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L’enchevêtrement de la vie par Chiharu Shiota au Grand Palais 

Chiharu Shiota Accumulation – Searching for the Destination 2014 2024 Vue de l’exposition Chiharu Shiota The Soul Trembles, Grand Palais, Paris 2024
© GrandPalaisRmn 2024 / Photo Didier Plowy
© Adagp, Paris, 2024 and the artist

« Mon fil est le crayon avec lequel je dessine en trois dimensions » Ch. Shiota 

L’artiste japonaise Chiharu Shiota dépeint de manière récurrente l’enchevêtrement de la vie par l’utilisation évocatrice du fil, comme un flux de conscience. L’exposition itinérante « Les frémissements de l’âme » conçue au départ pour le Mori Art Museum de Tokyo en 2019 et qui s’installe au Grand Palais est un évènement, retraçant plus de 20 ans de sa pratique. La juxtaposition de ses réflexions poétiques sur les murs (dessins, performances, photographies, scénographies) avec les installations monumentales montre comment elle révèle une part d’elle-même dans chacune de ses œuvres, l’élément déclencheur étant ce souvenir d’enfance, l’incendie qu’elle aperçoit à l’âge de 9 ans dans une maison voisine de la sienne. Les odeurs de brûlé, les bruits des braises, la vue d’un piano calciné vont la hanter comme des images fantomatiques. Cela va donner lieu à « In silence » (2002). 

Chiharu Shiota, In Silence  2002-2024 Vue de l’installation : Shiota Chiharu: The Soul Trembles, Mori Art Museum, Tokyo, 2019 Photo: Sunhi Mang
Photo courtesy: Mori Art Museum, Tokyo © Adagp, Paris, 2024

Le choix du noir crée une atmosphère sombre dans la pièce, les fils entrelacées créant des ombres sinistres que l’on retrouve dans une forêt sombre que l’on ne peut pas espacer. Un piano brûlé et en décomposition se trouve à l’épicentre, stoïquement au milieu de rangées de chaises dépareillées de toutes tailles, elles aussi endommagées et brûlées. La corde recouvre le piano et les rangées de chaises, les empêchant d’être à la portée du spectateur. Cette scène illustre ce trauma de l’enfance, ces mailles et filets qui saisissent la mémoire et traduisent l’indicible. La pièce est comme réduite au silence au milieu d’une scène tragique qui est figée dans le temps avec le concert abandonné. Un dispositif que l’artiste rejoue à de multiples occasions selon les contextes. 

Chiharu Shiota, Uncertain Journey, 2021 Taipei Fine Arts museum, Taïwan photo Guan-Ming Lin © Adagp, Paris, 2024

L’usage du fil de couleur rouge est un autre élément important et symbolique que l’on retrouve dans de nombreuses œuvres d’art de Chiharu Shiota, la plus mémorable d’entre elles étant son installation « Uncertain journey », 2016. Des fils rouges tissés créent un réseau de nids semblable à celui d’Arachné, couvrant le plafond, rampant sur les murs et ruisselant sur des bateaux isolés au sol. Les bateaux sont constitués de cadres métalliques qui créent leur forme à partir de lignes et d’espaces vides, faisant écho à l’espace qui se dessine à travers les structures de fils. Les nids au plafond créent une tempête de nuages qui se préparent et se retrouvent sur chaque bateau. Comme si chaque étape du voyage de la vie s’accompagnait d’épreuves et de tribulations. 

L’exposition se penche sur la progression de sa pratique artistique à travers son départ du Japon et expatriation et l’influence décisive d’artistes femmes en qui elle se reconnait. Peintre à l’origine, elle s’est ensuite lancée dans un travail performatif inspiré par Marina Abramovic. Sa performance « Becoming painting » créé en Australie en1994 consistait à se couvrir de peinture rouge cramoisi et à se presser contre un panneau de toile. Dans cette œuvre, il n’y a pas de distinction entre l’art et elle-même, ils se fondent l’un dans l’autre, démontrant ainsi que l’acte de créer de l’art est une performance en soi et une catharsis.

L’installation de Chiharu Shiota à Berlin en 1997 a été une grande source d’inspiration pour son art, où elle s’est inspirée de la notion d’identité à partir de ses observations dans le lieu qu’elle considère désormais comme son chez-soi. L’installation de 2009 intitulée « Outside » est composée de fenêtres assemblées pour créer une façade qui s’inspire du mur de Berlin. Celui-ci était tombé vingt ans auparavant, mais il a laissé un impact durable sur la ville et ses habitants qui étaient autrefois divisés. L’interprétation de Chiharu Shiota est pleine d’espoir dans son symbolisme, évoquant l’expression « Quand une porte se ferme, une fenêtre s’ouvre ». Les fenêtres sont aussi un moyen de regarder de l’extérieur, de voir ce qui se passe dans la vie des autres.

L’idée d’atteindre les gens et de se connecter à eux est très importante dans la pratique artistique de Chiharu Shiota. Elle l’approfondit notamment à travers des œuvres d’art qui intègrent son utilisation du fil rouge. L’installation « Living inside » de 2022 (montrée au Musée Guimet) relie un large éventail de jouets d’enfants avec du fil. Elle évoque une perception nostalgique de ce que la maison représentait pour nous lorsque nous étions plus jeunes. Un cocon protecteur alors que le monde entier est en plein confinement. Un rappel de notre fragilité et nos interdépendances les uns les autres. Le corps est absent comme toujours. 

