Voyage à Nantes, les 10 ans : à pied, à vélo, en rollers ou en bateau !

Daniel Dewar et Grégory Gicquel Le pied, le pull over et le système digestif courtesy the artists/ LVAN

Le Voyage à Nantes fête ses 10 ans en 2021 avec une programmation agile et fertile entre œuvres pérennes et installations temporaires, alors que cette année singulière est synonyme de mise à l’arrêt pour de nombreux festivals. Donner à voir le patrimoine de la ville autrement, apporter de l’art dans l’espace public en concertation avec l’ensemble des acteurs et réfléchir aux défis du tourisme de demain (colloque en septembre), telles sont les clés du succès de cette aventure qui s’exporte au Havre à présent. 

Véritable marqueur spatio-temporel et historique qui serpente la ville, la ligne verte a doublé depuis le lancement de la manifestation par Jean Blaise, fondateur et directeur de la Société Publique Locale VAN. Comme il me le confiait  lors d’un vibrant entretien en plein confinement (relire), tous les engagements vis-à-vis des artistes ont été maintenus, ce qui permet d’offrir de vraies nouveautés.

Morceaux choisis tous mediums confondus pour faire de votre visite, à pied, à vélo, en rollers ou en bateau un temps onirique et suspendu de Nantes à l’Estuaire entre cours et jardins, rives de La Loire et Quai des Antilles, chambres d’hôtels et tables gastronomiques.

Dès l’arrivée dans la nouvelle gare TGV signée Rudy Ricciotti, une architecture qui est déjà un voyage en soi, le film du duo Mrzyk & Moriceau nous place dans une autre réalité celle de la métamorphose et des chimères. N’oublions pas que c’est à Nantes que Jacques Demy fige le Passage Pommeray à jamais.  Nantes est une ville cinématographique et le VAN y contribue à chaque édition.

Le Naufrage de Neptune, Ugo Schiavi, Place Royale, le Voyage à Nantes 2021 © Martin Argyroglo 

Commençons par l’œuvre qui va certainement devenir le symbole de cette édition 2021 sur cette Place Royale, point de ralliement des nantais : le Naufrage de Neptune par Ugo Schiavi.

Ugo Shiavi, Le Naufrage de Neptune, 1 & 2

Déjouant l’allégorie portée par cette fontaine où Amphitrite apporte la richesse à la ville, il se saisit d’une immense épave de bateau de commerce (Nantes et ses routes coloniales) télescopant ainsi les imaginaires et projections. D’une grande force plastique, ce gigantesque collage a été un tour de force comme  nous l’explique l’artiste. Du triomphe d’Amphitrite nous basculons à la déliquescence programmée de Neptune, son époux, depuis la passerelle Schoelcher, échoué et soumis aux altérations des éléments naturels. Diplômé de la Villa Arson et représenté par la Double V gallery, Ugo Schiavi lors de sa carte blanche au Musée d’Orléans avait revisité ses réserves de sculptures et lors de la Nuit Blanche de 2018 relu les soulèvements de Paris à partir de fragments de la Place de la Nation et Place de la République.

VERSUS TITAN ©-Esquisse-TITAN-photographie-Poltred

Autre nouveauté qui se dispute la première place du podium pour cette édition du VAN : Playground, la piste de roller géante de l’agence d’architectes nantaise TITAN, place Graslin. Au sein de ce bijou architectural du XVIIIème siècle signée Mathurin Crucy, les amateur.e.s sur roulettes sont invité.e.s à se lancer sur cette piste monumentale autour de son track. Audacieux et assez gonflé, tout comme l’avait été l’année dernière la fontaine d’Elsa Sahal qui avait suscité de nombreuses polémiques.

Ombres bleues et jaunes, Ulla von Brandenburg Le Voyage à Nantes 2021 © Martin Argyroglo 

Ulla von Brandenburg, signe une proposition envoutante, Passage Sainte-Croix, lieu du patrimoine de la ville au cœur d’un ancien prieuré. Ombres bleues et jaunes est un théâtre de la performance et de la déambulation au milieu d’un patchwork de couleurs, formes et de lettres réalisé sur de grands pans de robes ou de voiles selon l’interprétation de chacun. L’artiste allemande, vivant en France formée à la scénographie a été nommée Prix Marcel Duchamp en 2016. Elle avait su magnifier l’agora du Palais de Tokyo pour sa réouverture en 2012 et revenir en 2020 pour une exposition monographique d’une grande cohérence et poésie.

