Stéphanie Airaud, [mac] Marseille : « Les artistes femmes questionnent avec humour et âpreté les valeurs du sport en soulignant le commerce des corps, les impensés coloniaux, les stéréotypes de tout ordre (..) »

Portrait de Stéphanie Airaud, DR

Conservatrice en chef du patrimoine – Directrice du [mac] – Musée d’art contemporain de Marseille depuis juillet 2023, Stéphanie Airaud participe à l’ambitieuse exposition tripartite Des exploits, des chefs-d’œuvre à l’initiative du Frac Sud (Muriel Enjalran). Elle revient sur ses échanges avec Jean-Marc Huitorel, commissaire et sa volonté de favoriser une meilleure représentativité des artistes femmes à cette occasion, ce qui rejoint son projet pour le musée qui engage un nouveau chapitre depuis sa réouverture. Stéphanie Airaud souhaite également favoriser les partenariats avec l’ensemble des institutions marseillaises dans des dialogues croisés. Selon un prisme à la fois formel et conceptuel très abouti le parcours centré sur la peinture aborde une pluralité d’enjeux liés aux assignations et aux stéréotypes, au culte du héros et des corps, à la fétichisation.. avec un focus dédié à la fascination de Julien Beneyton pour le champion de boxe Jean-Marc Mormeck. Stéphanie Airaud a répondu à mes questions.

Des exploits, des chefs d’oeuvre vue de » Tableaux d’une exposition » [mac] photo Marc Domage

Marie de la Fresnaye. En quoi « Tableaux d’une exposition » s’inscrit dans le programme que vous défendez pour le mac ?

Stéphanie Airaud. « Tableaux d’une exposition » est le troisième volet de l’exposition Des exploits, des chefs-d’œuvre labellisée Paris 2024, initiée par le Frac Sud – Cité de l’art contemporain à Marseille. C’est un projet de dimension nationale et internationale qui repose sur une dynamique partenariale. L’exposition est co-construite avec deux structures culturelles phares du territoire, à savoir le Mucem et Frac sud évidemment. Nouvellement arrivée à Marseille, il m’a semblé tout à fait opportun et naturel d’amener le mac à jouer un rôle actif dans ce collectif. Mon expérience de plus 15 ans au MAC VAL, le premier musée en banlieue parisienne, m’a convaincue de la nécessiter de mutualiser nos forces, nos idées, nos énergies pour proposer aux publics une offre de qualité et aux artistes une plateforme d’expérimentation et de rencontres. J’ai accompagné Jean-Marc Huitorel, commissaire général de l’exposition, avec confiance et bienveillance, adhérant à 100 % à son désir de construire, à partir des artistes invités, des ensembles monographiques signifiants qui dessinent pour les publics des chemins de compréhension et d’appropriation précis et généreux. D’autre part, nous avions le souci de parvenir à relever le taux d’artistes femmes présentées au musée. Ainsi, Nina Childress, Mariam Abouzid-Souali, Johanna Cartier, Susanne Strassmann, Maryline Terrier partagent les cimaises du musée avec Adam Adach, Noel W. Anderson, Christian Babou, Jean Bedez, Julien Beneyton, ou encore Raoul De Keyser, Barry Flanagan, Jef Geys, pour ne citer qu’eux. La parité n’est pas atteinte mais c’est pour moi un horizon que je cherche à atteindre pour le développement de la collection et la programmation artistique à venir. Cet opus de l’exposition Des exploits, des chefs-d’œuvre est centré sur la peinture et ses développements. Elle rassemble en effet un ensemble d’œuvres telles que les musées des Beaux-Arts les proposent, des peintures certes, mais des dessins également, des photographies tout autant, qui toutes, par le biais du sport, interrogent les régimes de représentation qui leurs sont propres. L’exposition se fait l’écho de la vocation plus pédagogique qui est celle du musée depuis sa rouverture au mois d’avril 2023. Accueillis en extérieur par les sculptures imposantes de Stefan Rinck puis, à l’intérieur par le bronze de Barry Flanagan publics sont ainsi invités à se plonger sur un mode contemplatif dans une histoire de la modernité, ou post modernité, en peinture au prisme du sport.

Des exploits, des chefs d’oeuvre vue de » Tableaux d’une exposition » [mac] photo Marc Domage

MdF. En quoi le rôle et la place des artistes femmes sont-ils importants pour réécrire ce grand récit sportif ?

SA. Comme évoqué plus haut, les artistes femmes de cette exposition prennent une place tout à fait naturelle, se joignent aux récits proposés, pour certains militants, politiques, portant l’attention sur des hors champs tels que le handisport, la relecture des grands récits mythologiques dans lesquels s’ancrent l’olympisme. Comme d’autres, elles questionnent avec humour et âpreté les valeurs du sport en soulignant le commerce des corps, les impensés coloniaux, les stéréotypes de tout ordre.

MdF. En ce qui concerne la vie des collections, quelles priorités vous animent ?

SA. Mon parcours professionnel m’a jusqu’à ce jour amené à considérer les publics comme des partenaires de l’expérience de visite, des « spectateurs émancipés », voir des co-auteur.ices possibles des savoirs. Aussi, j’ai à cœur de poursuivre l’effort de clarté mis en œuvre dans le parcours des collections en allant vers une plus grande accessibilité des contenus, des récits partagés, nourris d’archives, de paroles d’artistes, de points de vue critiques portés par des experts et non experts. C’est un travail de fonds qu’il faut inscrire dans le temps, et dont l’avancée se mesurera à l’occasion des réaccrochages progressifs de la collection.

Je souhaite également faire la place à des croisements, des dialogues anachroniques entre des œuvres contemporaines et les collections des musées d’art ancien, décoratifs, extra-européens de la Ville de Marseille, avec qui le mac partage un inventaire commun. Cette approche transhistorique offre la possibilité d’une approche anthropologique et culturelle de l’art. Révéler les contextes de productions, les vies possibles des œuvres et des artistes en-dehors des cimaises des musées, leur trajectoires institutionnelles, leur agentivité dans le monde, sont pour moi des moyens de penser autrement la fonction du musée.

La vie des collections, c’est aussi celles à venir. Les stratégies de développement de la collection sont plurielles : dépôts, dons, itinérances, acquisitions, autant de moyens d’ouvrir la porte à un plus grand nombre d’artiste femmes, de plasticiens.iennes issu.e.s du bassin méditerranéen et donc à des récits renouvelés.

Infos pratiques :

Des exploits, des chefs-d’œuvre

Volet

Tableaux d’une exposition [mac] 

Du 26 avril au 8 septembre 24

Des exploits, des chefs-d’œuvre. Tableaux d’une exposition | Musées de Marseille | Ville de Marseille

Autres opus à découvrir :

« L’heure de gloire », Frac Sud

« Trophées et reliques » mucem