Une nature moderne ». J’ai immédiatement senti une résonance avec ce que je créée. Je joue avec des éléments naturels que je transforme progressivement par des gestes répétitifs, les amenant vers quelque chose de plus artificiel. Il y a dans mon geste une intervention humaine sur la matière, un peu à l’image du jardin de Derek Jarman où la nature est réorganisée, repensée. Je me suis reconnue dans cette vision de l’art comme une pratique méditative, presque thérapeutique qui m’accompagne au quotidien et me recentre. Nous en avons beaucoup discuté avec Claire Le Restif autour de ces thématiques, elle a su les faire raisonner dans la mise en espace des œuvres. Il se tisse entre toutes les oeuvres de nombreuses résonances. Parmi les œuvres qui m’ont marquée dans l’exposition, je pense à celle de Tony Matelli, deux sculptures de « mauvaises herbes » en bronze qui émergent du sol et qui jouent avec l’illusion et la perception des matériaux.

Silvana Mc Nulty, Overflow 2022-2025, fil de coton, laine, perles, métal, plastiques, caoutchouc, coquillages. Courtesy de l’artiste & galerie Florence Loewy, Paris © le Crédac / photo : Marc Domage
« Overflow » est la première œuvre que l’on découvre : qu’est ce qui se joue ?
Cette pièce est le fruit d’un processus long, de plusieurs œuvres conçues en amont sur une période de deux ans, certains récentes d’autres plus anciennes. L’ensemble fonctionne comme un assemblage dans lequel je cherche à créer une tension en réunissant des objets qui à première vue n’ont rien en commun. Le textile me permet d’instaurer un contraste, une dualité entre le mou et le solide, le naturel et l’artificiel, l’ordre et le chaos. À partir de trames composées de motifs répétitifs -lignes, points de jonction- très structurés j’introduis quelque chose de plus organique, de plus instable. La figure de l’oxymore m’accompagne de façon récurrente. Les contradictions, les contrastes et les oppositions m’animent, elles me permettent de créer du lien entre des typologies d’objets qui ne cohabitent pas.

Silvana Mc Nulty, Echœs, Fil de coton, ruban, perles, métal, plastiques, coquillages. Courtesy de l’artiste & galerie Florence Loewy, Paris © le Crédac / photo : Marc Domage
« Echœs » l’autre œuvre dévoilée, est à la fois différente et complémentaire, pouvez-vous nous la décrire ?
Echœs propose une approche plus épurée. On y retrouve par exemple un coquillage entouré de rubans bleus, évoquant une forme d’aération, de respiration. Il en émane une sensation de calme et de sérénité.
L’œuvre possède aussi une dimension plus cosmique. On y perçoit une forme d’envol, des réminiscences d’oiseaux, de planètes, une circulation d’énergie ou de mouvement.
Un aspect surréaliste peut se manifester également, notamment à travers certains objets détournés, comme cette cuillère qui semble s’envoler.
Les matériaux sont issus de la récupération, trouvés en brocante, glanés au fil du temps. Certains objets sont plus manufacturés et d’autres plus bruts.

Silvana Mc Nulty, Overflow (détail), Courtesy de l’artiste & galerie Florence Loewy, Paris © le Crédac / photo : Marc Domage
Le choix des coquillages s’explique-t-il ?
Les coquillages sont des formes qui m’intéressent particulièrement. Ils semblent capturer le temps, ils en sont en quelque sorte la trace. Je les récupère dans les poissonneries, en grande quantité, ce qui m’offre beaucoup de liberté. J’aime l’idée de travailler à partir d’un lot d’objets et d’essayer de les épuiser dans leur potentiel symbolique et formel.
Pourquoi selon vous, la présence de plusieurs outils de mesure ?
Des symboles émergent souvent inconsciemment dans mon travail. Ce n’est pas toujours une intention de départ, mais je les accueille volontiers. Mon intérêt pour les objets de mesure remonte à une période où j’étais surveillante dans un lycée. Il y avait une boîte d’objets trouvés destinée à être jetée. J’y ai récupéré de nombreux objets de mesure, un peu par hasard.
Avec le temps, j’ai pris conscience de leur portée symbolique. Comme les coquillages, ils renvoient à la notion du temps : les uns l’enferment, les autres le mesurent. Ces éléments viennent nourrir un imaginaire collectif auquel je me rattache.

