Parasite 2.0 Présences, © Elena Tredici Villa Arson 2024
Dans une perspective d’ouverture à d’autres pratiques artistique : la BD avec Chantal Montellier, autrice injustement invisibilisée, le street art avec le collectif Canemorto, la Villa Arson s’inscrit également dans une dynamique de relecture de son histoire et son patrimoine architectural avec l’invitation faite au collectif Parasite 2.0 qui s’inspire de la biographie du premier occupant de la Villa, Pierre-Joseph Arson dans une réinterprétation contemporaine. En termes de projection, Sylvain Lizon, directeur, se félicite de l’attractivité renforcée de l’établissement, son internationalisation croissante et le développement de nombreux projets de coopération avec le Brésil, Singapour, le pourtour méditerranéen, l’Iran et en 2025 l’accueil d’artistes palestiniens en lien avec l’Institut français de Jérusalem et le partenariat renforcé avec Cove Park, remarquable lieu de résidence en Ecosse, dans le cadre du programme Magnetic développé avec l’Institut Français du Royaume-Unis et le soutien de Fluxus Art Projects (fonds franco-britannique pour l’art contemporain). Une volonté d’élargir les regards et les récits alors que l’accompagnement et le soutien aux jeunes diplômés initié pendant le Covid 19 est poursuivi en s’élargissant dans le cadre du programme « Rouvrir le monde » (Ministère de la culture, DRAC PACA). La question du changement climatique est également au cœur des enjeux de la Villa Arson dont le parc apparait aujourd’hui comme espace de respiration pour les habitants et un véritable conservatoire du vivant. Autant de projets très impactants que nous décrypte Sylvain Lizon.
Chantal Montelier, Wonder City © Chantal Montellier
Marie de la Fresnaye. L’exposition de Chantal Montellier par Eric Mangion: quel regard porter sur son travail ?
Sylvain Lizon. Le projet a initialement été porté par Vanina Geré, professeure de théorie à la Villa Arson et Frédéric Wecker, professeur à l’ENSAD Nancy qui travaillent depuis longtemps sur la Bande dessinée et notamment sur l’œuvre de Chantal Montellier. Il était donc heureux qu’Eric Mangion réponde favorablement à cette proposition qui permet à la Villa Arson de s’intéresser, et pour la première fois dans son histoire, à une autrice de BD qui conçoit ses scénarios, dessine, met en couleur en parfaite autonomie et dont les sujets entrent en résonance de manière forte avec les enjeux portés par les jeunes artistes en formation à la Villa Arson. C’est aussi une façon de mettre en lumière une figure de la BD contemporaine qui pour de multiples raisons liées à son parcours, son engagement, a été invisibilisée ou mise à l’écart bien qu’elle soit très active notamment par le biais du prix Artemisia dont elle est l’initiatrice et qui récompense chaque année une autrice dans le champ de la BD. C’est donc un juste retour des choses et une ouverture nouvelle pour la Villa avec l’occasion d’une collaboration avec le MAMCO (Genève) qui avait proposé une première version de l’exposition.
Chantal Montelier Ah! Nana interdit par des hommes 1978 © Chantal Montellier
MdF. Vittorio Parisi est le commissaire de Parasite 2.0, collectif d’architectes et de designers qui s’empare des espaces de la Villa Arson : quels enjeux ?
SL. Parasite 2.0 est un collectif d’artistes, designers et architectes qui travaille en lien avec les sites et l’architecture. Or il se trouve que nous sommes depuis deux ans engagés sur un programme au long cours qui vise à rénover le bâtiment, améliorer et augmenter les manières de vivre et d’y travailler. L’établissement qui a ouvert en 1970, nécessite des opérations de rénovation importantes. C’est aussi l’occasion de mieux valoriser et protéger le site. Nous avons dans cette optique, lancé une étude à large spectre qui intègre un volet patrimonial. doit également conduire à une meilleure reconnaissance de l’œuvre de l’architecte (Michel Marot).Villa Arson est une œuvre emblématique de l’architecture 20ème siècle dont il s’agit d’assurer une meilleure protection et valorisation tout en maintenant la capacité du lieu à accompagner des évolutions de la création, comme il l’a toujours fait depuis 50 ans. Dans ce cadre, l’invitation faite à Parasite nous semblait tout à fait intéressante en offrant au visiteur la possibilité de porter un regard différent sur cette œuvre architecturale. Ils sont intervenus à différents endroits du bâtiment notamment les terrasses en proposant des contrepoints, par des formes d’augmentations comme s’ils venaient poser des greffes ou des sortes d’extensions sur l’architecture elle-même. Ils font une lecture décalée, teintée d’ironie, de légèreté qui vient contraster avec la rigueur et l’orthogonalité brutaliste.
Portrait de Sylvain Lizon @Hubert Crabières
MdF. Vittorio Parisi est également le commissaire de CANEMORTO la recherche de l’œuvre absolue : quelles résonnances avec le projet de la Villa Arson?