Bianca Bondi que j’avais interviewée au Casino Luxembourg investit la mémoire du Temple du Goût, ancien hôtel particulier d’un armateur dont les bateaux pouvaient accoster sur le quai pour y décharger leurs cargaisons, classé monument historique. Nous invitant à un parcours sensoriel initiatique, chaque espace est dédié au culte d’une matière aux propriétés protectrices : le sel, la cire d’abeille, les herbes aromatiques et la lumière. Une réflexion précédemment illustrée lors de la dernière Biennale de Lyon.

un castor sur un arbre couché, Laurent Le Deunff Le Voyage à Nantes 2021 © Martin Argyroglo 

Laurent Le Deunff à partir de ce vestige archéologique de la Porte Sauvetout qui surgit sur le tracé du tramway avec « Un castor sur un arbre couché » opère un autre glissement entre le bronze et le bois, son matériau de prédilection habituel. Ce castor à la queue de poisson inspiré d’un traité de médecine du Moyen Age rend visible cette irruption de la nature dans l’espace urbain, l’un des phénomènes de cette période de confinement. Longtemps pourchassé, il est l’un des éléments clés des écosystèmes forestiers.

A noter qu’Amélie Bertrand (également représentée par Sémiose galerie) a été invitée à s’emparer de deux tramways qu’elle habille d’une composition picturale composite qui agit comme un miroir.

Le va-et-vient des pierres électriques, Amélie Bertrand, le Voyage à Nantes 2021 © PHILIPPE PIRON

Gilles Barbier à la HAB Galerie

L’exposition se penche sur une partie méconnue de l’œuvre de l’artiste qui s’est lancé comme défi de copier les Pages du dictionnaire du Petit Larousse illustré en réponse à l’injonction Travailler le dimanche, titre qu’il a choisi. Un travail de copiste à l’encre de chine et à la gouache mené dans le silence de l’atelier depuis 30 ans et qui le conduira jusqu’à sa mort comme le rappelle le memento mori au début du parcours. Ni les phases de doute, les erreurs, les moments de découragement, de migraine, d’ennui ne sont occultés. Dans une autre section nous découvrons l’installation Les Pages roses consacrées aux expressions latines tombées en oubli qui se trouvent comme fossilisées au milieu de ces animaux empaillés. Un cimetière en quelque sorte de nos usages linguistiques et culturels.

Romuald Hazoumè, Château des ducs de Bretagne

Expression(s) décoloniale(s) s’attaque au lourd passé de Nantes, alors premier port négrier de France et l’artiste béninois fait ressurgir des figures du passé, ces fantômes qui hantent la mémoire. A partir de bidons d’essence ou de tongs dessinant sur un dé à facette le visage de l’enfant mort syrien sur les plages, les esclaves d’hier ou migrants d’aujourd’hui entrent en dialogue dès la cour du Château avec les objets de ses collections. L’artiste soulève le pillage organisé de l’Afrique avec ce trafic d’essence frelaté organisé à la frontière du Niger au péril de la vie de ces béninois. Un appel à changer de vision comme le résume l’artiste, également exposé actuellement au Quai Branly Pour Ex Africa avec sa grande installation Non retour ce long serpent constitué de rebuts de la société de consommation qui rappelle un symbole de fécondité et de créativité universel.

Autre évènement à découvrir au Château des ducs de Bretagne : La vie illustré du prince Shôtoku par le maitre Toshihiro Hamano sur quatre paravents longs de 36 mètres. Une prouesse technique et invitation à la méditation à travers l’évocation des accomplissements du prince à partir de la technique du maki-é (laque recouverte de poudre d’or). Une occasion unique de les admirer hors du Japon comme le souligne Bertrand Guillet, directeur du château des ducs de Bretagne-musée d’histoire de Nantes.

Tony Oursler, Musée d’arts de Nantes

En écho à la passionnante exposition Hypnose, l’artiste américain investit la Chapelle de l’Oratoire à la suite de nombreux artistes. Cette installation immersive revisite les personnages fondateurs de reconnaissance faciale. Big Brother is watching you.. Une dystopie fascinante et déstabilisante à la fois.

