Sarine Semerjian, Performance sans titre, 2024, au musée de Guiragossian au Liban, Courtesy de l’artiste, galerie Pauline Pouyfaucon, crédit photo Michel Fakhoury
Avec 41 galeries en provenance de 18 pays contre 29 galeries de 12 pays en 2024, cette 6ème édition de Menart Fair affiche des ambitions fortes dans les nouveaux espaces de la galerie Joseph, cette fois rue de Turenne. L’impression générale qui se dégage est un grand foisonnement, ce qui n’est pas forcément favorable à la lisibilité. Est-ce la configuration du lieu ? la scénographie ? cela demande un certain effort pour se repérer. Malgré tout de vraies découvertes sont au rendez-vous et il convient de saluer le message d’espoir que représente une telle initiative, la moitié des artistes présentés (38 sur 110) venant de zones de conflit ou d’une grande instabilité comme le souligne Laure d’Hauteville, fondatrice et directrice, désormais seule à bord après avoir été accompagnée par Joanna Chevalier comme directrice artistique.
Une édition toute en subtilité véritable « ode à la douceur » après avoir donné une priorité aux femmes artistes en 2024. On est loin du mainstream globalisé et ce contrepoint apporte une lecture nécessaire sur ces zones géographiques souvent perçues à travers des stéréotypes.L’art est véritablement ici affaire de résistance et de convictions personnelles. Un focus sur la Tunisie est proposé à travers la reprise de l’exposition d’art contemporain tunisien à l’Abbaye de Jumièges (Seine Maritime) « Le temps creuse même le marbre » sous le commissariat de Victoria Jonathan que j’avais interviewé à Jumièges en 2020 dans le cadre de Normandie Impressionniste (lien vers). Parmi les thèmes qui se dégagent de ce panorama très convaincant : les rituels, les savoir-faire ancestraux, les matériaux vernaculaires et traditions locales, les gestes et leur transmission. Une portée politique et identitaire autour de l’émancipation des femmes est également à l’œuvre dans un monde en profonde mutation. Cette version condensée de l’exposition originale est un véritable temps fort de la visite.

Chiraz Chouchane, Codex 19-20, 2020-2022, collage et photographies sur papier, dimensions variables Exposition « Le temps creuse même le marbre »
Mes coups de coeur parmi les galeries :
Galerie Dix9 Hélène Lacharmoise (Paris) : Esmeralda Kosmatopoulos
Issue d’un héritage multiculturel marqué par la tension entre Orient et Occident, le travail d’Esmeralda (née en 1981 en Grèce, vivant et travaillant entre Paris et Le Caire) s’ancre entre la Méditerranée et le monde arabe.
À travers ses installations monumentales, mêlant textile et sculpture, l’artiste développe un langage visuel singulier où dialoguent mythes grecs, poésie soufie et références contemporaines.
Dans les trois séries présentées, l’artiste explore la notion de féminité et interroge les stéréotypes qui façonnent la représentation des femmes dans nos sociétés.

Esmeralda Kosmatopoulos, You must shine everywhere you go (Madonna), 2022, céramique, tissu, bois, miroir, plume, métal, 160x75x75 cm courtesy de l’artiste, galerie Dix9
Hayāt al-Hayāt aborde un tabou : que signifie être femme sans donner la vie ? Les poèmes écrits et illustrés par l’artiste prennent corps à travers la broderie ou la gouache, évoquant la figure de la femme-serpent, symbole mythique d’une fertilité réinventée.
Avec Chimera, l’artiste revisite le mythe antique de la créature à plusieurs têtes pour explorer le lien complexe entre mère et fille. Inspirée par des textes classiques – de Platon à Hésiode en passant par Pline l’Ancien –, elle met en lumière une relation à la fois féconde et ambivalente, reflet d’une dualité que chaque femme porte en elle.
Enfin, Femme des années 80 interroge la construction de la féminité et les multiples stéréotypes, injonctions et modèles que la mère, la famille et la société projettent sur ce que signifie être – ou devenir – une femme.
Esmeralda fait partie de l’exposition Le Mystère Cléopâtre actuellement visible à l’Institut du Monde Arabe.

