Interview Marc Bembekoff, directeur de La Galerie de Noisy-le-Sec centre d’art contemporain d’intérêt national

La Galerie de Noisy-le-Sec, Centre d’art contemporain d’intérêt national Photo : Nathanaëlle Puaud, 2017

Grande maison bourgeoise notariale néo-Renaissance, seul bâtiment du XIXe ayant subsisté aux bombardements de 1944 et connu différentes affectations : hôpital militaire, musée de la préhistoire, bibliothèque de la ville, la Galerie de Noisy-le-Sec est inaugurée en 1999 dans un contexte de mixité économique et sociale. Marc Bembekoff en devient le directeur en 2019 après avoir été notamment curateur au Palais de Tokyo et directeur du centre d’art contemporain La Halle des Bouchers à Vienne. Rendre l’art contemporain accessible à tous et développer les synergies locales et internationales sont parmi les priorités qu’il défend dans son projet pour le centre d’art. L’exposition actuelle du duo Marie Ouazzani et Nicolas Carrier traite de notre rapport au vivant dans l’espace urbain et il prépare pour septembre 2023 une exposition consacrée à l’artiste italienne Tomaso Binga, présente à la Biennale de Venise. Une première en France et une redécouverte de cette poétesse féministe, radicale et pionnière. Marc Bembekoff a répondu à mes questions.

Marc Bembekoff, directeur de La galerie de Noisy-le-Sec centre d’art contemporain d’intérêt national photo Aurélien Mole

Quelle image aviez-vous de La Galerie ?

Je connaissais le lieu depuis mes études et trouvais ses propositions d’une réelle cohérence. J’avais travaillé précédemment dans de grandes institutions parisiennes : Palais de Tokyo, musée Rodin, Centre Pompidou. Je mène depuis quelques années une réflexion sur l’accessibilité de l’art contemporain au plus grand nombre et sur l’équilibre à trouver entre une création exigeante et une programmation  de qualité qui reste toutefois accessible. Il est surprenant de constater que l’art contemporain n’infuse pas davantage la société et que l’on a encore beaucoup d’aprioris sur l’art contemporain et d’images erronées sur la culture en général, considérée comme élitiste alors que je considère qu’il n’y a pas de bons ou de mauvais savoirs.  

Quelles ambitions portez-vous ?

Je porte comme projet de déplier le mot galerie puisque le centre d’art s’appelle ainsi et que les équipes et habitants se reconnaissent dans ce terme. Si l’on remonte à l’historique du mot cela renvoie aussi à un lieu de savoir, de partage de connaissance et de faire-valoir où l’on dresse le portrait de son ascendance. Partant de ce postulat, j’envisage les expositions comme une sorte de portrait d’artistes du XXIe siècle. En parallèle,  pour les expositions collectives, il s’agit de dresser le portrait de personnages de fiction ou plus historiques. Cette galerie dresse ainsi un portrait de notre temps présent, complexe à travers différentes thématiques.

L’exposition inaugurale qui correspondait aux 20 ans du centre d’art s’intitulait le « Dandy des gadoues » .Un projet que j’avais envie de mettre en forme depuis longtemps. A mon arrivée dans cette villa à l’éclectisme architectural qui incite à une relecture des formes, je trouvais cela intéressant de dresser le portrait de ce personnage de Michel Tournier, Alexandre Surin en charge des ordures qui clame haut et fort préférer les copies à l’original. Avec les artistes invités nous avons recréé une sorte d’espace domestique pour raconter une histoire autour de la question du pastiche.

Le cycle de conférences « Une histoire de l’art contemporain »

J’avais commencé ce cycle à Vienne où je dirigeais le centre d’art contemporain La Halle des Bouchers.

Vienne est une ville très tournée vers l’antique et le médiéval  avec une visée transhistorique et pluridisciplinaire. Je l’ai poursuivi ici à chacune des expositions autour d’une entrée thématique. La dernière s’intitulait « Une histoire de l’art contemporain Au Pays d’Hollywood »  à l’occasion de l’exposition hommage à Hedy Lamarr.

Vue de l’exposition « Hedy Lamarr, The strange Woman » 2022, Photo © Salim Santa Lucia, © Adagp, Paris, 2022

Retour sur l’exposition « Hedy Lamarr, The strange Woman »

Je souhaitais dresser à mon arrivée le portrait de cette femme, pour laquelle je partageais une fascination avec l’artiste Nina Childress depuis plusieurs années. Une exposition à la fois de recherche et de collaboration sur cette figure à la fois actrice, peintre, dessinatrice et chercheuse à l’origine de l’invention d’un système de codage des transmissions par étalement de spectre (futur Wi-Fi) ayant inspiré de nombreux artistes de son vivant de Walt Disney à Joseph Cornell jusqu’à Andy Warhol.  Nous avons souhaité lui rendre hommage à travers le regard d’une dizaine d’artistes et un grand nombre d’œuvres produites pour l’occasion. Nous avons accueilli quelques 2 500  visiteurs (pour moitié de public scolaire), l’un de nos meilleurs chiffres de fréquentation.

« Une histoire de l’art contemporain au pays d’Hollywood »

Je suis parti de l’histoire du cinéma et au-delà de l’art pariétal une illusion créée à la lueur des flambeaux d’une image qui pouvait s’animer. Ce rapport à la croyance est l’un des fondements du cinéma, la croyance que l’on projette sur cette image et sur tout ce star-system ces icônes mises en place  par Hollywood. Des icônes qui sont relues et corrigées par un certain nombre d’artistes dès le début du XXe comme Joseph Cornell, Andy Warhol et plus récemment Pierre Huyghe avec le personnage de Blanche-Neige  Lucie.