Silvana Mc Nulty, Overflow (détail), Courtesy de l’artiste & galerie Florence Loewy, Paris © le Crédac / photo : Marc Domage
Comment s’est développé votre lien avec le textile ?
J’ai appris le crochet en autodidacte, je ne maîtrise qu’un seul point mais parfaitement bien !
La notion de débordement est également bien présente, comment l’envisagez-vous ?
J’entretiens un rapport assez obsessionnel à la création, je recherche l’accident qui se loge entre la répétition, l’accumulation et la variation. C’est en répétant des gestes que surgit souvent la surprise, et c’est là que je trouve du sens à ce que je fais. Comme le dit Baudelaire : « C’est dans la contrainte que la liberté surgit. »
J’aime donner à voir l’accumulation, qui renvoie aussi à la collection, à la quête. Une forme d’interdépendance entre les œuvres se créée, qui ouvre sur des narrations. Les objets, une fois privés de leur contexte et mis en relation les uns avec les autres, racontent une nouvelle histoire.
Après l’art du bijou, qu’est ce qui vous a donné envie de bifurquer vers les beaux-arts ?
Cela s’est fait très naturellement, dans un désir d’ouverture pas forcément conscientisé sur le moment. Mes différentes formations se sont révélées très complémentaires. J’ai commencé par une formation technique à Londres puis à Paris, ce qui m’a apporté une confiance assise et confiance pour intégrer une école d’art. À la Gerrit Rietveld Academie d’Amsterdam, j’étais dans une section intitulée Linking Bodies – lier les corps – avec une approche libre et expérimentale, mais reposant tout de même sur une base technique solide, grâce à des ateliers diversifiés. Ensuite, à la Haute École des Arts du Rhin (HEAR) à Strasbourg, j’ai entamé un Master 1. J’ai beaucoup apprécié le climat d’entraide entre les étudiant·e·s, ainsi que la qualité de l’enseignement technique.
Comment s’est faite la collaboration avec Florence Loewy qui vous représente ?
C’est au Salon de Montrouge que la rencontre avec Florence Loewy s’est concrétisée.
En 2023, j’ai eu la chance de réaliser une exposition personnelle à la galerie, intitulée Déborder de ses bords. C’est une très belle collaboration.
En quoi le Salon de Montrouge a-t-il été un tremplin dans votre parcours ?
J’y ai postulé juste après mes études, et le fait d’être sélectionnée parmi de nombreux·ses candidat·e·s m’a encouragée, et offert une vraie visibilité.
Quels sont vos prochains projets ?
Dans un mois, je pars en résidence à l’Atelier du Haut Anjou, un lieu de formation au tissage. J’y ai été sélectionnée suite à un appel à candidatures lancé avec l’École des Beaux-Arts d’Angers. Pendant deux mois et demi, je vais y apprendre cette technique riche en savoir-faire et en symbolique. C’est le début d’une toute nouvelle aventure.
A quand remonte votre déclic et rencontre première avec l’art ?
Petite, j’étais fascinée par les petits insectes brillants – les scarabées – et les bijoux. Ce sont mes premiers souvenirs d’émerveillement face au monde.
La suite s’est faite assez naturellement.
Silvana Mc Nulty est représentée par la galerie Florence Loewy, Paris.
Site de l’artiste :
https://www.silvanamcnulty.com
Infos pratiques :
Une nature moderne
Le Crédac
Jusqu’au 29 juin
Entrée libre
https://credac.fr/artistique/une-nature-moderne