Automobiles, pétrole et héros sportifs au MAC VAL

Vue exposition « Humain Autonome : Déroutes » MAC VAL photo Salim Santa Lucia

Si le philosophe et sémiologue Roland Barthes considère l’automobile comme un mythe, une sorte de cathédrale gothique, la voiture reste-t-elle aujourd’hui un symbole de liberté ou d’aliénation ?. C’est l’une des questions soulevée par la passionnante exposition du MAC VAL « Humain Autonome : Déroutes » proposé par les 3 commissaires : Marianne Derrein, Sarah Ihler-Meyer et Salim Santa Lucia alors que le projet a connu d’autres occurrences dont une exposition en 2023 à la Condition Publique (Roubaix) intitulée « Fossiles Mécaniques ». Les Trente Glorieuses ayant montré leurs limites, quel paysage aujourd’hui dessine cet accessoire synonyme de réussite qui, selon la culture populaire, publicité et cinéma renvoie à des connotations volontiers genrées et stéréotypées. Le virilisme supposé du conducteur d’une belle cylindrée selon le récit américain de la Conquête. Des valeurs ambivalentes et des récits périphériques émergent des propositions de la cinquantaine d’artistes choisis, dans une pluralité d’écritures et de mediums. Un panorama chaotique pour signifier des niveaux de lecture ouverts et non linéraires. Le parcours ouvre sur l’impressionnante installation de Delphine Reist autour des énergies fossiles qui se déversent dans le sable, tandis que la carcasse de Citroën de Thomas Teurlai (et non DS) envoie des signaux à vide au milieu des créatures cyborgs de Diego Bianchi. Plus loin ce sont les « Chevrolet intérieur cuir » de Laurent Faulon détournées, transformées, pour en faire ressortir les constituants pétrochimiques (mousse polyuréthane expansive) tandis que les images d’objets récupérés passés au scanner de Lucie Stahl sont recouvertes de résine et mélangées à des parties de son corps, dérives d’un système capitaliste de l’exploitation. Frieda Toranzo et Martha Rosler s’emparent du male gaze et de la masculinité toxique liées à l’automobile. Cynisme affiché avec Hans Haacke avec l’installation Creating consent constituée d’un baril de pétrol de chez Mobil couronné d’une antenne de TV avec comme inscription : « We spent $ 102 millions last year in adverstising. We just want to be heard. » soulignant les liens puissants entre mécénat et parrainage des multinationales dans les univers de l’art et du divertissement. Cela renvoie à la récente controverse liée au soutien du groupe British Petroleum au Tate museum qui vient de s’achever.

Vue exposition « Humain Autonome : Déroutes » MAC VAL photo Salim Santa Lucia

Focus autour de l’artiste Alexandra Bircken qui avait bénéficié d’un solo show au Crédac en 2017 et dont l’univers autour de la moto et des armes nous parle des corps comme des enveloppes, des greffes, des frontières pour aborder le transhumanisme ou des questions sur le genre. Stéphanie Cherpin avec son siège de voiture cramé et reste de veste, T shirt, fragments divers qu’elle collecte et remixe .. Comme une scène de fait divers ou de débordement nocturne « Danse sur moi » dans une esthétique du bricolage laisse un arrière- goût acide. De même avec AK Burns et son avant-bras fiché d’une tige métallique qui nous tend un bidon lumineux rempli d’un liquide à la couleur inquiétante. Le conducteur de Thomas Bayrle ressemble à un gros insecte avec ses essuie-glaces.

Vue exposition « Humain Autonome : Déroutes » MAC VAL photo Salim Santa Lucia

Anita Molinero dessine des ruines contemporaines à partir de matériaux toxiques industriels. La photographie est évoquée avec Willy Ronis avec la grève Citroën-Javel de 1938 ou Lothar Baumgarten « Missouri Pacific System Lewis Clark Viaduc Kansas City » parti sur les traces des premiers chemins de fer ayant permis la progression vers l’Ouest et les anciens vestiges d’une station d’essence. Tobias Zielony se penche sur un groupe de jeunes regroupés une aire d’autoroute dans un halo lumineux, un bref élan communautaire, moments de liesse partagés aussi avec Julie Hascoët et les festivaliers des Murs de l’Atlantique. Sara Sadik avec la vidéo Khtobtogone détourne le jeu G.T.A pour décrire une histoire d’amour qui se passe à Marseille autour du personnage de Zine et les stéréotypes de la masculinité.

Sara Sadik, Khtobtogone, 2021, videostill courtesy the artist

Dans une veine plus textile Malala Andrialavidrazana, Planisphère élémentaire, interroge les échanges interculturels et les circuits de diffusion mondialisés invitant à une décolonisation des imaginaires. Suzanne Husky également présente avec des céramiques, avec le tapis Protect the sacred imagine des éléments de domination à travers les époques.

L’artiste Matthew Angelo Harrisson mêle des artefacts d’art africain au sein de blocs de résine pour dénoncer la captation coloniale d’objets. Nous sommes loin du motif de départ soulignant ainsi la polysémie du sujet et ses ramifications multiples. Une exposition à aller voir sans plus attendre !

Commissariat général Nicolas Surlapierre

Commissariat Marianne Derrien, Sarah Ihler-Meyer, Salim Santa Lucia Commissariat associé Frank Lamy.

-Qu’en est-il des héros sportifs ?

Le Mac Val se livre à l’exercice obligé du quart d’heure olympique de façon humoristique et décalée avec « Trophées/ Trop faits » titre qui souligne la compétition et surenchère. Les coupes tordues de Jean-Baptiste Ganne « Détumescence » (terme médical pour désigner les problèmes érectils), ballons dégonflés de Thierry Fontaine, le combat de boxe d’Ivan Messac, la coupe devenue cendrier de David Ancelin ou les noix de cocos transformées en ballons de football du « Fabricant de rêve ». Tous ces rêves brisés de jeunes restés sur le banc de touche. Jusqu’au memento mori d’Ali Boillot Ad vitam, moule en faïence immergé au large de Marseille selon le rituel des cendres dispersées en mer. La vidéo de Cécile Paris, Le bel été nous entraine dans la chorégraphie d’une troupe de majorettes maladroite le long d’un canal. Invitation à prendre la clé des champs !

A noter que l’artiste Marina De Caro est actuellement en résidence dans le cadre des Jeux Olympiques pour créer une grande fresque.

-Les nouvelles acquisitions « Porter notre part de la nuit » :

Coup de cœur pour cette expo bijou dont le titre est emprunté à Emily Dickinson avec Juliette Minchin, Mathilde Denize, Thu-Van Tran, Gözde Ilkin, Loup Sarion. Que des artistes qu’on aime…

-Hommage à Vera Molnár autour d’un recueil d’estampes intitulé Cent Croix et publié à l’occasion de son centenaire.

Et pour terminer avec Emily Dickinson

« Porter notre part de la nuit –
Notre part du matin –

Emplir notre blanc de bonheur
Notre blanc de dédain –

Etoile par-ci, étoile par-là

Certains s’égarent !

Brume par-ci – brume par là –

Après – le Jour ! »

Relire mon interview avec Nicolas Surlapierre autour de son exposition-accrochage autour de la collection « L’œil vérité ».

Infos pratiques :

Humain Autonome : Déroutes

Trophées/ Trop faits

Porter notre part de la nuit

Cruciformes : hommage Véra Molnar

L’œil vérité

Jusqu’au 2 décembre

Expositions (macval.fr)