Kevork Mourad, Farewell, 2022, acrylique sur tissu de coton, 120 x 120 cm, photo d’installation 2022, courtesy Galerie Tanit, Munich, crédit de photographie : Christoph Knoch
Galerie Tanit (Beyrouth) : Kevork Mourad
Dans la poursuite de l’exposition « Imaginary Homeland » présentée cet été à la galerie Tanit.
Peintre et vidéaste, l’artiste syrien d’origine arménienne convoque la Syrie de son enfance. Son œuvre nourrie par l’exil et les grands mythes civilisationnels se veut une ode à la résilience. Il peint sa ville, Alep, en train de disparaitre dans un style calligraphique à l’encre blanche et des superpositions de toiles qui rappellent le caractère éphémère de nombreuses constructions dans le Moyen Orient. Une performance conçue avec des musiciens apporte une harmonie supplémentaire.

Aassmaa Akhannouch, L’oasis, de la série « Un monde oublié », 2023, cyanotype viré et rehaussé à l’aquarelle, 30×45 cm courtesy de l’artiste et Galerie Esther Woerdehoff
Galerie Esther Woerdehoff (Paris) : Aassmaa Akhannouch
L’artiste marocaine Aassmaa Akhannouch vit et travaille entre la France et Casablanca. Son œuvre explore la mémoire d’une enfance et d’un territoire à jamais perdus. En recourant à des procédés d’impression alternatifs, comme les tirages cyanotypes, souvent rehaussés de touches d’aquarelle, elle confère à ses images une dimension à la fois tactile et singulière. Au-delà de la simple démarche autobiographique, son travail fait surgir des impressions intemporelles où il est question d’un monde enfoui, prêt à ressurgir. Comme un refuge.

Elham Pourkhani, Untitled, 2025, gouache, aquarelle et feuille d’or de 24 carats sur carton, 110×90 cm, courtesy de l’artiste et Bavan Gallery
Bavan Gallery (Téhéran) : Elham Pourkhani
Elham Pourkhani (née en 1979 à Téhéran, Iran) est titulaire d’une licence en peinture persane. En s’appropriant d’anciennes miniatures et en les recontextualisant, elle leur donne une nouvelle vie à travers des éléments contemporains. Elle instaure un équilibre subtil entre ordre et désordre dans une narration dynamique avec des références à la littérature iranienne.

Johanne Allard, Circling Drones (Iraq), 2025, broderie à la main sur papier coton 320 g, 43×31 cm, édition 3/3 Courtesy de l’artiste et No/mad utopia
No/mad utopia (Beyrouth) : Johanne Allard
Née au Québec et installée à Beyrouth, Allard développe une pratique qui mêle broderie, motifs floraux et installations sculpturales, offrant de vibrantes réflexions sur la mémoire et le conflit, l’identité, la résilience.
Après son installation à Beyrouth, elle a enseigné l’art et le théâtre, mis en scène des pièces et rejoint en 2007 le Theater of the Oppressed Laboratory de New York. Ses ateliers destinés aux éducateurs et aux leaders communautaires à Beyrouth ont exploré le rôle de l’art dans le changement social et la guérison des communautés.

Mohammed Joha, Houseless No. 1, 2025, textile et technique mixte de collage sur toile, 46×55 cm Courtesy de l’artiste, Zawyeb Gallery
Zawyeh Gallery (Ramallah, Palestine/Dubaï, Emirates Arabes Unis) : Mohammed Joha
L’artiste palestinien Mohammed Joha pratique le collage comme une méthode et une métaphore. Ses assemblages de morceaux de tissu, de papier, de carton, de plastique et d’autres matériaux récupérés, de textures, de vêtements, dessinent des cartographies compressées et tumultueuses avec un sens de l’urgence palpable. Né à Gaza, Joha vit en Europe depuis plus de vingt ans. Pourtant, Gaza demeure profondément présente dans sa vie et son œuvre . Les coutures apparentes et les ciels plombés (gris) traduisent des décennies de violence et d’occupation.
Galerie Pauline Pouyfaucon (Paris) : Sarine Semerjian
L’artiste est syrienne-libanaise, d’origine arménienne, née à Toronto. Autodidacte, son langage est influencé par cet héritage multiculturel mêle dessin et performance. Pour elle l’acte performatif connecté à son retour dans son pays natal. « Into the Void » la série est comme un espace de retrait, une bulle dans laquelle elle nous invite à plonger. Une connexion intime et universelle, spirituelle et sensorielle, à portée émancipatrice.
Infos pratiques :
Menart Fair
du 25 au 27 octobre
116 rue de Turenne, Paris 3