La dernière œuvre de l’exposition s’inspire de la première avec son titre similaire évoquant la notion de voyage. « Accumulation : Searching for destination » combine des valises qui sont suspendues dans l’espace comme si elles étaient en plein vol. Elles pendent du plafond avec du fil rouge, ce qui leur donne le même point de départ. Les valises sont un objet très symbolique pour représenter un voyage physique tel que l’émigration, où l’on doit y mettre tous les souvenirs d’une vie antérieure. Cependant, elles peuvent également être utilisées pour personnifier un voyage spirituel, intérieur. L’artiste soutient cette idée en projetant sur un écran un film où l’on demande aux enfants ce qu’est une âme et où on la trouve. Les enfants donnent aux visiteurs des réponses d’une naïveté juvénile étonnamment perspicace, affirmant qu’une âme n’est pas quelque chose que l’on peut voir et qu’il s’agit plutôt d’un sentiment.

Tout au long de cette exposition, les visiteurs peuvent explorer les tourments intérieurs de l’expérience humaine à travers les yeux de Chiharu Shiota. Ses œuvres d’art s’inspirent de ses expériences personnelles (le trauma infantile, l’éloignement de ses racines, le cancer) et de ses réflexions sur les différentes directions prises par sa vie. La symbolique de l’âme humaine comme une corde qui tremble sous les mains de la toile que Chiharu Shiota a tissé à travers le Grand Palais.

Phoebe Wilson- Marie de la Fresnaye

Infos pratiques : 

Chiharu Shiota

The Soul Trembles 

Jusqu’au 19 mars 2025 

Commissariat : 

Mami Kataoka, Directrice, Mori Art Museum, Tokyo

Cette exposition est co-organisée par le GrandPalaisRmn, Paris et le Mori Art Museum, Tokyo.

Catalogue 

208 pages
150 illustrations, 25 euros 

https://editions.grandpalaisrmn.fr/fr/editions

Billetterie : réservation indispensable 

Plein tarif : 14 €

https://www.grandpalais.fr/fr/evenement/chiharu-shiota

Version anglaise :

The entanglements that life entails is recurrently portrayed with the evocative use of wool yarn by Japanese artist Chiharu Shiota, as a stream of consciousness. The travelling exhibition “The Soul trembles”, originally conceived for the Mori Art Museum in Tokyo in 2019 and taking place at the Grand Palais, is a major event, retracing more than 20 years of his practice. The juxtaposition of her poetic reflections on the wall with her monumental installations demonstrates how she reveals a piece of herself with each of her artworks. The trigger was a childhood memory of a fire she saw in a neighbouring house at the age of 9. The smell of burning, the sound of embers and the sight of a charred piano haunted her like ghostly images. This gave rise to ‘In silence’ (2002).

The choice of black colour creates a somber atmosphere in the room as the interwoven string creates sinister shadows found in a dark forest you can’t espace. A burnt decaying piano sits at the epicentre, stoically amidst rows of mismatched chairs of all sizes that are also damaged and burnt. The string covers the piano and rows of chairs, obstructing them from within the viewers reach. This scene depicts one of the artist’s most striking childhood memories when her neighbours’ house caught fire and among the remains stood their charred and silent piano. The room is as though silenced amidst a tragic scene that is frozen in time with the abandoned concert. 

Red colour is also an important and symbolic element found in many of Chiharu Shiota’s artworks, the most memorable of them being her “Uncertain journey” installation, 2016. A woven red canvase creates an Arachne like web of nests covering the ceiling, creeping onto the walls and trickling down onto isolated boats on the floor. The boats are made up of metal frames that create their shape through lines and empty space, echoing the space poking through the string structures. The nests on the ceiling create a storm of clouds that are brewing and finding their way onto each boat. As though each stage in the journey of life comes with its trials and tribulations. 

The exhibition delves into the progression of her artistic practise through her changing environment and influential artistic peers. She was originally a painter but then delved into performative work inspired by Marina Abramovic. Her 1994 “Becoming painting” performance consisted of covering herself in crimson red paint and pressing herself back facing a canvas panel. There is no distinction between the art and herself in this piece they merge into one, demonstrating how the act of creating art is a performance in itself. 

Chiharu Shiota’s move to Berlin in 1997 was a great source of inspiration for her art where she drew upon the notion of identity from her observations in the place she now called home. The 2009 installation titled “Outside” is made up of assembled windows to create a facade that draws upon the Berlin Wall. It had fallen twenty years prior but it left a lasting impact on the city and its people that were once divided. Chiharu Shiota’s interpretation is hopeful in its symbolism evoking the expression “When a door closes, a window opens.” Windows are also a means to look in from the outside, to see what’s going on in other people’s lives. 

The idea of reaching out and connecting to people is very important to Chiharu Shiota’s artistic practise. This is notably delved into through artworks incorporating her infamous use of red yarn. The 2002 “Living inside” installation binds together a wide array of children’s toys with it. This evokes a nostalgic perception of what home meant to us when we were younger. A protective cocoon at a time when the whole world is in total lockdown. A reminder of our fragility and interdependence. The body is absent as always.

The final artwork of the exhibition draws upon the first one with its similar title evoking the notion of journey. “Accumulation: Searching for destination” combines suitcases that are suspended in space as though mid flight. They dangle from the ceiling with red yarn, giving them the same starting point. Suitcases are a very symbolic object to portray a physical journey such as emigration where you have to fit in it all your memories of a previous life . However they can also be used to personify a spiritual, internal journey. This idea is supported by the artist with a screen in the room projecting a film where children are asked what a soul is and where do we find it. They provide visitors with a youthful naivety in their answers that is surprisingly insightful, stating that a soul is not something you can see as oppose to it being more of a feeling. 

Throughout this exhibition the visitors are able to explore the inner torment of the human experience through the eyes of Chiharu Shiota. Her artworks draw from personal experiences (childhood trauma, cancer) and reflexions in the different journeys of her life. The symbolisation of the human soul as a string trembles at the hands of Chiharu Shiota’s web she has weaved across the Grand Palais.