NADIR, vue générale château de Laarne (Flandres) photo Cedric Verhelst
Place forte médiévale puis demeure de plaisance, le château de Laarne (Demeures historiques) à quelques encablures de Gand a traversé les siècles autour d’une riche collection qui ne demande qu’â être réveillée. De multiples strates et témoignages historiques préservés qui ont tout de suite inspiré l’artiste Kris Martin à l’invitation de Véronique Lambert, directrice du château. Il agit non pas en tant que commissaire mais en rassembleur de talents et d’amitiés aux côtés de ceux qui l’inspirent : Francis Alÿs -choisi pour représenter son pays à la Biennale de Venise cette année-, Wim Delvoye, Berlinde de Bruyckere, David Claerbout -dont la vidéo dans l’ancienne chapelle justifie à elle seule le voyage, Michaël Borremans ou Jan Van Imschoot. Une liste qui ferait pâlir d’envie plus d’un et reflète l’essence de l’art belge comme il nous l’explique. Kris Martin revient également sur son exposition au S.M.A.K de Gand et ses liens avec le musée autour de la personnalité de Jean Hoet qui l’a fortement inspiré dans sa façon de concevoir des expositions. Il est actuellement exposé dans l’église Saint Mathieu de Berlin, selon le principe de défis de lieux insolites qu’il aime relever. Kris Martin a répondu à mes questions dans l’élégant salon de Laarne qui surplombe les douves et les parterres dessinés du château.
Quelle est la genèse de cette invitation ?
A l’occasion du salon de l’argenterie annuel à Laarne pour lequel j’ai conçu une œuvre, Véronique m’a confié son rêve d’exposer de l’art contemporain ici. J’ai tout de suite décidé de ne pas prendre la posture du commissaire mais d’un ami qui inviterait ses proches autour de leurs affinités communes. Tout s’est construit de manière assez naturelle et organique. Chacun a choisi un espace, une chambre à chaque fois dans une réponse au lieu, le château n’étant pas pensé comme un décor, ce qui est beaucoup plus pertinent à mon sens. Le défi pour chacun des artistes était de se mesurer à l’histoire et au passé du lieu mais pas d’entrer en compétition les uns les autres. Le marché n’est pas un critère qui est entré en ligne de compte de notre démarche. Tout est resté très collégial et amical même si tous sont restés très professionnels et exigeants. J’ai déjà proposé des expositions dans des églises, monastères, chapelles.. des lieux atypiques que je trouve très inspirants.
Pour un public amateur d’art contemporain, le château les séduit et leur donne envie d’aller plus loin, de même pour les amateurs de patrimoine qui s’ouvrent à la création actuelle. Je suis en cela l’héritier de Jan Hoet (à l’initiative du projet légendaire Chambre d’Amis) qui m’a appris à concevoir des expositions. Il avait le génie de créer les conditions dans lesquelles les artistes se sentaient invités et non pas conditionnés. En tant qu’artiste je conçois chaque œuvre comme une invitation c’est pourquoi je ne cherche jamais à expliquer une œuvre car les gens en général sous-estiment leur propre imagination. Il faut faire l’effort de regarder, une faculté que l’on croit avoir perdu depuis son enfance, ce qui n’est vrai. Il faut juste s’entrainer. Je remarque d’ailleurs que quand je fais une visite pour les enfants je n’ai rien à ajouter, ils comprennent tout alors qu’avec les adultes c’est tout le contraire.
Quel challenge cela représentait-il pour vous et pour les artistes ?
Un musée est comme une boîte blanche alors qu’ici le château n’est pas neutre.
Le challenge était de laisser tout le mobilier d’époque et d’enlever le minimum. Cela offre alors un parfait équilibre entre passé et art contemporain dans un dialogue qui n’a rien de forcé. Les artistes ne se sont pas adaptés mais se sont sentis plutôt inspirés. Je n’ai pas réagi en fonction de la valeur mais en raison du lien qui me relie à eux, amical et artistique. Des personnes qui ont le même tempérament que moi et même si nous avons tous des personnalités différentes il se dégage une certaine cohérence. Si l’on prend les œuvres à la fois violentes et émouvantes de Berline de Bruyckere elles sont compensées par les œuvres de D.D. Trans plus légères et drôles mais non dénuées de poésie. C’est sans doute si j’ose le dire une exposition très belge. D. D. Trans fait partie d’une longue tradition du surréalisme à partir d’objets du quotidien assez insignifiants qu’il transforme en poèmes. Si ce sont uniquement des artistes belges, ils ont pour la plupart une carrière internationale. Beaucoup sont originaires de Gand ce qui renvoie à la période de mes études.
Ces œuvres sont-elles de commandes spéciales ?
La plupart de ces œuvres sont des commandes pour l’exposition même si en ce qui concerne Francis Alÿs cela s’est avéré compliqué étant donné son éloignement depuis le Mexique donc nous avons sollicité l’un de ses collectionneurs qui a accepté d’exposer une quinzaine de ses dessins et une sculpture.
Le choix du titre NADIR
J’ai beaucoup réfléchi pour ne pas proposer un thème mais un titre qui puisse inspirer mes collègues. Le mot NADIR contrairement au mot zénith n’est pas du tout connu. C’est un antonyme qui désigne la verticale de l’observateur, propre à chacun dont relatif par définition. Les artistes que j’ai choisis constituent en quelque sorte mon panthéon personnel, des sortes de dieux pour moi. Les romains regardaient le ciel à travers la coupole du Panthéon et Nadir est l’image de ce qu’aucun romain n’a jamais vu, un grand trou noir. Ce phénomène a inspiré plusieurs artistes dont Dirk Braeckman qui a suspendu au sommet d’une tour où étaient emprisonnées les sorcières au Moyen Age, une photo d’une femme nue à l’envers. De mon côté j’ai réalisé une sculpture « melting pot » qui a la forme d’un chaudron résistant aux flammes, au fond duquel un miroir nous renvoie notre image.