L’exposition actuelle : « Sol Fictions »

C’est la première exposition du duo d’artistes Marie Ouazzani et Nicolas Carrier, ce qui rejoint notre volonté de soutien à la jeune création. Ils questionnent notre rapport au végétal, sa présence dans des espaces très urbanisés comme dans la série de polaroïds Cité palmiers. J’avais l’intuition qu’ils sauraient s’emparer de Noisy-le-Sec on territoire, son histoire, ses spécificités, autre composante de mon projet pour ce lieu. Ils m’ont proposé cette « fiction climatique », selon leur terme, d’un film avec comme postulat narratif de départ, la pollution des sols à l’azote, au phosphore et au potassium qui provoque l’endormissement des êtres humains. Une vision futuriste indéterminée sur l’impact du réchauffement climatique. Nous avons produit la quasi-totalité de l’exposition. Ils ont tourné différentes séquences à Noisy-le-Sec serres municipales, quartier maraicher du Merlan, Prairie du Canal et dans une champignonnière du 18e arrondissement installée dans un ancien parking souterrain. La misère pourpre –Tradescantia pallida– qui envahit toute l’exposition est une plante originaire du Mexique qui avec le réchauffement climatique a la faculté de s’adapter à nos environnements urbains en hémisphère nord.

La scénographie

J’aime concevoir les expositions comme une sorte de storyboard et j’incite les artistes à sortir de leur zone de confort.

La colonne vertébrale est ce double dytique vidéo intitulé Milieu vague d’où infusent par rayonnement des œuvres qui viennent affirmer le propos. Une des premières œuvres à valeur de manifeste et assez puissante métaphoriquement est cet atlas routier de l’Ile-de-France que les artistes ont dépecé et fragmenté pour que la carte de Noisy-le-Sec soit juxtaposée avec celle de l’aéroport d’Orly, ce qui crée une fiction avec un jeu particulier au niveau des échelles. Cette œuvre introduit le mode opératoire des artistes qui provoquent des pertes de repères temporels et spatiaux. Puis la vidéo qui reste assez inquiétante, jusqu’aux polaroids d’architectures utopistes aux couleurs sépia qui ont connu leur limites avec ces palmiers liés au réchauffement climatique. Les branches collectées et plaquées au sol par des fers à bétons induisent à la fois l’idée de tuteurs et de contraintes. Une poésie très étrange court le long des plinthes avec ces mots qui annoncent l’arrivée des misères pourpres. L’ensemble offre une double lecture sur notre domestication à outrance de la nature qui, au final, reprend toujours ses droits.

Tomaso Binga, Bianca Menna e Tomaso Binga. Oggi spose, 1977, Courtesy Tomaso Binga et galerie Tiziana Di Caro

L’exposition suivante autour de la pionnière italienne Tomaso Binga

De mi-septembre à mi-décembre notre exposition sera dédiée à une jeune artiste italienne de 92 ans ! Elle se nomme Tomaso Binga, le nom d’emprunt de Bianca Pucciarelli qui dès les années 1960 choisit de porter un pseudonyme masculin comme une sorte de statement face à l’impossibilité des femmes de faire carrière à l’époque. Poétesse et féministe, elle pratique des peintures, performances, collages, vidéo-poésies et n’a jamais été montrée en France. Elle était présente à la dernière Biennale de Venise. L’exposition devrait nsuite circuler au MADRE de Naples.

Quelles synergies mettez-vous en œuvre ?

Elles s’inscrivent de nouveau dans un équilibre à trouver entre le local et l’international. La galerie, centre d’art d’intérêt national depuis 2021 se veut un tremplin pour de jeunes artistes qui ensuite vont rayonner comme cela a été le cas avec Julien Creuzet ou Neil Beloufa exposés et accueillis en résidence en 2015. J’ai la volonté de tisser des liens avec d’autres structures franciliennes au sein du réseau Tram mais aussi à à une échelle nationale avec DCA (association française de développement des centres d’art contemporain) et internationale, comme autour de l’exposition de Tomaso Binga. Si l’on revient à certaines expositions passées celle de Larissa Fasler qui a eu lieu au moment du confinement, nous avons pu nouer un partenariat avec la galerie Poggi et également le Currier Museum of Art aux Etats-Unis par le biais de séances de présentations virtuelles élargissant ainsi nos publics. J’ai également mis en place un partenariat avec la foire MENART et Laure d’Hauteville à l’occasion de l’exposition de l’artiste algérienne Sabrina Belouaar.

Les résidences

Le programme existait avant mon arrivée. Nous accueillons l’artiste dans un atelier logement tout près d’ici. Nous lançons un appel à candidatures autour d’une forme d’émergence. La durée de la résidence est entre 6 et 7 mois. Les artistes sont accompagnés par La Galerie d’un soutien artistique, logistique et financier.

Dans le cahier des charges il est stipulé que l’artiste doit s’ouvrir sur son environnement et engager des collaborations locales.

Les artistes actuellement en résidence sont Nadjim Bigou-Fathi et Soto Labor. Ils proposent une restitution sous la forme d’une performance et d’une publication. Ils mènent actuellement des ateliers de cuisine avec des femmes participant à des ateliers socio-linguistiques d’une association noiséenne. Ils s’intéressent à la façon dont la parole se met en place au sein de différentes communautés.

Infos pratiques :

« Sol Fictions »

Marie Ouazzani et Nicolas Carrier

Jusqu’au 27 mai

Tomaso Binga, exposition personnelle

16 septembre – 16 décembre 2023

www.lagalerie-cac-noisylesec.fr