Exposition JAIMES, Triangle-Astérides, centre d’art contemporain d’intérêt national © Aurélien Mole
Nommée directrice de Triangle – Astérides, centre d’art contemporain d’intérêt national (Marseille), Victorine Grataloup succède à Céline Kopp, que nous avions interviewé à l’annonce de son départ pour la direction du Magasin (Grenoble). Victorine Grataloup revient sur les enjeux qui l’animent et la vision de l’hospitalité qu’elle entend déployer afin de lutter contre toute forme « d’asymétrie ou d’exclusion » et d’apporter des « soins constants et attentifs ». En termes de programmation après l’exposition collective actuelle curatée par Marie de Gaulejac, le solo show d’un jeune artiste sera proposé en février 2023 pour aller ensuite vers des formats non figés et plus expérimentaux en phase avec la société dans son ensemble. Victorine a répondu à mes questions.
Victorine Grataloup est curatrice, co-fondatrice de la plateforme d’échanges artistiques, de recherche et d’édition trilingue Qalqalah (avec Line Ajan, Virginie Bobin, Montasser Drissi, Vir Andres Hera et Salma Mochtari) ainsi que du collectif curatorial Le Syndicat Magnifique (avec Thomas Conchou, Anna Frera et Carin Klonowski), dédié à la création émergente. Elle a étudié l’histoire et la théorie des arts à l’EHESS (Paris), la Humboldt Universität (Berlin) et à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, où elle enseigne aujourd’hui, et a travaillé au Palais de Tokyo, à KADIST, à Bétonsalon – centre d’art et de recherche et au Cneai avant d’exercer ses fonctions de commissaire d’exposition en indépendante.
Son travail est transdisciplinaire et collaboratif, à l’intersection de problématiques artistiques et sociales à la croisée des langues. Elle s’intéresse aux enjeux politiques et affectifs des pratiques artistiques, aux imaginaires collectifs et aux représentations minoritaires, aux institutions souhaitables et hospitalières.
Quel projet défendez-vous pour Triangle-Astérides ?
Triangle-Astérides est un centre d’art contemporain singulier : le seul à se trouver au sein d’une coopérative culturelle, d’abord, avec la Friche de la Belle de Mai. Singulier également en ce qu’il est un lieu marqué par son importante activité d’accueil d’artistes en résidence (24 par an, en tout) : celles à Triangle-Astérides même comme celles que nous accompagnons avec les Ateliers de la Ville de Marseille, sur des durées plus longues.
L’accueil d’artistes en résidence – non seulement de leur travail mais aussi de leur vie quotidienne, affective, économique – doit pour moi fonctionner comme le parangon de formes d’hospitalité devant se répercuter à toutes les échelles de l’action d’un centre d’art, notamment auprès des publics. Mais mettre en œuvre une hospitalité concrète et pas seulement déclarative, c’est veiller avant tout à lutter contre les asymétries, les exclusions – veiller, donc, au sens littéral, c’est-à-dire porter des soins constants et attentifs. Ouvrir des portes, confier des clefs, écouter des doléances, indiquer un chemin. Un tel travail est non seulement une affaire quotidienne mais par ailleurs invisible, par nature répétitive et non spectaculaire. Je propose ainsi de valoriser le cœur de métier de Triangle-Astérides qu’est ce travail invisible d’accueil et d’accompagnement des résident·es, de le renforcer, et de penser en regard de lui une ambitieuse politique des publics, expérimentale, qui en sera le pendant à l’endroit non plus de l’art mais de la société dans son ensemble.
Quelle programmation allez-vous mettre en place ?
Il est très important pour moi que la programmation soit collégiale, avec Marie de Gaulejac bien sûr – qui est curatrice et signe notre exposition en cours, JAIMES – mais au-delà avec toute l’équipe de Triangle-Astérides.
La programmation d’expositions que nous mettrons en oeuvre ensemble débutera en février 2023, par le solo d’un jeune artiste. Je souhaite par la suite que nous fassions perdurer la souplesse de programmation qui agence à Triangle-Astérides deux à trois expositions collectives et monographiques par an, sans règles figées ni systématisme. J’aspire également à ce que nous puissions explorer le format des duos shows.
En matière de résidences : quelles sont vos priorités ?
Les résidences font de Triangle-Astérides un lieu de travail, d’expérimentation permanente. Je souhaite oeuvrer à faire venir un public plus large, plus divers à la rencontre des artistes lors des ateliers ouverts, à Triangle-Astérides comme hors nos murs avec les Ateliers de la Ville de Marseille. Les résidences sont au coeur de notre travail au quotidien : elles doivent être au coeur de la vie de l’institution, de sa mise en récit et de ce que perçoit le public de ce que nous faisons.
Nos différents programmes de résidence permettent en outre de mêler des artistes de la scène marseillaise et des scènes françaises et internationales : c’est une de nos richesses, qu’il convient d’entretenir notamment avec une politique de partenariats permettant de travailler plus spécifiquement avec certaines scènes que nous estimons peiner à toucher (les scènes françaises ultramarines par exemple).
Quelles synergies souhaitez-vous encourager ?
Je suis convaincue que les rapports au public, la nature même des liens sociaux auxquels artistes et praticien·nes de l’art contribuent doivent se transformer. C’est un travail qui incombe aux institutions, et à ce titre j’appelle de mes vœux un centre d’art qui sache se déplacer en dehors du champ de l’art pour apprendre d’autres structures, de leurs rapports à leurs usager·es.
Les synergies sont donc pour moi à construire au sein de la société civile. Je m’inspire en cela de projets aussi divers que le dispositif des Maisons de la culture et de la jeunesse, la Corvée, laverie, café solidaire et petit lieu d’exposition à Paris, la Casa do Povo et son programme artistique et social à Sao Paulo (Brésil), les résidences d’avocat·es ou autres professions non-artistiques au Museum der Weltkulturen de Francfort (Allemagne) ou encore le programme d’accompagnement d’initiatives citoyennes du musée Reina Sofia à Madrid (Espagne).
Quelle vision avez-vous de la scène de Marseille ?
Notre appel à candidature annuel pour les résidences permet de mesurer l’attractivité grandissante qu’exerce la ville de Marseille sur les artistes. Je ne saurais qualifier sa scène sans être présomptueuse, car j’arrive moi-même tout juste, mais mon envie de collaborer avec elle dans son ensemble est immense : avec les nombreux artist-run spaces qui la caractérisent, avec l’Ecole des Beaux-Arts, avec les Musées de la Ville, avec le Frac !
Infos pratiques :
JAIMES, exposition collective avec Marina De Caro, Kapwani Kiwanga, Hana Miletić, Aurilian, Katrin Ströbel, Tadáskía et Ashes Withyman
Commissariat : Marie de Gaulejac
Jusqu’au 16 octobre 2022
Friche la Belle de Mai
41 Rue Jobin
13003 Marseille
https://www.lafriche.org/
En savoir plus :
http://trianglefrance.org/fr
PAC – Marseille : Réseau des galeries et lieux d’art contemporain