L’artiste Zhu Hong (née à Shanghai, vit à Nantes) à l’invitation de Katell Jaffre, investit le Parvis et la salle blanche d’un jeu de maquette et de perspective dans un décor à la Giorgio de Chirico traversé par l’eau.

Le Lieu unique, Quartier général de la Saison Africa 2020 : Afrotopia, UFA

Black-Liberation-Zodiac-de-l’artiste-Nolan-Oswald-Dennis, UFA Le Lieu Unique

L’Université des Futurs Africains- UFA- fait référence au chantier initié par le président sénégalais Abdoulaye Wade dans les années 2000 et abandonné depuis. Des ruines dont se saisissent les artistes Hamédine Kane et Stéphane Verlet Bottéro avec L’Ecole des Mutants. L’ensemble des artiste convoqué.e.s par la commissaire Oulimata Gueye, agissent en histo-futuristes, concept en écho à l’utopie active défendue par l’économiste Felwine Sarr dans son livre Afrotopia. Entre enquête critique et scénarios prospectifs. Après la nursery de plantes ayant joué un rôle de résistances historiques collectives et individuelles par Kapwani Kiwanga, nous basculons dans les constellations astrologiques du zodiaque associées aux mouvements de libération noirs radicaux (Nolan Oswald Dennis), les cercles de mégalithiques du Sénégal et de la Gambie ramenés aux codes esthétiques de l’internet et enjeux géodésiques. Les deux architectes DK Osseo Asare et Yasmine Abbas imaginent l’espace d’échange et de discussion Le Fufuzela à partir de modules d’assemblage libres et écologiques. La réalisatrice et productrice Jihan El-Tahri associe des radiographies aux rayons X de son corps à des archives liées aux combats des nations africaines pour les indépendances. Angelo Lopes et Rita Rainho font ressurgir la place des femmes dans les luttes de libération de la Guinée-Bissau et du Cap Vert. Enfin The Subterranean Imprint Archive (François Knoetze & Amy-Louise Wilson) part de la mine de Shinkolobwe en République démocratique du Congo d’où provient l’uranium ayant servi à la bombe atomique de 1940 pour penser un présent alternatif. Sous l’angle des afro-utopies chacun de ses récits ou scénarios envisage de repositionner l’Afrique au centre d’un possible futur. L’occasion de découvrir des artistes encore peu montrés en France.

Le Lieu unique : Demi-Vie

Le romancier et auteur, Aram Kebabjian et l’artiste Stéfane Perraud réunis par le commissaire Olivier Schefer interrogent la persistance de la matière nucléaire dans l’histoire humaine et l’imaginaire artistique à partir notamment des Archives gamma, travail d’archives au long cours sous la forme d’un long palimpseste et de Zone bleue, films en 3D qui retracent le chemin dans les profondeurs de déchets radioactifs. Vertigineux !

Embarquement pour l’Estuaire : les nouveautés

La croisière s’agrandit (120 kms de rives, 33 œuvres) avec, dans l’avant-port de Saint-Nazaire, les sculptures de Daniel Dewar et Grégory Gicquel baptisées Le pied, le pull over et le système digestif dans le site de la Pince de crabe, selon la hauteur de la marée, proposent un autre récit du temps présent entre architecture balnéaire et patrimoine industriel. Que l’on apprécie ou pas, nul ne restera indifférent.

Une fois arrivés à Saint-Nazaire prolonger avec l’exposition d’Adrien Vescovi au centre d’art Le Grand Café.

A ne pas manquer Quai des Antilles-HAB galerie, la nouvelle antenne du Frac des Pays de La Loire avec une invitation de Laurence Gateau sa directrice, à l’artiste belge, Rinus Van de Velde.  Son interview à suivre.

Infos pratiques :

Le Voyage à Nantes 2021

Suivez la ligne verte et votez pour le meilleur parfum !

Jusqu’au 12 septembre

Télécharger le parcours : plan

La majorité des sites est en accès libre 7J/7 de 10h à 19h

Création d’un pass 7 jours

Nantes en roues libres

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