Hangar Bruxelles, Interview Isabel Muñoz, « Trance ‘n’dance »

Isabel Muñoz, Sans titre de la série Bajo el Agua, 2017 ©Isabel Muñoz

Le cheval entre dans la lumière et esquisse un pas, le temps d’une parade parfaitement maîtrisée puis il se retire de l’arène. Le rideau tombe. La musique se tait. L’on songe à Goya et à son portrait équestre de Ferdinand VII, conservé au Prado. Le Baroque triomphant entre ombre et lumière. La partition qui se joue à Hangar agit comme une dramaturgie aux intensités différentes. Cette pulsion de vie et de mort, ce pacte avec la jouissance et l’extase habite les êtres convoqués par Isabel Muñoz. Entre la lutte et l’abandon des corps, il est question de limites et de transcendance. Du butō japonais aux cultes amérindiens de la Terre-Mère, du shibari originel aux automutilations taoïstes, la transe devient rite de passage. Au-delà des fantasmes et du genre que recherchent ces êtres mutants ? Alors que sous la surface des océans une étrange chorégraphie se joue avec les débris de notre dérive plastique, faisons une dernière danse aux côtés des sirènes et du corail, la photographie étant bel et bien cette écriture des cendres transpercée de lumière…Sol y sombra. Isabel Munoz que j’avais rencontrée à Madrid lors de l’édition 2018 de Photo Espana avec la magistrale « L’Anthropologie des Sentiments » (Tabacalera) a répondu à mes questions avec la passion et conviction d’une inlassable passionnée toujours en quête de défis et de sens.

Comment avez-vous réagi à la proposition de Delphine Dumont ?

Cela a été un coup de cœur réciproque entre le Hangar et moi. Je crois en la magie des espaces. Dès le départ Delphine a compris l’essence de mon travail et a su quels aspects mettre en avant et de façon tout à fait inédite. Cette exposition offre un point de vue différent de ce qui avait pu être révélé précédemment au public français. En fait, chaque exposition met en scène une vision différente de mon oeuvre ce qui est pour moi passionnant.

« Agua » en deuxième partie du parcours est une ode aux océans et une véritable performance physique : la genèse et les enjeux

Bien que d’origine méditerranéenne, mon premier contact avec l’océan s’est fait par le biais d’une commande pour El Pais à l’occasion des Jeux Olympiques de Sydney en 2000. Comme je suis d’une génération où nous n’avions pas la télévision j’étais curieuse de découvrir ces images de l’entrainement des sportifs de haut niveau, joueurs de water-polo et danseuses aquatiques. Puis les années ont passé et je cherchais à traduire au mieux ce que veut dire être en fusion avec la nature, loin des images souvent trop parfaites qui impliquent une certaine distance. Je voulais que le spectateur ressente cette proximité. Lors de la réalisation d’un documentaire pour la télévision espagnole le cameraman me confiait que 30% du poisson que nous mangeons est déjà du plastique et récemment des particules de micro plastique ont été découvertes par des chercheurs italiens dans des placentas de femmes enceintes. Il est important de ne pas oublier que la mer nous donne tout sans rien demander en retour. Si nous avons tous en tant qu’êtres vivants des canaux de communication au-delà de la parole, il est impossible de rien partager derrière une vitre alors que l’eau marque déjà une barrière. N’étant pas une  plongeuse, je connais mes limites mais je voulais transmettre cette préoccupation qui m’habite.  Quand j’ai commencé à approcher les premières tribus dans les années 2000 je me suis rendue compte qu’il y a de nombreuses choses qui ne se passent pas devant l’objectif mais qu’il est important de raconter. J’ai souhaité que quelqu’un raconte l’histoire que la camera ne peut capter.

En ce qui concerne le travail avec le corail, nous voulions parler du réchauffement climatique mais nous avions des contraintes très fortes dans cette zone d’icebergs et de mer craquelée. Je ne savais pas si je serais capable de plonger à -6° et si mon corps allait résister. Nous n’avions pas de bateau et c’était un vrai défi en 3 jours. Mais je suis persuadée que vouloir c’est pouvoir et ce travail me l’a encore une fois démontré.

Isabel Muñoz, Sans titre de la série Somos Agua, 2021 ©Isabel Muñoz

L’opportunité que représente pour vous la séquence de danse de butō organisée à l’occasion de l’exposition

C’était un rêve pour moi depuis 25 ans de pouvoir rencontrer Kazuo Ono et les danseurs de butō, art que je traduirais comme un mouvement politico-social et j’ai eu la chance de le partager avec le public ici car comme pour le flamenco les répétitions perdent un peu de leur âme. Cela avait été incroyable de travailler avec Taketeru Kudo lors de mon exposition à Madrid à Tabacalera comme en témoigne la vidéo projetée dans l’exposition. Le butō est une danse encore méconnue pour nous et il est important de garder une certaine distance vis-à-vis d’autres cultures. Il y a toujours une partie qui nous échappe. J’ai été très séduite quand j’ai vu cette danseuse japonaise habitée d’une idée de la beauté différente de la mienne mais avec qui nous partageons la même âme.

Isabel Muñoz, Sans titre de la série Mithologias, 2012 ©Isabel Muñoz

Dernière partie du parcours, «  Extasis » entre souffrance et plaisir avec avertissement préalable au regardeur

Cette démarche sur le Shibari découle de toutes mes autres recherches sur la douleur et le plaisir mais à partir des origines du Shibari au Japon. Avec de Sensei traditionnel j’ai voulu raconter ce qui se cache dernier cette pratique, loin des stéréotypes qui les déforment. J’ai besoin de suivre mon instinct. Je dois d’abord partir de la lumière pour après me plonger dans les ténèbres. L’ombre et la lumière. Une quête de jouissance qui allait devenir autre chose. C’est une constante dans mon travail de vouloir être témoin de quelque chose qui va disparaitre.

Quant à ces jeunes adeptes d’automutilation mexicains, ils nous interrogent sur ce que la société a à leur offrir. Dans ce Mexique si intense, face à une jeune fille si belle qui se livrait à de telles pratiques, je n’ai pas pu m’empêcher de l’interroger sur le sens de sa quête. Elle m’a alors répondu : « je veux devenir un petit monstre ». L’explication de ce phénomène est sociale pour ces jeunes qui ont besoin d’appartenir à une tribu et de savoir d’où ils viennent. Même si nous ne nous l’avouons pas, il y a toujours un besoin de transcendance, une recherche des origines comme dans la culture Maya où ces suspensions étaient déjà un chemin vers l’extase.

En quoi la peinture est-elle pour vous une source d’inspiration constante ?

La peinture m’intéresse et plus particulièrement la peinture Baroque. Ces artistes étaient les photographes de leur époque.  On retrouve cette même exaltation des sentiments, de l’amour, de la passion chez les saints en pâmoison représentés par les peintres du Siècle d’Or.

Autre temps fort de la visite : Louise Bourgeois, un portrait intime par Jean-François Jaussaud.

Infos pratiques :

Isabel Muñoz, Trance ‘n’dance

jusqu’au 18 juin

18 Place du Châtelain, Brussels

Parcours Off Art Brussels

Hangar

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