Jean-Michel Basquiat, Andy Warhol Arm and Hammer II, 1984-1985
Acrylique, encre sérigraphique et bâton d’huile sur toile, 167 × 285 cm
Collection Bischofberger, Männedorf-Zurich, Suisse
© The Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New-York.
© The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / Licensed by ADAGP, Paris 2023
La Fondation Louis Vuitton nous a habitués aux expositions qui tutoient les superlatifs et cette réunion de deux monstres sacrés ne déroge pas à la règle autour d’un ensemble de plus de 300 œuvres jamais montrées en France et en Europe. Et c’est là qu’intervient un 3ème homme à l’origine de cette collaboration « à quatre mains », titre de l’exposition, le légendaire marchand d’art suisse Bruno Bischofberger, par ailleurs généreux prêteur à qui l’exposition rend aussi hommage. Son idée de génie est d’orchestrer un rapprochement à la Factory entre l’étoile montante du Downtown new yorkais, Jean-Michel Basquiat et l’artiste adoubé par le système mais fragilisé par l’agression de Valerie Solanas, Andy Warhol. Une rencontre décisive qui va donner lieu à une intense complicité entre 1983-1985 matérialisée par 160 œuvres à quatre mains. Wahorl d’abord un peu sceptique est vite fasciné par la fulgurance et le magnétisme de son cadet qui le jour même de la rencontre, lui envoie un double portrait intitulé Dos Cabezas avec d’un côté le pape de la Factory, croqué dans sa posture habituelle, le menton sur sa main et Basquiat, les cheveux en bataille. Le début d’une collaboration sans relâche devenant fusionnelle à laquelle Bruno Bischofberger souhaite convoquer l’artiste italien Francesco Clemente mais avec moins d’inspiration si l’on en juge les toiles réalisées à 3, façon cadavres exquis. A noter que Bischofberger expose le trio dans sa galerie de Zurich à l’automne 1984.
Si comme le souligne Dieter Buchhart, commissaire de l’exposition et citant l’emblématique musicien de Duran Duran, Nick Rodes, les collaborations en musique sont très appréciées et recherchées, il n’en est pas de même dans la sphère artiste qui préfère souvent la conception de l’artiste retranché et solitaire. D’ailleurs les critiques ne vont pas être tendres à la suite de l’exposition organisée par l’emblématique Tony Schafrazi Galery en septembre 1985 sur la suggestion de Bischofberger, Basquiat pouvant devenir une mascotte du marché grâce à son mentor qui lui a permis d’accéder à la gloire, dixit le New York Times. Cela scellera leur rupture, Basquiat se sentant de plus en plus instrumentalisé par son ainé, prenant ses distances, sans couper totalement les ponts.
Le grand mérite de cette exposition new-yorkaise reste l’affiche pour sa promotion devenue iconique représentant les deux protagonistes en tenue de boxe et que l’on doit au photographe Michael Halsband. Elle est judicieusement reprise pour la Fondation pour annoncer l’exposition actuelle. D’autres tirages sont visibles dans le parcours.
