Judith Bellavance, Le grenier aux petites valises, Photaumnales 2025 courtesy de l’artiste
La 22ème édition des PHOTAUMNALES à l’initiative de Fred Boucher a pour thème « Habiter » cette année dans le cadre des 800 ans de la cathédrale de Beauvais. Le festival propose 25 expositions et essaime tout le territoire des Hauts-de-France : de Berck-sur-Mer à Creil en passant par le Beauvaisis. Temps fort avec la Saison France-Brésil et également le Québec (région de la Gaspésie) dans le cadre d’un échange artistique croisé entre Diaphane et les Rencontres de la photographie en Gaspésie. La photographe canadienne Judith Bellavance exposée à Clermont à l’Espace Séraphine Louis, s’est penchée sur les malades psychiatriques internés entre les années 1890 et 1990 et particulièrement les femmes au Centre hospitalier isarien à partir de la pratique des « petits cousus », ballots confectionnés à l’entrée des internés, jusqu’à leur sortie mais en réalité laissés et souvent oubliés. Le grenier aux petites valises est un projet sensible, qui revient sur les conditions d’enferment de la psychiatrie en France. Un nécessaire travail de mémoire collective qui rejoint celle de Séraphine de Sentis, elle-même internée à Clermont alors que l’exposition d’Agnès Geoffray à Arles cet été a rencontré un vif succès. Pour mener à bien ce projet, Judith a bénéficié d’une résidence de création.

Judith Bellavance photo Léo Bellavance
Quel a été le point de départ ?
Quand je suis tombée sur le grenier aux petites valises, j’ai réalisé qu’il me fallait absolument revenir pour développer ce projet. Je suis revenue cinq semaines en 2023 pour travailler plus en profondeur.
Le grenier aux petites valises, qu’est-ce que c’était ?
Le grenier aux petites valises est situé dans un pavillon désaffecté de l’enceinte du Centre hospitalier Isarien, qui est un des plus anciens centres de soins en santé mentale en Europe et l’un des plus grands.
Il s’est développé en périphérie, puis finalement, il a fini pour s’installer à Clermont. Il y avait une pratique quand on entrait en institution, on conservait les vêtements et les biens personnels des internés et on les emballait dans une pièce de vêtement qui leur appartenait. On leur cousait tout ça et si les gens ressortaient, on n’avait qu’à découdre le vêtement pour le reporter. On entreposait ça dans cette espèce de grenier. Comme plusieurs ne sont jamais repartis de l’institut, ils se sont incriminés sur plus de 100 ans dans cet espace-là. Les derniers petits cousus que j’ai vus datent de 1987.

Judith Bellavance, Le grenier aux petites valises, Photaumnales 2025 courtesy de l’artiste
Y avait-il des archives que vous avez pu consulter ?
Je pensais qu’il existait des archives où on avait consigné les biens, la liste des biens, mais non. J’ai trouvé des listes dans les dossiers médicaux. C’était préservé dans les dossiers médicaux et non pas à l’extérieur.
Dans les dossiers médicaux, j’ai trouvé de la correspondance.
J’ai trouvé des descriptions physiques parce qu’on ne photographiait pas, Je me suis particulièrement intéressée à des dossiers de femmes. J’en suis une et puis je trouve que l’histoire des femmes et de la santé mentale, ça dit beaucoup de choses. Comme c’est un sujet très, très, très vaste, j’ai choisi de ne pas remettre en question les pratiques médicales ou parler de pratiques médicales, parce que je ne voulais pas porter de jugement sur une époque qui est révolue. Je me suis plutôt intéressée aux liens que les internés avaient avec le monde extérieur ou tentaient de tisser avec le monde extérieur.
Ça a été ma façon de sortir un peu de l’oubli, tous ces gens-là. Parce que la première fois que je suis entrée là, j’ai vraiment eu l’impression d’être dans un cimetière de vies oubliées. Des destins très particuliers, des vies recluses et ensevelies dans la poussière du temps.

Judith Bellavance, Le grenier aux petites valises, Photaumnales 2025 courtesy de l’artiste
Un peu comme Séraphine de Senlis. Qu’est-ce que ça vous fait, d’être exposée dans le lieu lié à la mémoire de Séraphine ?
Je pense que c’est un projet qui appartient à la communauté et en même temps, c’est un projet plus vaste parce qu’il rejoint l’histoire de la psychiatrie et des vécus. Ce qui est particulier ici, dans une toute petite ville, est le nombre de personnes qui étaient internées, c’était presque la moitié de la population. Tout le monde a un oncle, une tante, un voisin qui y a travaillé. Il y a beaucoup de gens qui ont des parents qui ont été internés. C’était parfois difficile à aborder parce que la maladie mentale a longtemps été taboue. Je n’ai pas cherché à soulever tout cela.

Judith Bellavance, Le grenier aux petites valises, Photaumnales 2025 courtesy de l’artiste
Et vous, comment vous définiriez votre pratique, votre démarche ?
L’ensemble de mon travail de création tourne autour de la perte et de la disparition. Je suis fascinée par tout ce qui nous échappe. Je suis fascinée par les phénomènes de mémoire qui s’estompent, les choses qui disparaissent. Puis, quand je suis tombée sur ce sujet-là, il était pour moi. C’était totalement inscrit.
En général, mon travail est un peu plus poétique, plus métaphorique, mais là, le sujet était trop dense. J’ai vraiment tenté d’en révéler ou de l’aborder avec beaucoup d’intimité et de respect d’une certaine façon. Mais je ne pouvais pas jouer avec ce sujet-là.
Comment avez-vous entendu parler des Photaumnales ?
C’est par Claude Goulet, qui est directeur des rencontres de la photographie en Gaspésie et partenaire avec Fred Boucher pour les échanges.
C’est lui qui nous a mis en contact.
En Gaspésie, ils font de nombreux échanges et ont commencé à nouer des liens avec le Japon.
Site de l’artiste :
En savoir plus sur :
Les Rencontres de la photographie en Gaspésie
Infos pratiques :
PHOTAUMNALES, 22ème édition
Jusqu’au 31 décembre 2025
Le parcours :
https://www.photaumnales.fr/index.php/programme-2022
Pour les parisiens, PHOTAUMNALES s’affiche dans le métro avec la Ratp !