Rirkrit Tiravanija, Untitled (demain est la questions), 2015 courtesy de l’artiste et Galerie Chantal Crousel Paris photo Florian Kleinefenn
La fondation d’entreprise Lafayette Anticipations porte un titre évocateur parfaitement en phase avec le titre de la nouvelle exposition de sa directrice Rebecca Lamarche-Vadel, cette faculté d’anticiper ou non qui nous anime face à un avenir toujours plus incertain que nous cherchons à circonscrire, deviner et pourquoi pas maîtriser. « Coming Soon en attendant demain » nous invite aux côtés des artistes à une traversée transhistorique sous la forme de différents scénarios. Les augures, les présages, les figures fantômes peuplent tout l’espace de la fondation devenue caisse de résonances de nos angoisses, doutes, appréhensions, le futur devenant comme un esprit animé qui vient frapper à nos consciences. Pour cela il faut nous débarrasser d’un certain nombre de certitudes pour se laisser chuchoter à l’oreille par le dieu égyptien Ptah (stèle du Louvre) comme un viatique pour les transformations à venir. Qui sont les oracles de notre temps ? interroge l’artiste cyberpunk Chino Amobi, tandis que Marguerite Humeau voit en les plantes des êtres remarquables dotés de capacités régénératrices, Alexandre Chira se penche sur les pratiques de transmissions énergétiques dans la Roumanie rurale ou Bollo Pierre Tadios sur les divinations mythologiques mambila (Cameroun) à partir du pouvoir de communication des araignées.
Le 2ème chapitre du parcours se penche sur différentes stratégies de déchiffrement de l’avenir comme la cafédomancie avec l’autrice Romany Marie qui animait un café dans la bohème new yorkaise des années 1920, le tarot divinatoire de la surréaliste Leonora Carrington revisité par l’artiste et medium Lisa Signorini ou les rituels d’écriture automatique de Martine Syms à partir du trèfle amulette, le Charm, doté de pouvoir sur la vue et la créativité selon le folklore italien.
Le 3ème chapitre explore différents artistes et pratiques visionnaires plaçant au même niveau les Simpson devenus oracles des technologiques contemporaines que Jules Vernes et ses inventions visionnaires ou encore l’artiste et guérisseuse Emma Kunz, Neil Beloufa et son sitcom télévisuel autour d’une étrange pandémie qui oblige la population à se mettre en quarantaine. Autant dire, le grand écart !
Au 4ème chapitre il est question de violence et d’angoisse avec l’installation de Benoît Piéron autour d’une laverie automatique, objet synonyme d’ennui et d’attente, la fresque d’acier énigmatique de Sung Tieu autour des menaces environnementales et manipulations de l’opinion, tandis que la peinture bleue de Xinyi Cheng évoque la tristesse et la fenêtre d’un horizon sans fin de nos vies alors confinées.
Le 5ème chapitre dessine des fantasmes, contre-récits et stratégies de contournement éventuelles face à l’avenir dans un dédale labyrinthique avec la vidéo hypnotique de John Akomfrah, fondateur du Black Audio Film Collective, dont l’œuvre expérimentale The Last Angel of History revient sur le mouvement afrofuturiste perçu comme une projection hors de la domination coloniale empruntant différentes sources à la philosophie, la science-fiction, la cyberculture. John Akomfrah est un immense artiste que j’ai découvert à la Tate de Londres qui a la faculté de nous embarquer dans des épopées qui pointent les failles de la grande histoire. Il vient d’être choisi pour représenter le Royaume Uni à la prochaine Biennale de Venise ! Egalement soulignons les bateaux suspendus et flottants de Nina Beier, symboles de ces paquebots polluants d’un tourisme devenu obscène…
Le chapitre suivant interroge notre faculté à maîtriser l’avenir avec notamment une vision de chaos domestiqué à partir de l’installation de Stéphanie Brossard : « Intempéries » soit une baignoire qui se remplit au fur et à mesure des cyclones de la Réunion, selon ses souvenirs d’enfance sur l’île. Autres souvenirs d’enfance ceux de l’artiste Diamond Stingily : la batte de base-ball utilisée par sa grand-mère pour se prémunir d’éventuelles intrusions et toujours placée devant la porte. La « Time Machine » de l’artiste et ingénieur George Widener diagnostiqué Asperger à 32 ans, témoigne de ses obsessions autour de la prédiction d’évènements historiques.
Est-il possible de réinventer le futur ? Tel est le questionnement soulevé par les œuvres des derniers chapitres comme la très belle série photographique de Bas Jan Ader à valeur de testament juste avant sa mort à bord d’un voilier traversant l’Atlantique. Les enfants « manifestants » de Philippe Parreno ou les adolescentes « radicales » de Cécile B. Evans tentent d’inventer un autre réel alors que l’œuvre en funambule de Bridget Polk issue d’une performance régulièrement rejouée sur le plateau-terrasse supérieur de la fondation invite au lâcher-prise. Se mesurer à la gravité ou au hasard revient à admettre notre propre finitude face à ce qui nous dépasse, le futur se dérobant systématiquement sous nos pieds.
Une petite partie de ping pong pour se remettre ? Attention c’est une oeuvre…mais bonne nouvelle on peut la toucher et interagir avec !
Catalogue éditions Lafayette Anticipations 143 pages, 35 €
Infos pratiques :
Coming Soon
jusqu’au 12 mai
Programmation en résonance : rencontres, visites visionnaires, soirées divines, concert, performances quotidiennes de Bridget Polk…
Entrée libre