Une exposition fleuve donc marquée par des temps forts et parfois quelques longueurs, je pense notamment à la salle dédiée à la série impulsée par le logo de General Electric, emblème de l’american way of life de ces années 1950-60 et sponsor d’une émission télévisuelle très plébiscitée, présentée par Ronald Reagan, dont le profil intervient dans plusieurs œuvres. Contrairement à l’habitude, les œuvres sont débutées par Basquiat qui reprend à son compte la sérigraphie warholienne en y apposant des notes sombres autour du racisme dont lui-même a été victime. Une œuvre clé ouvre le parcours et permet de comprendre les mécanismes de leur collaboration : Arm & Hammer II, reprenant le logo d’un fabricant américain de produits d’hygiène dédoublé en sérigraphie par Warhol sur fond d’acrylique doré, clin d’œil à sa fascination pour les icones byzantines, vues petit à la messe avec sa mère Julia Warhola, qu’il transpose aux icônes d’alors comme Marilyn Monroe (Golden Marilyn). Basquiat va y apporter sa touche en occultant une partie du fond du logo de gauche pour y apposer le portrait du musicien de jazz Charlie Parker avec la mention intentionnellement barrée pour la rehausser, selon sa marque de fabrique « 1955 » de l’année de sa mort. Il rature les mots « ARM » et « HAMMER » pour les recouvrir d’un jeu de mot « COMMEMERITVE » et « ONE CENT » (pièce commémorative). Si Warhol est d’abord un graphiste publicitaire qui se retrouve dans le capitalisme et ses symboles, obsédé par la réussite sociale, Basquiat a des positions beaucoup plus tranchées autour notamment des luttes de la communauté afro-américaine, victime de nombreuses violences et répressions policières. Des divergences politiques qui se dénotent mais qui n’ont pas porté préjudice à leur œuvre commune.
Les instants les plus marquants du parcours tournent autour des seules œuvres du duo, en galerie 2 avec Olympic Rings autour des Jeux d’été de 9184 à Los Angeles. A partir des anneaux peints à la main par Warhol, Basquiat les noircit pour y faire apparaître la figure noire, selon la mission fondamentale qu’il s’est donnée. De même avec l’œuvre Ten Punching Bags (Last Supper) jamais exposée du vivant des deux artistes, où sur des sacs de boxe rehaussés de la figure du Christ par Warhol, Basquiat y ajoute le mot « JUDGE » avec sa couronne, en hommage aux héros et athlètes de sa communauté.
La mort de Warhol le 22 février 1987, à la suite d’une intervention médicale, frappe profondément Basquiat qui lui rend hommage dans un triptyque en forme d’un autel, Gravestone, avec une grande tulipe noire et le mot « PERISHABLE » comme dans une ultime vanité. Il le suit dans la tombe l’année suivante à l’âge de 28 ans des suites d’une overdose. Tragiquement incandescent. Précurseur du sampling et du copier-coller de la génération post internet, sa dynamique entre en collision avec Warhol au-delà de leurs ambivalences.
Reste à savoir si cette démarche de rapprochement inédite sert véritablement the « Radiant Child ». Je m’étais déjà posée la question lors de la présente confrontation orchestrée par la Fondation entre Basquiat et Egon Schiele en 2018. A quand une exposition 100 % Basquiat ?
Basquiat Soundtracks à la Philharmonie
La Philharmonie de Paris le propose justement autour de sa bande son idéale car n’oublions pas qu’en dehors de l’héritage du jazz, Basquiat faisait partie du groupe Gray avec les musiciens Michael Holman, Vicente Gallo et Nick Taylor, pratiquait le rap et le hip hop, le tout mixé à l’énergie débordante et expérimentale des clubs downtown. Une plongée immersive et flamboyante entre Afrique et Caraïbe, blues, hip-hop et underground qui offre un contre-point bienvenu aux larges cimaises de la Fondation Louis Vuitton.
Infos pratiques :
BASQUIAT x WARHOL
A quatre mains
Jusqu’au 28 août 2023
Tarifs
16/10 €
Billets
Billetterie – Fondation Louis Vuitton
Fermeture le mardi
Ouverture tous les jours pour les vacances de Pâques et nombreux ateliers
Danse et Nocturnes de juin à juillet
Open Space#11 : Ndayé Kouagou
The Guru
Installation vidéo inédite
Open Space #11 Ndayé Kouagou (fondationlouisvuitton.fr)
https://www.fondationlouisvuitton.fr/f
BASQUIAT SOUNDTRACKS
La Philharmonie
Jusqu’au 30 juillet 2023
Tarifs
14/ 8 €
Ouverture
Du mardi au jeudi de 12h à 18h
Le vendredi de 12h à 20h
Samedi et dimanche de 10h à 20h