Pourquoi avoir pensé à Daniël Ost qui est special guest ?
Il est un véritable artiste dont le medium est le végétal. Ce qui m’attire est le cycle de vie derrière la fleur, son caractère transitoire et éphémère. C’est pourquoi il est au contraire tout à fait à sa place ici. N’étant pas curateur, je suis libre d’inviter qui je veux, contrairement à un musée qui doit représenter le spectre le plus large possible de la société. Un peu comme une fête privée où le ne cherche pas systématiquement le politiquement correct. Cette remarque rejoint également la question de la place des artistes femmes et il faut savoir qu’à l’époque de mes études à Gand avant les années 2000 les femmes artistes dont on parlait étaient peu nombreuses alors que cela a bien changé à présent. Si j’ai choisi ces artistes c’est non pas uniquement à cause de leur renommée mais de leur capacité à se renouveler à chaque occasion. C’est ce qui fait je pense la longévité d’un artiste.
Quelle œuvre vous semble-e-elle le mieux entrer en résonance avec le château ?
Il m’est difficile de répondre car je trouve que chaque proposition est une réussite. Berline de Bruyckere offre un écho incroyable mais je peux citer aussi la vidéo de David Claerbout dans la chapelle avec cet éclairage singulier et la musique très émouvante du Da Pacem Domine d’Arvo Pärt. Dirk Braeckman qui est peintre a su aussi utiliser la lumière qui vient de la fenêtre pour aveugler le regardeur en quelque sorte et influencer son regard. Des symbioses à chaque fois uniques autour des textures, des matériaux, de l’architecture, de l’ambiance. .
En quoi Jan Hoet a-t-il été décisif dans votre parcours ?
Mes liens sont anciens avec le musée car Jean Hoet est le premier à avoir exposé mes œuvres. Je pense que Chambre d’Amis est l’une des expositions les plus importantes de l’histoire de l’art contemporain. On peut aussi citer Harald Szeemann l’autre grand commissaire à l’époque qui a révolutionné notre rapport à l’art.
Cette exposition est résolument belge avez-vous déclaré, pourquoi ?
Nous avons une longue tradition et faculté de mettre à l’envers les choses et le surréalisme ne commence pas en réalité avec Magritte mais avec Van Ecyk si l’on regarde ces vierges démesurées dans les églises. L’art belge est toujours un peu ironique et ne se prend pas au sérieux. On ne se pense pas au centre du monde comme le centre de l’image de NADIR qui est un trou noir. S’il y a une identité elle est dans l’art et j’en suis persuadé.
En ce qui concerne votre exposition au SMAK de Gand EXIT, quel a été l’impact du confinement ?
Si le public me connait pour ma sculpture Altar présentée en face de la cathédrale Saint Bavon de Gand et désormais sur la plage d’Ostende, c’était ma première rétrospective en Belgique.
Même si elle a dû refermer une semaine après son ouverture, sa prolongation (10 mois au total) a été au final très positive. Autre avantage : les gens ont ralenti et changé leurs habitudes de voir de l’art. Un temps long que suggèrent mes œuvres. Certains visiteurs sont même retournés plusieurs fois dans l’exposition.
Quelles sont vos autres actualités en tant qu’artiste ?
En ce moment j’ai une exposition à l’église Saint Mathieu à Berlin en partenariat avec ma galerie, Johann König. Ils invitent régulièrement des artistes contemporains. Autour de la célébration des 500 ans de la Réforme Luthérienne et de la question de la dangerosité de l’image dans le culte, l’exposition commence le mercredi des Cendres ouvrant le Carême et terminera à Pâques. Un contexte assez complexe. Pour ne pas tomber dans une métaphore, j’ai choisi de ne pas faire d’images en prenant des objets qui ont un lien avec l’histoire de la passion comme par exemple le pain, le vin, la laine, le serpent, l’humain… DOVE, BREAD, FISH, LINEN, TABLE, BED, VINE, SNAKE, MAN. J’ai brûlé tous ces objets et j’ai écris leurs nom avec les cendres sur les murs. Il s’agit d’une sorte de transformation, comme l’indique le titre de l’exposition, Phoenix, la figure du Christ. Je fais de nouveau appel à l’imagination du regardeur selon les archétypes qui préexistent dans son cerveau. Autour d’un même mot l’image de chacun est en effet différente selon ses origines, son histoire personnelle et son ressenti.
Poursuite des découvertes à Gand avec : la nouvelle présentation de l’Agneau Mystique restauré et les formidables expositions du S.M.A.K : POP ART De Warhol à Panamarenko et Le Petit Catalogue de la Collection (chronique à suivre).
Infos pratiques :
NADIR, une exposition de Kris Martin
Avec : FRANCIS ALŸS / THOMAS BOGAERT / MICHAËL BORREMANS / DIRK BRAECKMAN / DAVID CLAERBOUT / BERLINDE DE BRUYCKERE / WIM DELVOYE / KRIS MARTIN / DANIËL OST / MATTHIEU RONSSE / D.D.TRANS / JAN VAN IMSCHOOT
Jusqu’au 22 mai
Du mardi à dimanche (fermé le lundi)
De 10h à 18h (dernière entrée à 17h)
Tarif : 10/5 €
Château de Laarne
Eekhoekstraat 5
9270 Laarne
(à 15 km de Gand)
Kris Martin, Phoenix
Jusqu’au 18 avril
https://www.koeniggalerie.com/
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