SL L’invitation à ce collectif issu cette fois du street art s’inscrit dans une volonté d’ouverture et d’élargissement des disciplines de l’établissement, la question de l’art urbain ayant été pour l’instant peu voir pas valorisée. Ils se sont inspirés du site et de son histoire liée à la biographie de Pierre-Joseph Arson qui comme beaucoup degrands bourgeois de l’époque, se passionnait pour l’occultisme, prêtant notamment des vertus particulières à son jardin. Il se fait approcher par un mathématicien polonais (Józef Hoene-Wroński) qui, moyennant le versement d’une rente, lui promet d’accéder au secret de l’Absolu. Comprenant assez rapidement les limites de cette entreprise, il décide d’intenter un procès qui va se jouer au tribunal de Nice. Ce procès connaitra un retentissement national notamment à travers une chronique d’Honoré de Balzac qui en fait un court roman intitulé à la « Recherche de l’absolu », publié en 1839, qu’il transpose dans le nord de la France et qui raconte ce procès, à partir du personnage de Pierre Joseph Arson qui gagne au final son procès. Les Canemorto trouvent prétexte dans cette histoire pour construire leur fiction autour de la Recherche de l’œuvre absolue avec une certaine ironie. Leur création prend la forme d’un recueil de différents éléments glanés sur le site de la Villa et en ville, donnant l’occasion d’une déambulation traduite dans un film. Ces éléments leur permettent la fabrique d’une œuvre qui leur ouvrirait les portes du Louvre. Le film est projeté ainsi qu’un ensemble de sérigraphies grand format déployées dans le passage des Fougères.
CANEMORTO © Simun Haze CANEMORTO
Cet autre collectif d’artistes émergents qui vient plutôt du street art, puise dans l’histoire du site opérant une boucle avec les enjeux patrimoniaux de la Villa et la façon dont l’histoire et les grands personnages qui l’ont traversé en deviennent un matériau pour les artistes d’aujourd’hui.
MdF. Quel bilan faîtes-vous de cette année ?
SL. Cette année a été très riche et a permis du point de vue de la formation une attractivité renforcée de l’établissement, avec le doublement du nombre de candidats. Nous avons aussi constaté une forte augmentation du nombre d’étudiants internationaux de plus de 80% par rapport aux années précédentes. Le développement de projets de collaboration internationale se manifeste tant dans la formation que la recherche avec l’ouverture d’un programme de travail avec la NABA à Milan. Nous favorisons aussi une ouverture plus large dans le cadre du programme de résidences avec le développement de collaborations nombreuses avec des institutions que ce soit au Brésil, à Singapour, avec le pourtour méditerranéen (Tunisie, Algérie, Maroc, Liban) mais aussi l’Iran. Cela permet aux étudiants d’être en contact avec des artistes venant de scènes internationales avec lesquelles ils sont peu ou pas en lien. Cela génère des possibilités de flux, d’échanges et de regards sur d’autres formes, d’autres récits.
MdF. Quels projets vous animent ?
SL. Tout d’abord nous souhaitons prolonger cette dimension d’ouverture internationale avec aussi le lancement d’un programme qui va permettre l’accueil en 2025 d’artistes palestiniens dans le cadre d’un appel à projets initié par l’Institut français de Jérusalem, « SAWA SWA » (qui veut dire Ensemble). De plus, il s’agit de consolider le programme franco-anglais Magnetic qui nous associe avec un très beau lieu de résidence en Ecosse, Cove Park. En plus du programme Le Nouveau Grand Tout avec l’Italie auquel nous sommes associés, nous allons nous ouvrir vers de nouvelles destinations avec la galerie Pivo à Sao Paulo faisant suite à la collaboration entamée avec la Biennale.
L’autre enjeu important est le recrutement en cours pour la direction du Centre d’art qui va permettre de donner une nouvelle dynamique dans une articulation renforcée entre la programmation artistique, la formation et la recherche. En ce qui concerne les activités liées aux rencontres avec les publics, nous assistons à une nouvelle occurrence du programme de soutien aux artistes « Rouvrir le monde » initié par le Ministère de la culture (piloté en région par la DRAC PACA) pendant le confinement qui s’est prolongé, permettant à des jeunes de la Villa Arson de travailler sur un format de résidences de création et de médiation qui va concerner 26 artistes solo et 5 duos dans plus de 35 structures (autres que celles dédiées à l’art) comme des foyers ruraux, des Ephad, centres sociaux, etc. des Alpes Maritimes et au-delà. Des moments essentiels en termes de professionnalisation de nos diplômés. Nous lançons aussi un programme pilote avec le collège Fabre, situé à Nice Nord, juste au-dessus de la Villa, avec qui nous avions déjà des liens, intitulé « Notre école faisons-la ensemble ». Ce programme qui s’inscrit sur 5 ans prend une envergure tout à fait nouvelle.
De plus, la Villa Arson s’inscrit pleinement dans la question de la transition écologique et climatique en 2024-2025 par le biais de la formation de l’ensemble de ses étudiants et personnels avec comme enjeu de projeter l’établissement à la fois comme lieu identifié pour la création contemporaine et l’architecture et aussi un véritable poumon vert et espace de respiration au sein d’un environnement urbain qui s’est fortement densifié. Une dimension qui entre en résonance avec l’engagement de la ville de Nice et sa métropole autour de ces thématiques avec par exemple le prolongement de la promenade plantée, et qui va passer par un inventaire de la faune, de la flore et une plus large ouverture de la villa Arson à tous les publics. Dans ce sens nous favorisons l’organisation de programmations et d’évènements en privilégiant des expériences de rencontres à l’image de la dernière séquence des rendez-vous au jardin. L’enjeu est que la Villa soit un espace de vie et de respiration à la fois pour les habitants proches et toute personne de la métropole qui souhaite venir profiter du parc et des jardins. Une projection dans le futur qui implique de s’engager dans un certain nombre de mesures d’accompagnements pour protéger le vivant et tous les non-humains qui peuplent ce site extraordinaire.
Infos pratiques :
Qui a peur de Chantal Montellier ?
Parasite 2.0 – gently brut
Canemorto, la recherche de l’œuvre absolue
Jusqu’au 25 août 2024
Villa Arson Nice ministère de la Culture Université Côte d’Azur (villa-arson.fr)